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Un processus de paix qui protège Israël
vendredi 2 août 2013 - Ben White - Al Jazeera
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Après une pause de trois années, Palestiniens et Israéliens reviennent à la table des négociations.
Reuters




Avec ces pourparlers de paix entre officiels israéliens et palestiniens qui reprennent une fois encore, de nombreux analystes avancent leurs raisons d’être ou prudemment optimistes ou sceptiques. Mais ce qui est incroyable, c’est que vingt ans après les Accords d’Oslo, beaucoup ne se sont toujours pas posé les questions les plus fondamentales à propos du paradigme du processus de paix officiel lui-même.

Parmi toutes les différentes raisons de douter que cette reprise des pourparlers aboutisse à un accord, une, cruciale, est que la position maximale d’Israël – la plus fréquente au sein du courant politique dominant – est indéfendable du point de vue du combat du peuple palestinien pour la libération et le retour.

Même en supposant un retrait des colonies de Cisjordanie, il resterait toujours Jérusalem qui est définie unilatéralement comme la « capitale unifiée » d’Israël, il resterait les réfugiés qui furent expulsés et qui sont interdits d’exercer leur droit au retour, et il resterait la définition d’Israël en tant qu’État juif proclamé. Ce dernier point est une mauvaise nouvelle pour les citoyens palestiniens d’Israël – lesquels, demain, 1er août, organisent une « Journée de la rage » contre l’expulsion programmée de milliers de Bédouins dans le Néguev (le plan dit Plan Prawer).

Compte tenu de tout cela, il se pourrait que le plus gros des risques n’est pas que ces négociations en cours « échouent », mais que, à leurs conditions actuelles, elles « réussissent ». Comme Edouard Saïd l’a écrit en 1998 :

« Plus important, un État déclaré sur les territoires autonomes diviserait définitivement la population palestinienne et sa cause, indéfiniment. Les habitants de Jérusalem, aujourd’hui annexée par Israël, ne pourraient jouer aucun rôle, ni être, dans l’État. Un sort tout aussi immérité attendrait les citoyens palestiniens d’Israël, qui seraient tout autant exclus, tout comme les Palestiniens de la Diaspora, dont le droit théorique au retour serait pratiquement aboli. »

Ainsi, à la fois ceux qui sont d’un optimisme prudent et ceux qui dédaignent cette toute dernière reprise, ratent quelque chose. Le processus de paix officiel, dirigé par les États-Unis - y compris sa solution cadre associée de deux États – sert à protéger Israël de ce qu’il considère comme deux de ses menaces les plus graves : sa responsabilisation et une démocratisation.

Le processus de paix contrecarre sa responsabilisation parce qu’il vise à évincer le droit international et les instances internationales en tant que moyens de résoudre le conflit. Les Nations-Unies ont leurs défauts, mais l’internationalisation de la question de la Palestine serait préférable à un traquenard préparé par le plus puissant allié d’Israël (et même dirigé par un ancien lobbyiste professionnel pro-Israël). En tant que négociatrice en chef pour Israël, Tzipi Livni arguait en 2011 « reprendre les négociations bloquerait les boules de neige qui déferlent sur nous, à l’ONU et ailleurs en général  ».

À noter que lorsque l’Autorité palestinienne a mené des campagnes de reconnaissance sur la scène internationale, tels les organismes des Nations-Unies et associés, les officiels d’Israël et des États-Unis les ont repoussées sous l’accusation de « nuire  » au processus de paix. Ainsi, sans surprise, l’AP a accepté d’abandonner toutes tentatives à sa portée auprès de la Cour internationale de Justice pendant la durée des négociations.

Le processus de paix, espère Israël, peut également contrarier – ou affaiblir – un autre risque de responsabilisation : celui de la campagne mondiale grandissante de boycott. À noter que lundi, avec les différentes parties convoquées à Washington DC, Shimon Peres a profité de l’occasion pour dire à l’Union européenne de faire marche arrière dans sa tentative, pourtant modeste, de cibler les profiteurs des colonies et de l’occupation. Comme un chroniquer israélien l’a dit, ces pourparlers – même s’ils échouent – sont « préférables à la campagne d’incitation actuelle, anti-Israël, menée dans les supermarchés à travers l’Europe ».

Deuxièmement, le processus de paix protège Israël contre une véritable démocratisation, ou décolonisation. La solution à deux États, telle que conçue ici, est destinée à préserver Israël en tant qu’État juif ethnocratique sur la plus grande partie de la Palestine historique. Mettre en place une fausse autorité à Ramallah pour sauver une démocratie imaginaire à Haïfa.

Ceci est explicitement exprimé par un certain nombre de parties, dont Livni qui en juin déclarait que «  la seule façon de préserver Israël – c’est-à-dire en tant qu’État juif -, c’est par le processus politique ». C’est pourquoi plus de 120 personnalités juives américaines de premier plan ont récemment écrit à Netanyahu en l’exhortant à poursuivre une solution négociée pour deux États afin de neutraliser – selon les termes du Premier ministre israélien lui-même – la menace d’un « État binational ».

Certains ont prétendu que n’importe quelles négociations valaient mieux que rien du tout, puisque les deux côtés finiront par s’asseoir et à trouver une solution. Mais c’est à la fois un truisme simpliste – évidement qu’il y aura quelque chose comme des pourparlers à un moment ou à un autre – aussi bien que trahir une mauvaise compréhension des relations de pouvoir concernées.

Il n’existe aucune bonne raison de se réjouir de pourparlers si gravement biaisés en faveur d’une partie lesquels, indépendamment de leur issue, protègent Israël pour qu’il n’ait aucun compte à rendre sur ses orientations politiques d’apartheid continuelles. Il existe d’autres options pour aller de l’avant. Plus vite elles seront prises en compte, plus vite le cadre colonial basé sur les « compromis » du puissant pourra être remplacé par un processus de paix digne de ce nom.


Lire aussi notamment :

- Un processus de paix « vital » pour... Israël - Alain Gresh - Le Monde diplomatique
- Kerry s’est servi de la Ligue arabe pour faire plier les Palestiniens - Nicola Nasser - The Palestine Chronicle

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Ben White est journaliste indépendant, écrivain et militant, spécialiste Palestine/Israël. Il est diplômé de l’université de Cambridge.

Suivre sur Twitter : @benabyad


Du même auteur :

- Le gouvernement israélien intensifie la lutte anti-boycott - The Electronic Intifada
- Pourquoi un boycott des universités israéliennes est pleinement justifié - The Guardian
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31 juillet 2013 - Al Jazeera - traduction : Info-Palestine/JPP