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Le film palestinien « Condom Lead » nominé au Festival de Cannes
vendredi 3 mai 2013 - Asmaa al-Ghoul
Al Monitor

Un couple s’apprête à faire l’amour, mais l’acte se transforme soudain en culpabilité et impuissance quand s’entend un drone en arrière-fond qui couvre tous les autres bruits et mots.

L’épouse se rapproche de son époux. Il veut l’embrasser mais une nouvelle série de bombardements commence, les interrompant une fois encore. Leur fille se met à crier ; la mère s’en va l’apaiser pour qu’elle se rendorme puis revient vers son époux. Le grondement du drone recouvre tout. La femme touche un pied de son époux avec les siens et alors : Boom ! Une autre explosion. La fillette recommence à crier. La mère retourne auprès de sa fille. Le père fait sauter le préservatif, qui se transforme en une bulle. Des bulles remplissent la maison ; 22 jours se sont écoulés depuis le début de la guerre israélienne à Gaza. L’époux sort sur le balcon et voit des bulles-préservatifs s’échapper de chaque maison de Gaza dans la nuit.

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Telle est l’histoire de Condom Lead, film parodie sur la première guerre contre la bande de Gaza en 2008-2009, du nom de "opération Cast Lead". Il est entré dans la compétition du court métrage pour le 66e Festival du film de Cannes. Ce film est le premier de la bande de Gaza à entrer dans la compétition internationale.

Les réalisateurs sont deux frères jumeaux, Arab et Tarazan Nasser. Ils ont quitté la bande de Gaza il y a quelques mois pour participer à un festival du film en Jordanie, et y sont restés pour tourner leur idée osée, qu’ils n’auraient jamais été en mesure de tourner à Gaza, comme Tarazan le fait remarquer lors d’un entretien sur Skype avec Al-Monitor.

« Je suis extrêmement heureux, d’autant plus que le Festival de Cannes est un véritable défi, » dit-il. « Sans compter que c’est le premier court métrage palestinien à concourir. Nous estimons avoir accompli quelque chose de réel et d’important. »

Il affirme que son frère Arab s’attend à ce que le film aille jusqu’à la compétition finale. Ce n’est pas une question d’orgueil ni d’arrogance, mais ils sont bien conscients que leur œuvre est créative, humaine et belle.

Il ajoute également qu’une équipe palestinienne, fondatrice de la société Made in Palestine, est derrière le succès du film. Il souligne que le film est le premier film pour l’actrice et l’acteur qui ont les deux premiers rôles, et le premier aussi pour la société, dont une déclaration affirme que le Comité de sélection des courts métrages du Festival a reçu 3500 courts métrages, représentant 132 pays. La réalisatrice néo-zélandaise, Jane Campion, préside le Comité qui choisira la Palme d’Or du court métrage.

Pour sa part, Arab – portrait craché de son frère – dit qu’ils ont tourné le film en février. Ce film est un énorme défi, car il a été tourné en un seul jour, avec un coût de production de 5000 dinars jordaniens, soit environ 7000 dollars (environ 5300 €).

« Nous étions inspirés principalement par la tragédie de la première guerre contre la bande de Gaza, qui a duré 22 jours. Notre message est destiné à éveiller la conscience de la communauté internationale, et la conscience collective du monde arabe, sur la bande de Gaza et l’importance de protéger les droits et la culture d’un peuple de l’hégémonie de la politique » dit Arab.

Bien qu’ils préfèrent laisser les spectateurs interpréter eux-mêmes le film, ils expliquent l’idée qui en est à l’origine. « L’amour ne peut être mis de côté. C’est une autre forme de résistance. Le film montre que les machines de guerre ne peuvent triompher de la volonté humaine, mais qu’elles peuvent détruire l’esprit et la chair,  » disent-ils. « Le film parle du droit des gens à l’amour. Il est possible de se remettre d’une guerre, mais il n’existe aucun remède pour l’intimité. Au contraire, amour et passion deviennent des bulles prêtes à exploser  ».

Tarazan souligne que les relations intimes peuvent parfois être une quête de sécurité en temps de guerre. Il ajoute aussi que le film traite du vécu de la guerre, où qu’elle soit dans le monde, et que l’idée du préservatif est un symbole de prévention, ce dont Gaza a besoin pour prévenir les guerres contre elle.

Les réalisateurs m’ont permis de voir le film en postproduction. Il vous laisse pantois. Il montre comme la guerre peut affecter les désirs et affections des humains, transformant l’amour en un sentiment de trahison de la patrie.

Ils disent avoir été confrontés à de nombreux obstacles en Jordanie où ils se sont récemment installés. Cependant, le producteur les a aidés à les surmonter, y vivant depuis une longue période depuis que lui aussi a quitté Gaza.

Tarazan pense que le film exprime une idée philosophique de l’immortalité en temps de guerre, de l’importance de la joie, de la peur humaine, aussi bien que de la mort, de l’assassinat et du sang, dans une scène intime qui pourrait se dérouler tous les jours entre couples dans les guerres.

Les frères espèrent retourner bientôt à Gaza pour travailler dans l’industrie du cinéma, sans les pressions et les contraintes politiques et sociales auxquelles ils ont été confrontés quand ils y vivaient.

« Au final, notre travail est dédié à notre pays et à la bande de Gaza, mais d’un côté, il y a une division politique, et de l’autre, il y a la guerre » dit Tarazan.

Et d’ajouter que l’idée du film a été développée par Khalil al-Mazin, réalisateur palestinien qui vit à Gaza. Il leur en a parlé il y a longtemps, mais ils ne pouvaient pas même imaginer le réaliser dans la bande de Gaza, car c’était un film très osé.

L’actrice algérienne Maria Hamdi joue le premier rôle, tandis qu’un Palestinien, Rashi Abdul Hamid, remplit le premier rôle masculin, de même qu’il assure la production. Un groupe de photographes, appelé Plant 612 for Ideas, a aidé les réalisateurs à terminer le film.

Ils espèrent que le message du film surmontera les stéréotypes sur Gaza, qui sont liés à la mort et à la guerre.

Quand on les interroge sur le smoking qu’ils vont devoir porter au Festival, le 18 mai, les frères rient. D’après le protocole qu’ils ont reçu de la direction du Festival de Cannes, ils sont tenus de porter une tenue mondaine – ce qui sera une première pour eux.

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* Asma al-Ghoul est journaliste et écrivain, du camp de réfugiés de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza.

29 avril 2013 - Al Monitor - traduction : Info-Palestine/JPP