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Prisonniers vs criminels
jeudi 19 avril 2007 - Amira Hass - Ha’aretz

Les rassemblements de soutien aux soldats enlevés et à leurs familles, comme moyen de pression sur la classe politique, suggèrent une saine évolution : le public israélien met donc en doute les motivations et la capacité du gouvernement Olmert pour tout ce qui a trait à la libération des trois prisonniers. Il fut un temps où la foi dans le souci du milieu politique pour le sort des prisonniers de guerre était absolue.

Mais le doute ne suffit pas, tout comme il ne suffit pas d’organiser des rassemblements. Même si les derniers rapports donnés par les médias sont vrais, qui parlent à nouveau d’un progrès dans les négociations en vue de la libération de Gilad Shalit, le discours dominant dans ces médias est celui de la Défense et du gouvernement - ceux-là même qui ont échoué dans leur mission de libération et ont conduit à deux offensives militaires sanglantes, sous le prétexte habituel de la lutte contre le terrorisme. L’une contre la Bande de Gaza et ses civils, et l’autre contre le Liban et ses civils.

Les coups portés aux Palestiniens armés et au Hezbollah sont rendus dérisoires par le bilan des victimes civiles - les tués et les blessés de Gaza et du Liban - et les atteintes aux infrastructures civiles. Ces offensives ont seulement éloigné les espoirs de libération et ajouté des mois de souffrances à ceux qui ont été enlevés et à leurs familles.

Ce sont la Défense et le gouvernement qui ont, à longueur d’années, forgé les axiomes qui prévalent en Israël à l’égard des prisonniers palestiniens. Un premier axiome veut que tout prisonnier de sécurité palestinien est un criminel. Même durant la période Oslo, Israël ne s’est pas libéré de cette définition et n’a pas reconnu les Palestiniens comme des prisonniers dont la libération ferait partie intégrante d’un processus de paix. Israël en a, il vrai, libéré des milliers et des milliers, mais il l’a fait au titre de geste du camp dominant. Il s’est également illustré par une attitude raciste en libérant des gens condamnés pour le meurtre de collaborateurs palestiniens, mais en ne libérant pas ceux qui avaient été condamnés pour avoir assassiné ou blessé des Juifs (dont des soldats).

C’est ainsi qu’aujourd’hui encore sont détenus en Israël près de 400 Palestiniens condamnés pour des crimes (définis comme tels par le code de lois de l’occupant) commis avant la signature de l’accord Gaza-Jéricho (en mai 1994). Les responsables de ces prisonniers - de Yasser Arafat à Mohamed Dahlan en passant par Yasser Abed Rabbo - ont passé des heures et des heures à des pourparlers et à des cocktails avec des représentants israéliens. Mais leurs subordonnés sont censés payer jusqu’au dernier jour de leur peine (de plusieurs dizaines d’années) ou rester en prison à perpétuité, ce qui contraste scandaleusement avec le sort des prisonniers juifs - en particulier des colons - qui ont été condamnés pour meurtre « sur fond de nationalisme » et sont rapidement libérés après remise de peine.

Il en est parmi les prisonniers palestiniens qui sont atteints de maladies graves, mais, vindicatif, le système israélien refuse de les libérer. Les familles de la majorité des prisonniers n’ont pas été autorisées à leur rendre visite pendant de longues périodes. Tous - et cela aussi est un axiome - font l’objet de discriminations quant à leurs conditions de détention, en comparaison avec les détenus juifs.

Depuis la signature des accords d’Oslo, de nombreux Israéliens dénient le fait qu’ils sont citoyens d’un Etat occupant et ils définissent l’actuelle Intifada comme une guerre qui aurait été déclarée par le fictif « Etat de Palestine ». Mais en dépit du fait qu’on la définit comme une guerre, un axiome largement répandu tient que les Palestiniens sont toujours des « terroristes » - même lorsqu’ils agissent contre des soldats et non contre des civils. Cet axiome a son propre axiome jumeau qui veut qu’il n’y ait de « soldats » que de notre côté, même quand ils sont envoyés pour opérer contre une population civile sous occupation.

Le dénominateur commun de ces axiomes est la distinction entre un sang et un autre sang, entre tel être humain et tel autre. Le Juif vaut toujours plus, beaucoup plus - quand il est victime, quand il est soldat, quand il est prisonnier. Cette distinction qui est faite joue un rôle non négligeable dans le soutien palestinien à la tactique de l’enlèvement. Si la raison politique, la négociation diplomatique et la conception d’une égalité de base n’ont pas conduit à la libération de prisonniers palestiniens, l’enlèvement d’Israéliens le fera. C’est un fait : il n’y a que quand des soldats sont enlevés qu’on se souvient en Israël de l’existence des prisonniers palestiniens et libanais.

Mais les rassemblements de soutien aux prisonniers ne contestent pas ces axiomes et ils en restent au statut de rituels destinés à plaire à ceux qui organisent ces rituels.


De la même auteure :

- Détention jusqu’à la mort
- Etrange manière d’être à l’étranger

Amira Hass - Ha’aretz, le 11 avril 2007
Version anglaise : Prisoners or criminals ?
Traduit de l’hébreu par Michel Ghys