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Vies sous occupation : Je sais que je risque ma vie en allant à la pêche, mais je n’ai pas d’autres choix
mercredi 12 juin 2013 - PCHR Gaza
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Mahmoud Mohamed Jarboa, 52 ans, pêcheur du camp de réfugiés Al-Shati (Beach Camp), ville de Gaza.

Depuis 1994 et à ce jour, les Palestiniens ont vu leur zone de pêche diminuer graduellement. En effet, Israël a réduit la distance de 20 milles nautiques prévue dans les Accords d’Oslo à seulement 3 milles nautiques en 2009 ; une mesure qui s’inscrit dans le cadre du blocus maritime imposé avec les tirs à balles réelles, le harcèlement des pêcheurs et par les arrestations illégales et les détentions arbitraires.

Face à cette situation radicale qui a conduit à une sérieuse limitation de la zone de pêche, associée à une interdiction quasi-totale des exportations, c’est toute l’industrie de la pêche de Gaza qui est au bord de l’effondrement, avec une chute libre du nombre de la main d’œuvre qui passe de 10.000 pêcheurs en 1999 à moins de 3200 actuellement.

Cette situation abusive et arbitraire a été évoquée et discutée lors du cessez-le-feu de novembre 2012 où les autorités israéliennes et palestiniennes avaient convenu à ce que la zone de pêche soit étendue jusqu’à 6 milles nautiques. La nouvelle a été accueillie par les pêcheurs qui ont vite commencé à naviguer plus au large, ce qui a légèrement amélioré leur rendement en matière de poissons. Toutefois, les attaques contre les pêcheurs se sont poursuivies, même dans les 3 milles nautiques.

Côté statistiques, il y a eu entre le 22 novembre 2012 et le 28 février 2013 un total de 41 fusillades ayant entrainé 4 blessures. En outre, 42 pêcheurs ont été détenus lors de 11 vagues d’arrestations. Aussi, 8 bateaux ont été massacrés et 8 autres confisqués.

Le 25 février 2013, dans une déclaration publiée en ligne, le Coordonnateur Israélien des Activités Gouvernementales dans les Territoires [Israeli Coordinator of Government Activities in the Territories (COGAT)] a affirmé que les pêcheurs pouvaient désormais naviguer jusqu’à 6 milles nautiques, et que les agriculteurs avaient également la possibilité d’accéder aux terres se trouvant à 100m de la barrière frontalière. Cependant, les deux références ont depuis été retirées de la déclaration [Il y a lieu de préciser que le rapport mensuel du COGAT de novembre 2012 affirme toujours : « Une trêve a été signée à la suite à l’Opération ‘Pilier de Défense’ du 14 novembre 2012, et suite à laquelle, il a ainsi été convenu de l’extension de la zone de pêche de Gaza de 3 à 6 milles nautiques. »]

Dans la journée du 21 février 2013, Abdel Raziq (16 ans), fils de Mahmoud ainsi que quatre autres personnes étaient en train de pêcher lorsque les forces israéliennes les ont attaqués dans les 3 milles nautiques. Décrivant les évènements de ce jour, Abdel Raziq raconte : « Je me suis réveillé à 6h et nous avons pris le large vers 7h30. J’étais en compagnie de quatre de mes proches et amis : Mustafa, Hanafi, Abdullah et Mahmoud. Vers 11h, nous venions tout juste de terminer notre petit déjeuner lorsque deux canonnières israéliennes ont encerclé notre bateau et ont sitôt ouvert le feu, sans avertissement préalable. Par contre, ils avaient hurlé dans un mélange d’arabe et d’hébreu nous sommant de nous déshabiller et de nous jeter dans l’eau, mais nous avons refusé l’ordre. Nous savions qu’ils voulaient nous arrêter et nous conduire à la prison israélienne d’Ashdod. Pendant ce temps, les soldats ont poursuivi leurs tirs en notre direction et ont touché un côté du bateau, tandis que j’étais touché au tibia par un éclat d’obus. Mon cousin Abdullah a également été blessé à la cheville gauche. Les douleurs étaient insupportables. »

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Abdel Raziq Mahmoud Mohamed Jarboa, 16 ans, blessé pendant l’attaque israélienne sur son bateau de pêche

Par ailleurs, Abdel Raziq explique comment son frère Mustafa a eu la présence d’esprit pour agir vite : « Mon frère s’est jeté sur moi et m’a soulevé pour que les soldats aperçoivent le sang en criant ‘Regardez-le, il saigne !’ A ce moment-là, un des soldats a appelé son collègue, je pense que c’était le capitaine. Ils ont commencé à discuter entre eux ce qui nous a permis de retourner sur notre bateau et de rebrousser chemin. Nous étions terrorisés et nous voulions fuir à tout prix. »

Arrivés sur la rive, les pêcheurs ont conduit les deux blessés à l’hôpital al-Shifa de la ville de Gaza. Le médecin qui a ausculté Abdel Raziq lui a expliqué qu’un morceau d’obus s’est installé entre deux artères dans le tibia « Il m’a fait part du risque de rupture de l’une des artères si jamais il essayait de m’opérer pour enlever le morceau. Il m’a alors conseillé de le laisser car il pourrait bien sortir sans intervention. L’incident s’est produit il y a quatre semaines et rien n’a changé pour le moment. J’avoue qu’il ne me fait pas mal sauf s’il y a une pression sur mon tibia. »

Abdel Raziq est tout nouveau dans le secteur de la pêche. Il a commencé il y a cinq mois seulement et c’était la première fois qu’il prenait le large lorsque l’attaque eut lieu « Je n’étais pas vraiment surpris, bien que je n’aie jamais vécu une pareille situation auparavant. Mais je m’attendais à ça, mon père et mes frères ont été attaqués à plusieurs reprises. Il leur est même arrivé de sauter nus dans l’eau, en plein hiver à la fois glacial et pluvieux. »

La famille Jarboa est habituée aux péripéties de la mer. Le 17 janvier 2009, Mohamed, le frère aîné d’Abdel Raziq a été tué au large. Des canonnières israéliennes ont tiré sur trois Palestiniens qui pêchaient au large de la côte d’al-Sudaniya. Le père revient sur les évènements et raconte : « Mohamed n’avait que 22 ans lorsqu’il a été attaqué et tué. Il n’avait rien fait de mal sauf qu’il était en train de pêcher. Il a été hospitalisé pendant 8 jours à la suite des blessures au crâne et dans les deux jambes. Hélas, il n’a pas pu résister et est décédé le 25 janvier 2009. Cette vie est vraiment étrange, deux jours avant la mort de Mohamed, mon épouse a découvert qu’elle était enceinte. Nous avons en effet eu un petit garçon qui porte désormais le prénom de son défunt frère ; c’est Dieu qui donne et c’est Lui qui enlève. »

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Mahmoud avec le plus jeune de ses enfants, Mohamed qui a soufflé sa 4ème bougie au mois d’avril

Pour Mahmoud, il n’y a aucune différence entre une zone de pêche limitée à 3 ou à 6 milles nautiques « C’est exactement la même chose ; ça reste des eaux peu profondes où il y a énormément de sable. L’idéal serait de naviguer jusqu’à 15 ou 16 milles nautiques où il y a des rochers et où toutes sortes de poissons y vivent et y pondent leurs œufs. Tous les pêcheurs de Gaza pourront ainsi bénéficier de cette mesure. Pour le moment, nous ne sommes pas très sûrs de la distance qui nous est permise. En fait, les soldats israéliens ne respectent pas la délimitation qui nous revient de droit et ne l’appliquent pas à la lettre, donc nous pouvons facilement dépasser la limite sans nous rendre compte. Lorsque nous sortons pour la pêche, nous trouvons les soldats israéliens à nos trousses et ils nous chassent et nous tirent dessus d’entrée de jeu. J’ai perdu un fils et j’ai eu deux autres blessés. Des fois, nous sommes arrêtés, détenus et nos bateaux confisqués pour de longues périodes, parfois jusqu’à deux ans ou plus. Je n’ai pas d’autre source de revenu et j’ai 21 personnes à ma charge. Je sais que je risque ma vie en allant à la pêche, mais je n’ai pas d’autres choix. »

Mahmoud est convaincu que l’avenir de sa famille dépend essentiellement de la levée du siège maritime « Je veux seulement que les israéliens nous libèrent la mer afin de nous permettre d’aller pêcher. Je souhaite que mes enfants et mes petits-enfants puissent un jour jouir de la vie que j’ai eue avant le blocus. A l’époque, les frontières terrestres comme maritimes étaient ouvertes et les pêcheurs gagnaient très bien leurs vies. La pêche n’était pas qu’un travail, c’était aussi un passe-temps pour le plaisir pour certains. Nous pouvions aussi manger le poisson que je pêchais. Aujourd’hui, malheureusement, le poisson que je ramène suffit à peine à me faire gagner quelques shekels. Ma petite-fille qui a quatre mois est malade et son cas nécessite une consultation mais je ne peux pas lui payer le médecin. Lorsque je la vois, je constate l’étendue de mon impuissance et je fonds en larmes. J’arrive à peine à nourrir ma famille, si ça ne tenait qu’à moi, je ne me serais pas soucié, mais les enfants doivent manger et ils ne pourront jamais comprendre qu’ils manquent de nourriture. »

Depuis l’attaque, Abdel Raziq n’est plus retourné en mer « Pour le moment, je vais seulement dans le port pour voir le bateau plein de trous depuis l’attaque. Sa réparation nous coûtera aux environs de 600-700 shekels, ce qui veut dire que nous ne pourrons pas le réparer. Quant à la pêche, je reprendrai l’activité dès que je serai totalement rétabli. Après tout, c’est tout ce que je sais faire et ça me passionne. »

Ce sentiment n’est pas partagé par Mahmoud qui voit dans le retour de son fils à la pêche une nouvelle source d’angoisse « *Il est vrai que nous aspirons à une vie meilleure, mais pas au détriment de notre sécurité. Je deviens très anxieux et angoissé lorsque mes fils partent pour la pêche. Chaque minute de chaque jour m’effraie. J’ai peur de les laisser prendre le large et de ne plus les voir revenir. Je souhaite vivement que chaque pêcheur et que chaque Palestinien puisse vivre dans la sécurité, pour toute la vie. »

Les attaques israéliennes contre les pêcheurs Palestiniens de la Bande de Gaza qui, pour rappel, ne représentent aucune menace pour la sécurité d’Israël, constituent une violation flagrante du droit humanitaire international et des droits de l’homme. La zone d’interdiction de pêche, imposée à travers les arrestations arbitraires et les attaques, représente une mesure de punition collective, interdite au titre de l’Article 33 de la Quatrième Convention de Genève.

Par ailleurs, l’Article 23 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et les Articles 6 et 7 du Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels stipulent que « Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail. » De plus, l’Article 11 du même Pacte reconnait « Le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu’à une amélioration constante de ses conditions d’existence. »

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20 mars 2013 – PCHR Gaza – Vous pouvez consulter l’article en anglais à :
http://www.pchrgaza.org/portal/en/i...
Traduction : Info-Palestine.eu - Niha