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Iran : Le mois des mauvais calculs
mercredi 18 avril 2007 - Mustafa El-Labbad - Al-Ahram Weekly

Ce mois de mars a marqué un tournant particulièrement délicat dans la crise nucléaire iranienne, vieille de quatre ans, et apporté avec lui les premières négociations ouvertes entre Washington et Téhéran, à Bagdad, sur le futur de l’Irak . Cependant, elles ont rapidement été suivies par la Résolution 1747 du Conseil de Sécurité de l’ONU, renforçant davantage les sanctions afin d’obliger l’Iran à arrêter ses activités d’enrichissement d’uranium.

Les forces navales de la Garde Républicaine iranienne ont doublé la mise de manière considérable et ont fortement accru les tensions dans la région après avoir intercepté une unité navale britannique de 15 membres, prétendument pour avoir violé les eaux territoriales iraniennes, et après les avoir transférés à Téhéran.

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Photo provenant de la télévision iranienne en arabe Al-Alam montrant un soldat de la marine britannique pointant son doigt vers une carte du Golfe [AFP]

Toutefois, ce qui apparaissait comme une crise imminente et de grandes proportions a été calmé suite à des rencontres diplomatiques urgentes entre Iraniens et Anglais, après quoi le président iranien Mahmoud Ahmadinejad a annoncé hier dans une conférence de presse que les soldats de la marine seront libérés de suite et emmenés à l’aéroport.

Ahmadinejad, toujours maître de la politique de la corde raide, a toutefois répété ses allégations en disant que les « soldats étaient entrés dans les eaux iraniennes », mais qu’ils seront libérés comme « un cadeau pour la Grande-Bretagne ».
Au cours de la conférence, il a décerné des médailles aux commandants qui ont capturé le corps britannique. Le rusé leader iranien a aussi tenté de marquer plus de points politiques en attaquant l’invasion étasunienne de l’Irak et en critiquant des pays qu’il a accusés d’être derrière la misère et la destruction dans le monde.

Cette confrontation n’avait eu qu’un seul précédent, qui a eu lieu en 2004. Des fuites provenant de la Russie ont crée de graves tensions supplémentaires donnant du poids aux prédictions d’une imminente frappe militaire contre les installations nucléaires de l’Iran. Les fuites ont donné une date précise, le vendredi 6 avril.
Les approches parallèles à la crise, l’une ayant un caractère de conciliation, l’autre de confrontation, et la manière dont la situation peut rapidement changer de l’une à l’autre étaient manifestes.

Washington a plongé tête la première dans un conflit sur les sphères d’influence et les intérêts stratégiques avec un adversaire coriace, sans pareil depuis la chute de l’Union Soviétique en 1990. Pour ce qui est de la Somalie, de la Serbie, de l’Afghanistan et de l’Irak, les Etats-Unis ont pu conduire leurs batailles militaires et politiques avec une aisance relative. Ce n’est pas le cas avec l’Iran, qui a d’énormes réserves de pétrole, une position fortement avantageuse sur le Golfe et un réseau d’alliances régionales.
En outre, il possède une roublardise politique capable de tirer bénéfice de ces avantages avec la plus grande dextérité, tout en profitant en même temps du bourbier de l’administration Bush en Irak.

Certes, la machine militaire étasunienne dépasse largement celle de l’Iran, mais avec les cartes qu’il a, l’Iran possède au moins le pouvoir dissuasif pour faire réfléchir Washington à deux fois avant d’avoir recours à l’option militaire, comme elle l’a fait si promptement dans d’autres conflits.
Du fait de la force du jeu iranien et de la faiblesse des étasuniens concernant le bourbier irakien, la Résolution 1747 ne peut être jugée seulement en termes d’efficacité ou inefficacité potentielle à forcer l’Iran à se soumettre à la volonté des membres du Conseil de Sécurité. En effet, le caractère symbolique et la légitimité de la résolution ont un rôle considérable dans son impact politique et économique. Il est important de garder à l’esprit que cette résolution vient en plus de la Résolution 1737 de l’an dernier, qui a effectivement retiré la couverture de l’argument légal de Téhéran pour avoir refusé d’abandonner son programme d’enrichissement d’uranium, modifiant entièrement les termes du débat. Depuis lors, la question centrale n’a pas été si oui ou non l’Iran a le droit d’enrichir de l’uranium, mais par quel procédé exactement peut-on forcer l’Iran à se conformer aux exigences de l’ONU.

La Résolution 1747 couronne ce développement. Les sanctions qu’elle impose contre divers individus et institutions ayant un lien avec la Garde Républicaine iranienne peuvent constituer une marque de pression. Ce qui est plus significatif, cependant, c’est le fait qu’elles représentent la résolution de la « communauté internationale » à empêcher l’Iran de s’atteler à un cycle complet de l’énergie nucléaire. Après tout, le Conseil de Sécurité, que cela plaise ou non, est la plus haute autorité de l’ONU, qui a incarné la « légitimité internationale » depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Le Conseil de Sécurité a donné à Téhéran deux mois pour se soumettre à la Résolution 1747, après quoi nous pouvons nous attendre à un resserrement supplémentaire de la corde.

Il n’est par conséquent pas surprenant qu’en même temps que les développements au Conseil de Sécurité, l’Iran ait exacerbé les tensions en faisant de la contrebande de missiles sol-air en Irak. Quelques jours plus tard, sept hélicoptères étasuniens étaient abattus. Il a effectué des manoeuvres navales dans le Golfe et inauguré un nouveau sous-marin.

Après la capture spectaculaire et la libération de l’unité navale britannique, l’ardeur avec laquelle les Iraniens ont couru après le bateau britannique suggère qu’ils savaient qu’ils pouvaient transformer cet incident en un joli coup. Par ce biais, ils ont porté le message que tout accord explicite ou tacite entre Téhéran et Washington devra assurer les intérêts iraniens (pétrole, influence et eaux territoriales) dans le sud irakien s’il assure les intérêts étasuniens dans le nord. Deuxièmement, en forçant Londres à entrer dans des négociations directes pour la libération des soldats et marins capturés, l’Iran a réussi à briser son isolement international.

Troisièmement, l’Iran a utilisé l’incident pour concentrer de nouveau l’attention publique sur les priorités sécuritaires nationales et pour rassembler les Iraniens une fois de plus derrière le gouvernement d’Ahmadinejad, qui avait reçu un sérieux coup lors des résolutions 1737 et 1747.
Cela dit, que l’Iran gonfle ses muscles dans le Golfe n’est pas en soit suffisant pour attirer Washington à la table de négociation sur la question nucléaire. Simultanément, les Iraniens devraient être prudents pour que le bourbier étasunien en Irak ne les trompe pas en surestimant leur force, ou en exagérant leur jeu.

Une évaluation franche de la situation iranienne d’aujourd’hui reconnaîtrait que la position de négociation de Téhéran a commencé à s’éroder en conséquence des résolutions 1737 et 1747, qui l’ont laissé devant la possibilité de sanctions encore plus dures qui affaibliraient davantage son pouvoir de négociation dans toute discussion bilatérale avec les Etats-Unis.

L’Iran a réussi par sa persévérance à remplir le vide régional, en raison de la politique étasunienne au Moyen-Orient. Cependant, il manque à l’Iran la possession de ce qui, en Corée du Nord, a prouvé être vitale dans toute confrontation avec la superpuissance : des véritables têtes nucléaires. C’est seulement cela qui peut écarter l’option militaire, laissant les négociations comme seule voie disponible. Autrement dit, l’Iran a un bon jeu en main qu’il joue bien en général. Mais il ne possède pas l’atout.

6 avril 2007 - Al-Ahram Weekly -
Vous pouvez consulter cet article à : http://weekly.ahram.org.eg/2007/839...
Traduction de l’anglais par M. Ahmed