Fermer la page
www.info-palestine.net
Gaza : la réaction des Palestiniens face à la violente répression en Égypte
samedi 24 août 2013 - Asmaa al-Ghoul
JPEG - 199.6 ko
17 août 2013 - Des Palestiniens prennent part dans Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza, à un rassemblement en faveur du Président égyptien Mohammed Morsi et pour protester contre les récentes violences en Égypte - Photo : Reuters/Ibraheem Abu Mustafa

Talal al-Sharif est un chirurgien âgé de 59 ans. Ce jour-là, il ne pouvait pas abandonner son travail et ses patients et s’est donc contenté de regarder la télévision en compagnie de ses collègues dans la salle d’attente de la clinique. Chacun exprimait son point de vue concernant les évènements en cours ainsi que les possibles réactions internationales qui ne sauraient tarder.

Interrogé par Al-Monitor, Sharif explique que l’intérêt qu’ils portent pour le sort des Frères Musulmans, dont l’accession au pouvoir dans le monde Arabe suite à la vague de révolutions a surpris plus d’un, découle de la proximité de Gaza et de l’Égypte et que tous deux ont été gouvernés par le même groupe. Contrairement à d’autres pays, les événements que connait actuellement l’Égypte constituent une nouvelle urgence pour les habitants de Gaza.

Abu Ahmad, 45 ans, travaille au rez-de-chaussée de l’immeuble Al-Khazandar. Dès qu’il a allumé son ordinateur désuet, des employés des bureaux voisins ont formé un cercle autour de lui afin de suivre la retransmission directe et continue de l’une des chaînes de télévision égyptiennes.

Dans la même après-midi, un groupe de jeunes a répondu aux appels lancés à travers les réseaux sociaux et s’est spontanément rassemblé dans Al-Saha, la Place Palestine dans Gaza, pour marquer leur solidarité avec les victimes tombées suite à la dispersion des sit-in au Caire.

Pami les participants figurait le jeune militant Barra Nazzar Rayyan qui déclare à Al-Monitor : « Nous sommes très en colère après tout ce qui s’est passé en Egypte. Pour nous, la situation va de mal en pis à cause notamment de notre incapacité à agir, et c’est ce qui nous a incités à nous rassembler, de manière spontanée, pour marquer notre solidarité. »

Rayyan a par ailleurs nié que les jeunes femmes et hommes prenant part au rassemblement aient répondu aux appels du Hamas. Il a ajouté : « Si le Hamas avait appelé à un moment de solidarité, le rassemblement aurait été bien différent et il y aurait eu des centaines de participants. »

Fils d’un haut fonctionnaire du Hamas, Rayyan est pourtant connu pour son opposition à certaines politiques du gouvernement. D’après lui, la dispersion des protestations à Rabia al-Adawiya était un véritable massacre : « Il s’agit exactement des mêmes circonstances vécues par la population de Gaza durant les précédentes guerres, même si l’identité de l’armée [qui attaque] est différente, » souligne-t-il.

Les Gazaouis, qu’ils soient pro ou anti armée Egyptienne, ont clairement exprimé un intérêt à suivre les nouvelles de la dispersion des sit-in. Cependant, le langage diplomatique a dominé les déclarations publiées par le gouvernement du Hamas à Gaza, qui est également la branche Palestinienne des Frères Musulmans.

Dans une conversation téléphonique avec Al-Monitor, le porte-parole du gouvernement, Ihab al-Ghussein a expliqué : « Le gouvernement de Gaza condamne et rejette avec la plus grande fermeté l’action des autorités Egyptiennes ayant pris pour cible des manifestants pacifiques. Nous exprimons notre plus grand chagrin et peine face au précieux sang Egyptien qui a été versé. »

Et d’ajouter : « La position du Hamas envers les peuples Arabes et Musulmans ainsi que leurs droits à une vie libre et digne demeure inchangée, et nous appellerons à l’arrêt immédiat de l’effusion de sang et à une action non-violente avec les manifestants pacifiques. »

Le porte-parole a, en outre, exprimé les sincères condoléances du gouvernement au peuple Egyptien et aux familles des victimes.

S’agissant du regard que porte Gaza sur les événements que connaît l’Égypte, al-Ghussein a répondu : « L’histoire remonte aux liens géopolitiques, historiques et sociaux qui unissent les deux peuples. L’Égypte représente le plus grand soutien à la cause Palestinienne et constitue le portail de Gaza sur le monde. »

L’intérêt du public pour la dispersion des sit-in n’avait pas diminué le lendemain, et le 15 août à 20 heures un groupe de jeunes hommes et jeunes femmes - accompagnés par des manifestants étrangers - brandissaient à la place du Soldat inconnu dans le centre de la ville de Gaza, des drapeaux égyptiens et des bougies tout en observant une minute de silence en solidarité avec les victimes égyptiennes.

L’un des participants, Mohammed Hasna, a déclaré à Al-Monitor, :« Nous voulons que ce moment de solidarité soit pour le bien de l’humanité en Egypte et pour préserver le sang égyptien." Il a souligné que les participants appartenaient à différentes organisations et mouvements, et que la réunion n’a pas été appelée par un groupe en particulier.

Iman al-Shanti, âgée de 25 ans, a observé la minute de silence avec son fils, portant trois bougies. « Nous tenons nos bougies en silence en solidarité avec l’humanité et la paix, et pour montrer notre opposition aux massacres qui ont eu lieu, surtout que des enfants et des manifestants non armés ont été pris pour cible, » a-t-elle déclaré à Al-Monitor.

Un autre rassemblement a eu lieu le 15 août, mais celui-ci était appelé par les membres du Conseil législatif dans le bloc du Hamas. Au cours du rassemblement, le représentant de l’Assemblée législative, Ahmad Bahr, a été cité par l’agence de nouvelles officielle Al-Ray comme disant : « Nous appelons, au nom du Conseil législatif palestinien, les parlements arabes, islamiques et internationaux à se tenir aux côtés du peuple égyptien , pour le retour d [président] légitime élu ».

La réaction du Hamas aux événements en Egypte ne va pas au-delà de ce type de rassemblement et de déclarations condamnant le massacre. Selon une source au sein du Hamas - qui a préféré rester anonyme - il y a un certain nombre de discussions en cours au sein du mouvement, et le consensus général est qu’ils devraient s’opposer à l’organisation de toute marche directement appelée par le Hamas.

S’adressant à Al-Monitor, la même source ajoute : « Nous pouvons sentir l’ampleur de la colère dans la population, et nous aussi, nous sommes en colère et tristes. Cependant, c’est la société dans son ensemble qui portera la responsabilité de nos réactions, donc [ nos réactions] doivent être très calculées étant donné que nous sommes une organisation. Tout le monde pourrait payer le prix de n’importe quelle initiative. »

Il a indiqué qu’ils étaient satisfaits de la marche organisée par la Guilde des érudits musulmans affiliés au Hamas, qui a eu lieu le 14 août et comprenait des membres du Hamas au parlement, ainsi que le rassemblement organisé par le Conseil législatif en solidarité avec les martyrs.

Le politologue Ibrahim Abrash estime que la position du Hamas concernant les massacres est un résultat de l’aile pragmatique du mouvement, qui envisage une réévaluation de ses relations avec les Frères musulmans. Le premier d’entre eux est le responsable du bureau politique du Hamas, Khaled Meshaal. De l’autre côté se trouve l’aile radicale, qui ne refuserait pas une nouvelle confrontation militaire.

« Le Hamas a maintenant deux choix : soit il aura recours à des activités djihadistes et reviendra à la résistance armée – qui serait très coûteuse - ou il se dirigera vers la réconciliation avec le Fatah, en proposant des concessions, la prochaine étape étant alors que l’ex-président Mahmoud. Abbas tende la main au Hamas pour la réconciliation, » a déclaré à Al-Monitor lors d’une interview Abrash - un critique connu du Hamas et ancien ministre de la Culture, basé à Gaza, dans le gouvernement de Salam Fayyad.

Abrash va jusqu’à prétendre que l’intérêt de Gaza est le résultat de sa sympathie pour ce qui se passe en Egypte, et de son désir de se débarrasser de la domination du Hamas à Gaza. « Ces sentiments soulignent leur désir de se débarrasser de la domination [du Hamas], plus que d’être des manifestations de compassion ».

Les gazaouis suivent de près la suite des événements, et estiment que la période à venir sera déterminante pour l’avenir de la région et celle de la bande de Gaza en particulier. Cela est d’autant plus vrai que les autorités égyptiennes ont annoncé la fermeture du passage de Rafah, dans la matinée du 15 août, Gaza se retrouvant une fois de plus coupé du reste du monde.

JPEG - 5.3 ko

* Asma al-Ghoul est journaliste et écrivain, du camp de réfugiés de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza.

De la même auteure :

- Tandis que Hamas et Fatah s’empoignent à propos de l’Égypte, le mouvement Tamarod en Palestine prend de l’ampleur - 26 juillet 2013
- La presse égyptienne incite à la haine contre les Palestiniens - 19 juillet 2013
- Gaza : après le meurtre d’un de ses responsables, le Jihad islamique exige la démission d’un ministre du Hamas - 25 juin 2013
- Le Jihad islamique : « C’est l’Iran qui a fourni en armes la résistance » - 21 juin 2013
- Le Hamas à un tournant - 17 juin 2013
- A cause de la guerre en Syrie, les liens entre le Hamas et le Hezbollah se sont distendus - 10 juin 2013
- Cimetière Anglais de Gaza : le lieu où toutes les croyances reposent ensemble en paix - 2 juin 2013
- Gaza : le Jihad islamique reste une organisation populaire - 23 mai 2013
- Le Jihad islamique n’acceptera jamais un Etat palestinien limité aux frontières de 1967 - 16 mai 2013
- L’impact psychologique de la guerre sur les enfants de Gaza - 5 mai 2013
- Menaces sur les arbres et les espaces verts de Gaza - 5 mai 2013
- Le film palestinien « Condom Lead » nominé au Festival de Cannes - 3 mai 2013

18 août 2013 – Al-Monitor – Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.al-monitor.com/pulse/ori...
Traduction : Info-Palestine.eu – CZ & Niha