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Quitter le ghetto de Gaza et prier dans la mosquée Al-Aqsa
mercredi 30 octobre 2013 - Ayman Qwaider

On m’a demandé ce que j’éprouvais en voyageant à l’extérieur de la bande de Gaza hermétiquement bouclée. La réponse est que, à la minute même où l’on envisage de traverser la frontière, l’impact psychologique négatif commence. Chaque jour, la presse diffuse des informations sur la situation aux frontières de Gaza. Et chaque jour, nous Palestiniens, voulons savoir si les nouvelles sont bonnes. Malheureusement, la fermeture devenue routinière du terminal de Rafah a un effet dévastateur sur les étudiants, les malades et tous ceux qui doivent ou simplement souhaitent quitter la bande de Gaza. Mais les Palestiniens continuent de considérer la frontière de Rafah comme une fenêtre possible de liberté vers le reste du monde.

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Une grande partie de la population de Gaza vit en état de grande pauvreté

Il y a trois mois, mon épouse Sameeha et moi-même avons été invités à participer en Suisse à Genève, à un forum international intitulé : « Une infrastructure pour la paix ». Je soutiens de tout mon cœur cette initiative car je suis persuadé que la paix finira par l’emporter sur cette terre. J’allais aussi m’inscrire à ma deuxième année d’études doctorales et faire l’acquisition de livres pour mes travaux de recherches. L’éducation et l’histoire sont mes deux enseignants et ils me prouvent que tout système ou d’un acte d’injustice ne peuvent jamais durer parce que le pouvoir du Droit est toujours le plus fort. Hélas, Sameeha n’a pas été autorisée à passer la frontière parce que selon leurs critères, les Israéliens ne la considèrent pas comme « un cas humanitaire ».

Le 17 septembre, un permis m’a été accordé pour traverser le point de passage israélien d’Erez et me rendre à Amman, en Jordanie. Malgré l’anxiété et le stress que j’éprouvais en traversant la frontière, malgré la peur de l’inconnu avec l’idée que quelque chose de terrible pouvait arriver, j’ai découvert une réalité totalement différente à moins d’une heure de route de Gaza. De l’autre côté de la frontière, j’ai goûté à la liberté, même si j’étais encore en Israël ! Je pouvais apercevoir Jérusalem et pour la première fois de ma vie, j’ai passé une nuit à Ramallah. J’ai aussi vu le mur énorme souvent montré dans la presse, celui qui entoure la Cisjordanie. Pour moi, ce mur paralyse tout espoir et tue tout sentiment de liberté.

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Le Mur d’apartheid, qui annexe de larges sections de terres palestiniennes et qui a été condamné comme illégal en 2004 par la Cour internationale de Justice

J’ai pris un café à la maison de mon ami Sameer à Ramallah. De chez lui, on peut voir Jérusalem et les lumières de Tel Aviv et Jaffa. Pourtant, comme Sameer me le disait, même s’il peut voir ces villes depuis sa maison, les visiter requiert un processus compliqué pour obtenir un permis ou un visa, et donc il ne peut donc pas s’y rendre. Il ne peut même pas aller jusqu’à la mer Méditerranée faire un plongeon dans l’eau... Plus tard dans la soirée, Sameer et moi sommes allés prendre un verre dans la partie ancienne de Ramallah. J’y ai rencontré un groupe de jeunes et nous avons eu une discussion intéressante et productive. Une jeune fille palestinienne m’a demandé ce que l’on éprouvait en vivant à Gaza. Tout en lui répondant, j’avais le sentiment d’informer un étranger sur la situation actuelle dans Gaza, et cela mettait en évidence que l’occupation israélienne a fragmenté la communauté palestinienne en groupes distincts, compliquant la communication entre nous, Palestiniens, mais aussi avec les Israéliens.

Le lendemain, j’ai pris un taxi depuis Ramallah pour parcourir tout le chemin jusqu’à Jéricho. Je me régalais de voir les magnifiques paysages et les hautes collines. Je n’avais pas joui d’un tel paysage depuis mon retour à Gaza, il y a huit mois. Une aussi belle perspective peut donner de l’espoir, un sens de la liberté que l’on n’a pas lorsqu’on est confiné dans un quartier très densément peuplé de Gaza. J’ai pensé à la jeune population de Gaza qui passe toute sa vie entourée de murs, éternellement privée du vert de la nature ...

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Passage d’Erez, entre la bande de Gaza sous blocus et le territoire israélien (Palestine de 1948)

Mon voyage vers la Jordanie a pris deux jours et pendant tout ce temps, je m’attendais au pire. J’ai traversé au moins trois barrages israéliens et j’ai dû attendre environ deux heures au dernier avant que je ne puisse entrer en Jordanie. Les Palestiniens de Gaza sont régulièrement soumis à des mesures absurdes dites de « sécurité », qui sont pénibles et humiliantes. Une fois au point de traversée pour la Jordanie, en même temps que tous les autres Palestiniens, j’ai dû faire la queue pour récupérer mon passeport tamponné. Alors il était prêt à être estampillé, on m’a dit d’aller attendre devant une fenêtre au-dessus de laquelle était écrit : « Pour les gens de la bande de Gaza ». Je n’ai pu pas contrôler mes émotions et j’ai commencé à pleurer parce que je retrouvais toujours étiqueté comme un habitant de Gaza. C’est le lieu de naissance mentionné sur mon passeport.

Pour traverser la frontière, il faut passer par un processus très complexe qui nécessite une coordination et une organisation spéciales. La première étape est l’enregistrement avec les autorités locales [palestiniennes] pour obtenir un numéro qui pourra éventuellement permettre de quitter la bande de Gaza par la frontière de Rafah. Une fois qu’un Palestinien est sorti de la bande de Gaza, des pratiques systématiques et déshumanisantes s’ensuivent. Les personnes titulaires d’un passeport où Gaza est marquée comme lieu de leur naissance, sont souvent traitées avec peu d’égards. C’est terrible et injuste que certains êtres humains soient sévèrement jugés simplement sur la base d’un morceau de papier qui indique un lieu de naissance considéré comme « mauvais ». Et cela ne devrait plus exister.

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Le Mur d’apartheid et le checkpoint entre al-Qods (Jérusalem) et la Cisjordanie

Au moment où je finis par arriver à Genève, je me sentais traumatisé par le traitement injuste et inhumain que j’avais enduré au long du chemin, à chaque point de passage. Même si je dispose d’un permis de résidence européen pour étudiant et un passeport valide, j’étais toujours dans la crainte d’une mauvaise surprise de plus lors du passage en douane. Au lieu de cela, il n’a fallu que quelques secondes à un employé à la frontière suisse pour vérifier mes papiers. Puis, avec un sourire aimable, il m’a dit : « La bienvenue, Monsieur. » Il était si encourageant et agréable de se rendre compte que les gens peuvent être gentils et respectueux les uns avec les autres, se traitant d’égal à égal, et que ce qui se passe chez moi est l’exception plutôt que la règle !

Agir dans une zone touchée par un conflit exige beaucoup d’optimisme pour mettre en place et soutenir des activités de construction de la paix. Même si j’avais manqué trois jours de conférence, il n’était pas trop tard pour profiter des opportunités qu’elle offrait, dont la possibilité de partager des expériences et des réflexions avec un groupe largement diversifié et originaire de nombreux pays qui a eu un impact profond sur moi-même et m’a à nouveau prouvé qu’il est possible que des gens venus de tous les horizons échangent les uns avec les autres. L’accueil chaleureux et les échanges positfs que j’ai trouvés à Genève ont rétabli mon sens de l’estime de soi, comme individu qui a les mêmes droits que toute autre personne à la conférence ou dans le monde entier.

Durant cette conférence, j’ai eu l’occasion de rencontrer mon ami David Adams, véritable inspiration pour moi et qui a passé sa vie à promouvoir la paix. David nous a à tous dédié son livre : J’ai vu la terre promise [Have Seen The Promised Land]. Ce qui suit est un court extrait : « Premier janvier 2007. Je ne me souviens pas la dernière fois que je suis resté debout toute la nuit pour quelque chose. Mais c’est ce que nous avons fait hier soir à la salle de réunion de l’Université pour la paix. Et il y avait des millions d’autres comme nous, qui ont fait de même dans leurs églises, dans leurs salles de réunions et dans leurs maisons. L’émission était en direct de Jérusalem où le temps est de sept heures en avance sur le nôtre. Jérusalem est maintenant une Ville de Paix. La cérémonie était incroyable ! Tout le monde était là. Le Pape, les plus grands rabbins de la foi juive, les dirigeants de tous les ordres islamiques, les Coptes, les orthodoxes russes, des dizaines de responsables protestants, les Bahaïs, même les chrétiens géorgiens, tous dans leurs robes et toges de couleur ... Je n’a pas vu un seul policier ou soldat ... Pour moi, le moment le plus étonnant a été l’apparition de Desmond Tutu, maintenant âgé de 96 ans ! C’est lui qui le premier a déclaré que les Palestiniens étaient victimes de l’apartheid, comme l’ont été les Sud-Africains … »

Le 8 octobre, je me suis rendu à Malaga (Espagne) pour un court programme de formation qui a été une expérience des plus marquantes. Ce programme était organisé par l’Université pour la Jeunesse et le Développement et le thème était l’éducation mondiale. Les dizaines de de jeunes rassemblés là et venus d’horizons différents et de toutes les nations, abolissaient la notion de frontière, et les voir tous réunis en un seul endroit a été une expérience remarquable. Établir des liens et partager des expériences de première main de Gaza, a ajouté une grande valeur à cette formation.


Interview d’Ayman Qwaider à Malaga, à l’occasion de sa participation à la formation sur l’éducation au niveau mondial

Lors de mon voyage de retour à Gaza, j’ai appris que les responsables de la sécurité des frontières israéliennes m’avaient accordé un permis de 12 heures pour entrer à Gaza via Israël. Cela m’a donné l’opportunité de me rendre à Jérusalem pour la première fois de ma vie et d’ensuite réfléchir à ma première expérience là-bas. Pendant un bref instant, j’ai été heureux d’avoir obtenu la permission de retourner à Gaza via le point de passage d’Erez. Puis j’ai réalisé que je me comportais comme quelqu’un qui commençait à normaliser l’anormal, oubliant le droit fondamental de tout individu à la liberté de mouvement qui est refusé aux Palestiniens. Mon permis stipulait que j’étais autorisé à entrer dans Gaza le 8 octobre entre 5 et 19 heures. J’ai atterri à Amman en Jordanie dans la matinée, puis j’ai dû franchir la frontière au barrage contrôlé par Israël sur le pont Allenby. A 10 heures, mon passeport était tamponné par la sécurité des frontières israéliennes et j’ai été informé que je devais obtenir un autre permis délivré par le bureau de coordination israélien pour pouvoir traverser Israël et entrer dans Gaza. Une fois ce nouveau permis obtenu, j’ai eu quelques heures pour me déplacer librement à l’intérieur d’Israël.

Un ami a suggéré que nous visitions Jérusalem et allions prier à la mosquée Al-Aqsa. Même avec un permis, en raison des mesures de sécurité complexes imposées par Israël sur les Palestiniens, je n’ai jamais pensé que je pourrais avoir cette opportunité. Mon ami était au volant de sa voiture de Jéricho à Jérusalem et sur le parcours, j’ai continué à me demander si nous pourrions vraiment nous y rendre.

Nous avons finalement atteint un point de contrôle entouré de hauts murs de béton et protégé par des barrières métalliques. Mon ami me dit : « Nous allons traverser ce point de contrôle et passer de l’autre côté, et nous pourrons alors prendre un taxi et visiter Jérusalem ». Tandis que j’étais à l’entrée du checkpoint, je voyais des Palestiniens de tous les âges faire la queue devant les portes métalliques, enlever leurs manteaux et passer à travers des détecteurs. Sur le côté droit de la porte, deux jeunes soldats israéliens étaient assis derrière une vitre dans une pièce très protégée. Ils parlaient aux Palestiniens avec un microphone. Chaque palestinien devait présenter aux soldats à travers la vitre son permis et ses papiers d’identité. Quand ce fut mon tour, j’ai dû me résoudre à cet acte humiliant de soumission comme tout autre palestinien, certains d’entre eux devant traverser chaque jour dans les deux sens.

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Détail de la façade de la mosquée Al-Aqsa, 3e lieu saint de l’Islam et merveille d’architecture

Malgré le fait que je sois un Palestinien vivant sur un bout de terre complètement isolé, et donc habitué aux murs et aux clôtures de la puissance occupante qui nous entourent et nous isolent dans Gaza, peu importe combien de fois j’ai traversé tous ces postes de contrôle militaires et me suis retrouvé exposé à un traitement dégradant et irrespectueux ; ce sera toujours une expérience déprimante et désespérante. Les Palestiniens ont besoin d’énormément de patience pour franchir toutes les barrières et tous les postes de contrôle militaires qui les cantonnent à part. Je ne pouvais cesser de penser à ce système honteux de sécurité. Cet épuisant système israélien a forcé les Palestiniens à s’adapter à des réalités aussi imprévisibles et injustes que les changements permanents dans les ouvertures et fermeture des points de contrôle, ajoutés à l’incertitude de pouvoir obtenir ou non un permis ou une autorisation de voyager.

Dans le taxi qui nous emmenait vers Jérusalem, le chauffeur nous exhorta à nous tourner sur la gauche pour voir le Dôme du Rocher. Je n’avais de cesse qu’il apparaisse. Je retins mon souffle en prévision de cet instant, presque incapable de croire que j’étais sur le point d’être à Jérusalem pour la première fois de ma vie. Un rêve se réalisait. Sur le chemin de la « vieille ville » de Jérusalem, nous sommes passés par Bab Al-Amoud, « La Porte de la Victoire » où la présence de soldats israéliens était importante. Comme mon ami et moi-même nous approchions de la porte du Dôme du Rocher, un soldat israélien s’est adressé à nous en arabe. « Salaualikom ? » (une façon de demander : « Etes-vous musulmans ? ») « Oui », ais-je répondu, et nous avons été autorisés à entrer. Je ne veux pas essayer de trouver un sens au fait que ce ne sont que les musulmans qui ne sont pas autorisés à entrer librement par ce chemin. Il est difficile de comprendre les actes de la puissance occupante !

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Devant la mosquée al-Aqsa

Dessiner le Dôme du Rocher a toujours été ma préférence dans les classes d’art quand j’étais enfant, même si, évidemment, je ne l’avais jamais vu en réalité. Maintenant que je me retrouvais face à lui, je me sentais presque paralysé et muet d’étonnement. J’ai décidé de ne pas accorder beaucoup d’attention aux soldats israéliens partout alentour et au contraire, de profiter de la magnificence de la scène avec sa célèbre mosquée Al-Aqsa.

Après avoir marché environ deux heures tout autour de la charmante « vieille ville », il était temps de rentrer à Gaza. Alors que nous nous en retournions, j’avais le sentiment que nous allions vers une prison à ciel ouvert. Pendant que l’on roulait, je voulais profiter de chaque détail du paysage : les arbres verdoyants, le ciel bleu, et même les autoroutes. Je risquais de ne pas revoir tout cela avant longtemps, et je voulais tout saisir et pouvoir m’en souvenir. C’était comme si je voyageais sur une autre planète.

Photos : Ayman Qwaider

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* Ayman Qwaider est doctorant et spécialiste des questions d’éducation dans les situations de conflit et post-conflit. Ayman, qui est originaire de la bande de Gaza, peut être joint à : ayman.qwaider@gmail.com
Consultez son blog à : http://aymanqwaider.wordpress.com

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25 octobre 2013 - Transmis par l’auteur - Traduction : Info-palestine.eu - Claude Zurbach