Au cours des dernières semaines, il a été contraint de brûler tout ce qu’il a cultivé comme la menthe et le basilic : « Depuis la fermeture de la frontière et par voie de conséquence les exportations, et voyant que nos produits commençaient à s’endommager, nous avons décidé de tout brûler et détruire, et c’est ce que nous sommes en train de faire depuis le début du mois en cours. »
Il poursuit : « A cause donc de la fermeture du passage de la frontière, je suis aujourd’hui obligé de brûler environ 10 tonnes de menthe, soit 2 tonnes de chaque dounam. C’était la période de la récolte lorsque la frontière fut fermée, et les plantes avaient déjà fleuri. J’ai dû récolter les feuilles de la menthe afin d’éviter que les maladies ne pénètrent dans les plantes. Nous mettons les feuilles dans des tas, les laissons sécher et ensuite tout détruire. Si j’avais été en mesure d’exporter, j’aurais pu gagner jusqu’à 30.000 euros. Hélas, il ne me reste plus qu’à tout brûler. »
Le 21 mars dernier, l’armée israélienne et le Coordonnateur Israélien des Activités Gouvernementales dans les Territoires [Israeli Coordinator of Government Activities in the Territories (COGAT)] ont publié une déclaration conjointe où ils expliquent qu’en réponse au tir (de ce matin) de roquettes sur Israël à partir de Gaza, le Premier Ministre et le Ministre de la Défense ont décidé de fermer le passage frontalier de Kerem Shalom. En outre, la déclaration a précisé que « Ces changements resteront en vigueur jusqu’à nouvel ordre [décision du pouvoir politique]. »
En effet, du 21 mars au 18 avril, le passage frontalier de Kerem Shalom a été complètement fermé pendant 16 jours. En réponse aux tirs de roquettes à partir de Gaza, la frontière fut à plusieurs reprises fermée, soit en raison des jours fériés en Israël, soit sans motif invoqué.
« Je peux préserver la menthe et le basilic récoltés dans un réfrigérateur, mais pas plus de trois jours car ils noircissent, explique Mohamed, seule la ciboulette peut résister pendant une semaine. »
Ceci étant, la fermeture des frontières n’est pas la première et l’unique entrave qui gêne l’activité agricole de Mohamed : « Je possédais sept dounams de terres agricoles à Khan Younis, sauf que mes cultures commençaient à perdre de leur bonne qualité à cause de la salinité élevée des eaux aquifères. En 2006, j’ai fini par vendre ma terre et travailler sur des terrains loués là où la qualité de l’eau est meilleure afin d’obtenir de bons produits. »
Il poursuit : « Il y a deux ans, j’ai commencé à planter la ciboulette, la menthe et le basilic. Grâce à mes nombreuses années dans le domaine et mon expérience acquise au fil du temps, notamment le bon choix des exigences du marché international, j’ai obtenu la certification du Global GAP [Ensemble des exigences imposées, au niveau mondial, aux entreprises agricoles et horticoles en matière de sécurité alimentaire, de durabilité et de qualité.] »
Mohamed a choisi volontairement de planter la menthe et le basilic : « la rentabilité financière de la culture des plantes est nettement meilleure que celles des culture maraîchères, comme les tomates et les concombres. Un dounam de plantes est plus rentable que 10 dounams d’une culture classique. Aussi, la culture des plantes est plus stable et les plantes peuvent pousser tout au long de l’année, nous permettant de récolter deux fois par ans. Cette année, j’espérais gagner de mon investissement mais la fermeture de la frontière nous a ruinées. »
Interrogé sur une redirection de ses produits vers le marché Gazaoui, Mohamed explique « ça ne m’arrange pas d’investir dans les coûts du transport et du marché pour ne vendre qu’une infime partie de mes récoltes, à des prix très bas. »
De là, Mohamed a préféré adopter une stratégie lui permettant un rendement meilleur, à savoir se diriger vers le marché Européen : « En Europe, la menthe me rapporte 3 à 5 fois le chiffre d’affaire que je peux avoir ici. Chaque marché a ses caractéristiques et exigences. Ici par exemple, les gens se moquent de moi en me voyant vendre la ciboulette et me demandent les raisons de sa vente au lieu des oignons. C’est compréhensible car j’ai choisi la ciboulette pour le marché Européen uniquement ; elle n’est pas utilisée dans notre cuisine. 80% de ce que je produis est conforme aux normes du marché Européen, sauf que je ne peux pas exporter bien que je sois certifié du Global GAP. Les problèmes et les difficultés commencent à chaque fois que nous nous préparons à exporter nos produits pour toucher les marchés Européens. »
Durant l’année, Mohamed investit beaucoup d’argent dans ses 5 dounams de terre : « Je dépense environ $2500 entre la main-d’œuvre embauchée, les engrais, les semis et l’eau. De plus, je paie annuellement 400 dinars Jordaniens pour la location, en plus de l’argent versé pour les couvertures en plastique, les cadres en fer et le système d’irrigation. En fait, la location des terres doit être payée que j’exporte mes produits durant l’année ou non. »
Loin des champs, Mohamed est père de deux garçons et de deux filles âgés entre 3 et 12 ans. Après avoir perdu toutes les récoltes, c’est toute la famille qui fait face à de sérieux problèmes financiers. « Je suis endetté et si les choses ne changent pas, je devrai penser à d’autres cultures à faible rendement que je pourrai vendre sur le marché local. Je suis contraint de m’adapter à cette situation afin que je puisse payer mes dettes, après tout, je suis responsable d’une famille et d’un groupe de travailleurs, » souligne Mohamed.
Et justement, Mohamed se bat contre l’impact des pertes sur la main-d’œuvre qu’il embauche : « Durant la récolte, j’embauche environ 30 travailleurs pour m’aider. Mais s’il n’y a pas de récolte, il n’y aura pas de bénéfice, et si je n’ai pas de quoi subvenir aux besoins de ma propre famille, alors comment je pourrai payer mes employés ? »
Devant l’instabilité de la situation et l’incertitude de l’ouverture des frontières, Mohamed est obligé de faire son choix et de trancher : « J’investis beaucoup d’argent dans ces terres, et je ne veux pas voir tout mon labeur partir en fumée. A présent, le plus important est de penser à survivre. Mais la vie n’est pas juste une question de survie ou de soucis sur l’eau et la nourriture. Je veux que ma famille soit financièrement à l’aise et en sécurité. »
C’est pourquoi, Mohamed n’exclut pas la possibilité d’émigrer à la recherche d’opportunités d’exploitation agricole plus viables : « Partir ailleurs pourraient s’avérer plus bénéfique et je pourrais éventuellement travailler pour un avenir meilleur. Ici, nous sommes suspendus aux dates de fermeture des frontières ; et ces fermetures font toute la différence. Je souhaite que les pays Européens puissent mettre la pression sur Israël afin qu’il nous permette d’exporter nos produits car c’est tout ce que nous essayons de faire. »
Compte tenu des circonstances, Mohamed voit l’avenir d’un œil pessimiste : « Chaque année, je constate que l’année d’avant était nettement meilleure que celle en cours. En d’autres termes, nous n’avançons pas, nous reculons. »
L’actuel blocus israélien imposé sur la Bande de Gaza ainsi que les interdictions punitives appliquées sur les exportations constituent une forme de punition collective de la population civile vivant sous occupation. Cette mesure est en violation avec l’Article 33 de la Quatrième Convention de Genève. En sa qualité de Puissance Occupante, Israël a l’obligation légale de respecter le Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels, notamment l’Article 6 qui reconnaît le droit au travail comme un droit fondamental, ainsi que l’Article 11 qui stipule « Le droit à un niveau de vie suffisant, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu’à une amélioration constante de ses conditions d’existence. »
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24 avril 2013 – PCHR Gaza – Vous pouvez consulter cet article à :
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