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Cimetière Anglais de Gaza : le lieu où toutes les croyances reposent ensemble en paix
dimanche 2 juin 2013 - Asmaa al-Goul
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Ibrahim Jerada, employé à la Commission de l’entretien des sépultures de guerre du Commonwealth (Commonwealth War Graves Commission) et chargé du maintien et de la conservation du cimetière au nord de la ville de Gaza, le 17 octobre 2007 (photo de Mohamed Abed/AFP/Getty Images)

Ces soldats sont enterrés dans le Cimetière Militaire de Gaza, situé au bord de l’autoroute de Salah al-Din, à l’est de la ville de Gaza qui, bien qu’elle soit bondée et mouvementée, préserve la sérénité et le calme qui entourent la demeure finale des soldats.

L’histoire de ces combattants remonte à la Première Guerre Mondiale (1914 – 1918). Ils étaient venus combattre aux côtés des forces Alliées contre l’Empire Ottoman. Ils avaient pris part à trois batailles majeures, la plus importante étant celle de Wadi Gaza, ainsi que celle de Mantar. Le champ de bataille était leur dernière demeure et ils ont été enterrés dans un cimetière établi par les forces de la coalition, le « Commonwealth »

Le Cimetière Militaire de Gaza compte environ 4000 tombes, en plus d’un plus petit cimetière anglais comprenant 750 tombes, et situé au centre de la Bande de Gaza, dans la région d’al-Zawayida. D’après les archives du cimetière, les batailles étaient féroces en raison de la forte résistance à l’époque de la ligne de défense Gaza – Beersheba.

A l’intérieur du cimetière, l’éclat des couleurs des semis et des fleurs brille sur un gazon vert qui s’étend entre les tombes sur lesquelles on pouvait lire : « Connu de Dieu seul », le nom du défunt, son âge, son pays et son grade dans l’armée.

Le nom d’un soldat de 17 ans, sans doute le plus jeune d’entre eux, était gravé sur l’une des tombes. Il est mort le 19 avril 1917. Pas très loin, il y avait la tombe d’un autre soldat de 19 ans, mort à la même date. En passant devant 20 rangées de tombeaux, tous ornés d’une croix, j’arrive devant la tombe d’un soldat français, celles de quatre Allemands et, sur le côté, il y a un petit groupe de tombes de soldats Égyptiens.

Ibrahim Jarada est le gardien du cimetière. Aujourd’hui âgé de 76 ans, l’homme a commencé ce travail à l’âge de 18 ans et raconte à Al-Monitor : « Ce cimetière est une partie de moi. C’est mon endroit spirituel. C’est en fait plus qu’un endroit où je peux jouir de la solitude. J’ai eu beaucoup d’occasions pour voyager et quitter ce lieu, néanmoins, contempler les semis et les voir pousser est à mes yeux plus précieux que d’aller visiter n’importe quel autre pays du monde. »

Jarada a également évoqué son amour pour les plantes et les semis ainsi que l’attention particulière qu’il leur réserve à travers la « replantation. » Ensuite, il s’est rendu à son bureau situé sur le terrain qui se trouve derrière le cimetière. Là-bas, il a pris son Ordre de l’Empire Britannique (Order of the British Empire) qu’il a reçu lors d’une cérémonie organisée à Gaza en 1994.

Il a également sorti un livre intitulé « Honorés par la Reine » et dans lequel il a commencé à chercher son nom sur la liste suivant l’ordre alphabétique. En effet, une brève biographie accompagne son nom « Né en octobre 1937 et marié en 1956. A étudié à l’école de Jaffa et est père de neuf filles et quatre garçons. »

Retour au cimetière. Dans un coin plus à l’est, et parmi les plantules de palmiers se trouve un bloc de 22 tombes de soldats Canadiens ayant appartenu aux forces internationales de maintien de la paix. Ces forces étaient venues s’installer durant la guerre de 1956 qui, pour rappel, avait été conduite par la France, Israël et la Grande-Bretagne contre l’Egypte. Les soldats avaient été tués entre 1959 et 1966, et leurs tombes sont les plus récentes parmi toutes celles qui composent le cimetière.

Pas très loin des tombes des Canadiens se trouvent celles des soldats Indiens qui avaient combattu pendant la Première Guerre Mondiale. Parmi eux repose une douzaine de soldats Musulmans enterrés dans des sépultures sans pierres tombales suivant la tradition musulmane. De plus, il y a 25 soldats hindous enterrés également sans pierre tombale mais plutôt une bannière avec un texte écrit en Sanskrit. Il y a aussi une seule tombe d’un soldat Chrétien Indien.

Le cimetière a donc accueilli tous ces soldats, quelles que soient leurs nationalités et leurs religions. Toutefois, à y regarder de plus près, on remarque que les soldats sont en réalité répartis selon leurs croyances, même si la barrière qui sépare les tombes ne sont qu’une ligne d’arbres de romarin ou de clou de girofle. C’est en fait la volonté de leurs gouvernements respectifs.

Cependant, l’analyse de Jarada démontre combien pensif il est devenu après des années de solitude dans le cimetière : « Je ne me suis jamais posé des questions au sujet de la religion des soldats, ni ma famille et mes petits-enfants d’ailleurs. Cinq Juifs sont enterrés ici. Je me souviens de l’époque où Moshe Dayan était Ministre de la Défense, lorsqu’il avait tenté d’exhumer les corps des soldats sous prétexte que le cimetière n’était pas l’endroit approprié pour eux et pour leur foi. Personnellement, je m’y suis fermement opposé et je lui ai dit qu’il devait d’abord contacter la direction du cimetière au Royaume-Uni car jamais je ne le laisserai toucher et accéder aux corps. La mort est quelque chose de sacré et l’humanité qui nous lie nous dicte le respect de la mort et de l’humanité. »

Des milliers de tombes sont alignées comme des dominos. Cette scène vous fera certainement penser aux soldats sous ces pierres tombales, dont la majorité porte des croix, alors que d’autres sont ornées de l’étoile de David. Certaines pierres portent la Chahada – le témoignage de foi Musulman – tandis que d’autres représentent des citations hindoues.

Par ailleurs, Jarada rapporte à Al-Monitor : « J’ai oublié beaucoup de détails. Ce papier contient les informations et les titres de livres sur l’histoire du cimetière. J’étais très jeune lorsque mon père avait déjà commencé à le préserver. J’ai grandi au milieu de ces tombes et je m’en suis occupé pendant toutes ces années. J’y ai planté des arbres, et tous ceux épris d’agriculture ne peuvent pas l’abandonner facilement. Mes enfants aussi ont grandi ici, parmi ces tombes, et c’est ici même qu’ils ont fait leurs premiers pas. Avant, je pouvais reconnaitre chaque tombe et son endroit, mais plus maintenant, j’ai tendance à oublier ; mais j’essaie de composer avec cette situation. »

Issam, le fils d’Ibrahim Jarada, a lui aussi hérité la passion pour l’agriculture. L’homme de 47 ans ne manque pas de sourire en voyant les petits-enfants agacer leur grand-père et raconte : « Je me suis habitué à lui ; nous sommes deux âmes en une. Ce cimetière est notre deuxième maison. Avec les autres employés, nous nous occupons également de l’autre cimetière au centre de la Bande de Gaza. J’ai beaucoup de souvenirs dans cet endroit, comme lorsque j’avais six ans et que j’ai assisté aux funérailles militaires des soldats canadiens. »

La beauté du cimetière réside plus particulièrement dans l’entrée. Environ 40 arbres de cyprès qui s’étendent sur chaque côté jusqu’au portail principal sur lequel on peut lire en Anglais « Gaza War Cemetery » [Cimetière Militaire de Gaza]

Il y a également une liste sur un morceau de marbre sur lequel on a gravé en anglais, en arabe et en hébreu la déclaration suivante : « Le terrain du cimetière est un don du peuple palestinien désireux de rendre hommage et de commémorer la mémoire des soldats alliés, morts pendant la guerre de 1914 – 1918. »

Dans tous les cas, si vous souhaitez accéder au cimetière via le petit portail de fer en face des arbres de cyprès, vous allez devoir tester votre forme physique puisqu’il vous faudra sauter par-dessus car le portail est presque tout le temps fermé. A ce propos, Jarada explique : « Nous sommes préoccupés par certains intrus qui pénètrent les lieux avec leurs voitures ou leurs motos, bien que je croie fermement que si nous devons garder et préserver le cimetière, nous n’avons guère besoin de chaines ni de portails de fer, seules les valeurs morales suffisent. Il m’est arrivé des fois de rester impuissant devant ce qui se passe, incapable de le défendre, comme lorsque l’Opération Plomb Durci de 2008-2009 a éclaté. Durant cette guerre, 350 pierres tombales ont été détruites par les tirs d’obus israéliens. Et même lors de l’invasion israélienne de 2005-2006, il y a eu démolition de plusieurs tombes. »

Pas très loin du bureau de Jarada se trouve une petite pépinière où le gardien du cimetière opère des tests et des vérifications sur les semis avant de les planter entre les tombes. Jarada est convaincu que « la mort suscite le sentiment de peur et de tristesse » et c’est pourquoi, il œuvre à ce que tous ceux qui entrent au cimetière, notamment les familles des soldats qui viennent de temps à autre, se sentent à l’aise et décontractés. Après tout, les familles aimeraient bien voir les tombes de leurs chers regrettés dans un bon état et bien entretenues.

Ibrahim Jarada a par ailleurs ajouté que la vue de l’état d’abandon que connaissent les cimetières locaux le rend particulièrement triste. Au terme de notre visite, il a tenu à nous offrir un plant de romarin en guise de souvenir en concluant : « Mon dernier souhait avant de mourir est de ne pas être enterré dans un cimetière délabré et en mauvais état. »

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* Asma al-Ghoul est journaliste et écrivain, du camp de réfugiés de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza.

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2 mai 2013 – Al Monitor – Vous pouvez consulter l’article à :
http://www.al-monitor.com/pulse/ori...
Traduction : Info-Palestine.eu - Niha