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20 ans après Oslo : une interview de Ramzy Baroud
mardi 1er octobre 2013 - Info-Palestine.eu
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Ramzy Baroud, lors d’une intervention à Traditions Café, Olympia Washington, le 15 novembre 2010

Info-Palestine.eu : Les commémorations sont toujours l’occasion d’accorder une attention particulière à certains évènements historiques. Mais dans le cas de la signature de ces fameux accords dits d’Oslo, nous pouvons imaginer que le terme « commémorations » est plus adapté aux circonstances que « célébrations » ?

Ramzy Baroud : Bien sûr, il n’y a rien à célébrer. Si quelqu’un doit célébrer, c’est Israël, car ses colonies illégales ont doublé, voire triplé en population. Oslo a permis à Israël de se concentrer uniquement sur ​​l’expansion de son projet colonial, avec une couverture palestinienne et sous plus ou moins le silence de la communauté internationale.

IP : Vers la fin de votre ouvrage « Un résistant à Gaza », vous dites, en évoquant le blocage complet de la situation dans les territoires occupés vers la fin de la première Intifada [1], et la suffocation de la société palestinienne sous la botte israélienne, que « toute ’percée politique’ était impérative ». Pouvez-vous revenir en quelques mots sur les conditions qui prévalaient au moment de la conférence de Madrid [2] ?

RB : L’ambiance générale parmi les Palestiniens était celle d’un optimisme très prudent. La première Intifada tirait à sa fin en raison de deux aspects : elle devenait de plus en plus militarisée et divisée entre factions, et le soutien obtenu au niveau régional avait tourné court en raison de la guerre en Irak. Madrid était une porte de sortie digne qui a permis aux Palestiniens de revendiquer une certaine « victoire » : que les Palestiniens soient enfin reconnus comme une entité politique à part entière. Par ailleurs, les représentants des Palestiniens à Oslo étaient tous des intellectuels de l’intérieur des territoires occupés, y compris Jérusalem, ce qui signifiait aussi une reconnaissance supplémentaire de l’Intifada. Mais la prudence venait du manque tout à fait légitime de confiance à l’égard d’Israël et de ses bienfaiteurs à Washington.

IP : Pensez-vous qu’il soit abusif de dire que le premier problème de la direction de l’OLP au moment de Madrid, puis d’Oslo, était de ne pas se laisser « déposséder » par une direction politique alternative qui émergeait dans les territoires occupés, dans la foulée de la première Intifada ?

RB : La direction de l’OLP était principalement exilée. Au fil des années, un écart a grandi, où les priorités politiques de l’OLP devinrent de plus en plus étrangères aux Palestiniens vivant dans les territoires occupés. Conscient de cet éloignement, la direction de l’OLP, en particulier après la guerre israélienne contre le Liban en 1982, a tenté de trouver les moyens de rester déterminante en Palestine même, mais en vain. Quand l’OLP a été fondée en Jordanie et au Liban, et a adhéré à une forme de lutte armée, elle était alors très populaire parmi les Palestiniens où qu’ils soient. Quand elle a quitté le Liban au début des années 80 et s’est retrouvée dans un contexte politique lointain en Tunisie, son style politique a naturellement changé : l’OLP est devenue plus élitiste que jamais, brandissant toujours les anciens slogans mais se comportant de façon contraire à leurs injonctions.

D’autre part, des dirigeants palestiniens locaux émergeaient en Palestine elle-même, issus des nombreuses universités et aussi des prisons israéliennes. Une nouvelle conscience s’épanouissait en Palestine, où les gens défendaient leurs propres discours révolutionnaires, et, en fait, agissaient en conséquence. La direction de l’OLP a bien tenté de coopter les dirigeants locaux et a plus investi dans leur division que dans leur unité. Alors que Madrid était un motif d’orgueil pour les dirigeants palestiniens locaux, Oslo a été une grande déception.

IP : Avec le recul dont nous disposons aujourd’hui, Oslo doit-il se résumer à une gigantesque manipulation politique de la part des Israéliens et de l’administration Clinton, visant entre autres objectifs, à pérenniser l’occupation et à la faire prendre en charge par la dite « communauté internationale » ?

RB : Pendant des décennies, Israël a tenté de trouver les moyens qui lui permettraient de maintenir, mais aussi de normaliser l’occupation. À la fin des années 1970, il a même essayé de créer de toutes pièces des dirigeants palestiniens locaux (les Ligues de village) et de les soutenir comme alternative à l’OLP. Cela semblait être une formule impossible : maintenir le statu quo intact, tout en obtenant l’accord des Palestiniens. Oslo a été exactement cela.

Ensuite, la réputation d’Israël était littéralement dans la boue. L’Intifada avait remis à une place centrale, d’une manière sans précédent, le conflit israélo-palestinien. Les peuples autour du monde ont commencé à intégrer de fortes images dont celle d’un enfant debout face à un char israélien, avec juste une pierre à la main. Israël avait besoin d’une bouée de sauvetage pour sauver sa réputation en lambeaux, tandis que pour les raisons expliquées ci-dessus, l’OLP avait également besoin d’une bouée de sauvetage. Le résultat était le suivant : Israël maintenait son occupation et la direction palestinienne prenait en charge la majeure partie de la population palestinienne et partageait la responsabilité de réprimer la résistance.

IP : L’Histoire est connue pour ne pas se répéter, mais elle est capable des pires caricatures... Les pseudo-pourparlers de paix [3] sous parrainage étasunien et qui ont débuté récemment, ne sont-ils pas un aboutissement d’Oslo, menant à une reddition complète paraphée par une ex-direction palestinienne ne représentant plus qu’elle-même ?

RB : La folie telle qu’Einstein la définissait, c’était de faire encore et encore la même chose, mais en espérant à chaque fois des résultats différents. Un nouveau tour d’Oslo, Oslo III peut-être, correspond exactement à cela, à l’exception d’un point majeur : personne, pas même les Israéliens et l’Autorité palestinienne, ne s’attend à des résultats différents. Il s’agit d’une comédie qui doit être entretenue et il y a beaucoup de raisons à cela que j’ai expliqué dans une série d’articles qui ont coïncidé avec l’anniversaire d’Oslo. Israël scelle le sort des territoires palestiniens grâce à ses murs et à l’expansion agressive de ses colonies. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’Israël ne crée une réalité qui est tout simplement irréversible (certains prétendent même que nous y sommes déjà).

Les Israéliens ne peut pas se permettre un autre désastre de relations publiques, que ce soit une nouvelle Intifada ou autre chose. Ils ont tout simplement besoin de gagner du temps. Le gouvernement de l’Autorité palestinienne est non élu et sa plate-forme politique se résume avant tout à son propre enrichissement, à la sécurité d’Israël et aux intérêts régionaux américains. Son dirigeant Mahmoud Abbas fait ce qu’on lui dit de faire. S’il refuse, ses financements seront coupés et il se retrouvera politiquement isolé. C’est un jouet aux mains des Israéliens et il sait très bien que le résultat est désastreux pour son peuple.

IP : Pour la société palestinienne, comme pour le mouvement national palestinien, comment sortir de la période dite d’Oslo ? Une rupture est-elle encore possible, même si nécessaire ?

RB : Il est impératif et possible de rompre avec une époque qui est révolue. Le principal obstacle est que si beaucoup reconnaissent que Oslo est mort, et que le principe même d’une soi-disant solution à deux États n’est plus possible, il y a une culture qui a été créée par Oslo et autour Oslo - une industrie de la paix d’Oslo, si vous voulez. Cette industrie est une composante majeure dont l’économie palestinienne dépend. L’idée était simplement d’entraîner autant de personnes que possible dans l’investissement Oslo - les hommes d’affaires, les forces de sécurité, les employés du secteur public, les ONG et bien plus encore, dont le statut, la position, la force économique et les perspectives sont directement liés à l’existence de l’Autorité palestinienne. Rompre avec tout cela n’est pas chose facile. En outre, la société palestinienne est plus que jamais divisée entre factions, et les « constantes nationales » qui existaient dans les années 1970 et 80, sont aujourd’hui floues et confuses. Un nouveau mouvement aura à faire face aux conséquences majeures résultant du démantèlement du statu quo actuel, et il devra formuler un nouveau discours national.

Propos recueillis et traduits par Claude Zurbach

Notes :

[1] « La Deuxième Intifada » - Ramzy Baroud répond à nos questions
[2] La Conférence de Madrid s’est déroulée en octobre 1991, à l’initiative principalement des États-Unis et de l’Union soviétique. Cette tentative d’engager un processus de paix au Proche-Orient, par le biais de négociations impliquant Israël, les Palestiniens (intégrés dans la délégation jordanienne suite au refus israélien d’une participation formelle palestinienne) et plusieurs pays arabes, tourna court après les négociations menées secrètement à Oslo par l’OLP.
[3] Comment peut-on reprendre des négociations qui n’ont jamais eu lieu ?

* Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Fnac.com

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29 septembre 2013