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Mort d’un prisonnier cruellement traité durant de nombreuses années par les médecins israéliens
mardi 2 avril 2013 - Linah Alsaafin
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Le 28 mars, les Palestiniens de la prison israélienne d’Eshel ont publié une déclaration informant le monde que le prisonnier Maysara Abuhamdia, 64 ans, avait perdu toutes ses facultés de mouvement et qu’on s’attendait à ce qu’il meure à tout moment.

La déclaration a été rendue publique sur Facebook par un groupe de soutien aux prisonniers appelé Kasr al-Qeid (Rompre les chaînes). Les prisonniers ont ajouté que la prochaine déclaration qu’ils feraient ne serait pas un autre appel à l’aide, mais une lettre de condoléances à la famille d’Abuhamdia. La veille, les prisonniers ont envoyé une autre déclaration intitulée « Maysara n’est pas seul » et ont appelé les Palestiniens à mettre tout en œuvre pour assurer sa libération.

Abuhamdia avait commencé à se plaindre de douleurs dans la gorge et d’une enflure dans le cou en août 2012. Selon son avocat Rami al-Alami, entre août et décembre, Abuhamdia n’a été admis à l’hôpital que deux ou trois fois : les médecins lui ont fait des biopsies mais ont refusés de lui dire de quoi il souffrait.

« Au lieu de lui fournir un traitement correct, les médecins lui ont fait des piqûres contre la grippe qui lui ont valu des douleurs pénibles dans la poitrine, lesquelles l’ont quasiment privé de sommeil par la suite », a déclaré al-Alami.

Deux mois plus tard — après qu’Abuhamdia eut complètement perdu la voix et eut également perdu 15 kilos — les médecins ont examiné son cou gonflé et lui ont dit qu’il n’avait plus que quelques jours à vivre.

La sœur d’Abuhamdia lui a rendu visite en janvier et a confirmé qu’il avait presque totalement perdu sa voix.

« Il est malaisé de le comprendre », a-t-elle dit par téléphone à The Electronic Intifada. « J’étais censée le revoir en mars, mais la prison d’Eshel est frappée d’une punition collective et il n’y aura pas de visites familiales avant qu’on ne nous en informe. »

Itidal a déclaré que son frère n’était pas à l’hôpital à ce moment-là, mais qu’il avait été transféré de la prison d’Eshel à Bir al-Saba (Beersheva) — une ville de la région du Néguev (Naqab), dans le sud d’Israël — à l’hôpital de Saroka pour un traitement.

« Les médecins savaient que c’était un cancer, mais ils ne l’ont pas dit à Maysara », a déclaré al-Alami. « Ce n’est qu’en mars, après que sa famille lui a parlé de son cancer, qu’il a finalement reçu des séances de chimiothérapie à l’hôpital de Saroka. » Les séances ont cessé provisoirement, en raison des congés juifs.

« Je ne puis imaginer les douleurs qu’il éprouve rien que pour se rendre à l’hôpital », a déclaré Itidal, la sœur de Maysara. « Le transfert des détenus par bosta [un véhicule cellulaire sans vitres, avec un intérieur en tôle métallique et sans sièges] est déjà pénible mais, pour un patient cancéreux, ce doit être un enfer. »

La résistance et l’exil

Le fils aîné de Maysara, Tariq Abuhamdia, 30 ans, termine ses études d’ingénieur mécanicien à Virginia Tech, aux États-Unis, et il gère la page Facebook Freedom for Maysara Abuhamdia (la liberté pour M.A.), qui fournit des informations sur la biographie de son père et publie en arabe et en anglais des mises à jour sur son état de santé.

Né à Hébron en 1948, Abuhamdia rallia les forces révolutionnaires combattant l’occupation israélienne alors qu’il avait 20 ans.

La première arrestation d’Abuhamdia eut lieu en 1969, quand il fut été accusé de faire partie de l’Union des étudiants palestiniens. Plus tard, il obtint un diplôme d’électronicien au Caire. Par la suite, il rejoignit le Liban, puis la Syrie, où il rallia les camps militaires du Fatah.

Entre 1970 et 1975, il essaya de décrocher une licence en droit à l’Université de Beyrouth mais, en raison des arrestations et poursuites permanentes dont il faisait l’objet des œuvres des services israéliens de renseignement et de leurs collaborateurs arabes, il ne put terminer ces études et, en lieu et place, travailla en Syrie, au Liban, au Koweït et en Jordanie. Chaque fois qu’Abuhamdia rentra chez lui en Cisjordanie, il se fit arrêter. Il fut emprisonné dans le cadre des mesures israéliennes de détention administrative, une forme d’incarcération qui maintient les détenus en prison durant une période indéterminée, sans accusation ni jugement.

Au Liban, il fut combattant de la résistance et membre de la Brigade Jurmuq, un groupe de résistance du Fatah principalement constitué d’étudiants sous la direction de Muin Taher. Le groupe comptait également en ses rangs la combattante Dalal al-Mughrabi, qui effectua une opération à Tel-Aviv en 1978, au cours de laquelle elle fut tuée en même temps que plusieurs autres militants et 38 civils. En 1976, Abuhamdia fut arrêté par les forces israéliennes et passa deux ans en détention administrative, après quoi il fut exilé en Jordanie.

En Jordanie, Abuhamdia travailla dans les bureaux d’Abu Jihad al-Wazir, le commandant de l’aile armée al-Assifa du Fatah, et qui lui aussi avait été expulsé du Liban en même temps que les combattants de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) après l’invasion par Israël, en 1982. (Abu Jihad fut plus tard exilé de Jordanie en Tunisie en 1986, et fut assassiné par des agents du service d’espionnage israélien du Mossad, le 16 avril 1988, à son domicile de Tunis.)

Après la signature des accords d’Oslo entre les responsables de l’OLP et Israël, en 1993, les autorités israéliennes ont refusé d’inclure Abuhamdia parmi les gens autorisés à « rentrer » en Palestine. Il ne put y retourner qu’en 1998, après une intervention de Yasser Arafat.

Abuhamdia reprit son existence en Cisjordanie et travailla au sein des Forces de sécurité préventives de l’Autorité palestinienne. Il fut arrêté le 28 mai 2002, au cours de la Seconde Intifada. Une longue liste d’accusations pesaient sur lui, dont certaines remontaient à 1991.

« Mon père a passé 105 jours au célèbre centre de détention de la Mission russe de Jérusalem pour y être interrogé », déclare Tariq, son fils. « Il n’a jamais lâché le moindre renseignement aux personnes qui l’interrogeaient. Israël eut les pures difficultés à savoir à quelle faction il appartenait. Dans les années 1970, les Israéliens pensaient qu’il travaillait pour le FPLP (Front populaire – de gauche – de libération de la Palestine). Actuellement, ils l’accusent d’être affilié au Hamas et de coopérer en même temps avec le Fatah. »

Auteur et enseignant

Le 2 juin 2005, Abuhamdia fut condamné à 25 années d’emprisonnement. Deux ans plus tard — le 22 avril 2007 — le procureur militaire israélien fit appel contre cette sentence, qui fut prolongée à 99 années de prison.

Abuhamdia est considéré comme un dirigeant par les autres prisonniers et ce, en raison de son âge et de sa sentence et il a subi sa détention à la prison d’Eshel. Il étudiait l’histoire par correspondance à l’Université Al-Aqsa de Gaza avant que sa santé ne se dégrade.

« Mon père aimait la littérature. Outre l’arabe, il lisait l’hébreu et l’anglais », dit Tariq. « En prison, il était essentiellement un écrivain et un enseignant. Il écrivait sur la vie en prison, il rédigeait des analyses politiques et sur d’autres sujets et il a été publié dans de nombreux journaux. Il aimait la littérature russe, comme Tolstoï et Dostoïevski, et il donnait des cours quotidiens aux prisonniers sur l’histoire moderne de la Palestine et sur la géopolitique afin d’élever leur niveau de connaissance et de conscience. Les jeunes prisonniers le considèrent comme un père. »

Une négligence intentionnelle

C’est en 2007 qu’Abuhamdia s’est mué en victime – une de plus – de l’« abattoir » de Ramleh après avoir été admis à la clinique de cette prison en raison d’un douloureux ulcère à l’estomac. Il rédigea une lettre décrivant les négligences médicales intentionnelles des Services pénitentiaires israéliens et le comportement inhumain des médecins à l’égard des prisonniers malades qui, affirmait-il, étaient soumis à des expériences médicales sans leur consentement. Dans un extrait traduit et posté par Tariq et qu’on peut lire sur Facebook, Maysara Abuhamdia déclare :

« Cette négligence délibérée commence pendant le traitement, quand les médecins reçoivent l’ordre de ne pas soigner le patient, mais de lui donner des tranquillisant sans appliquer le moindre traitement aux régions en mauvais état du corps. »

Il ajoute : « Ces instructions émanent de l’appareil sécuritaire israélien et le but est de maintenir les prisonniers en vie sans les soigner, afin que cela serve de leçon aux autres. »

Dans se lettre, Abuhamdia fait état des mauvais traitements infligés à d’autres prisonniers malades à Ramleh, comme Alaa Hassouneh, qu’il décrit comme souffrant d’une affection cardiaque, mais à qui l’on ne donne que des antidouleur. Un autre prisonnier, Mansour Maqoudeh, a reçu une balle dans l’épine dorsale durant son arrestation par les forces d’occupation en 2002 et il en est resté paralysé. Les Services pénitentiaires israéliens lui ont fait des injections dans l’abdomen, ce qui a provoqué de graves problèmes intestinaux. Maqoudeh souffre d’accès de convulsions et de pertes de conscience et il ne peut uriner que via un sac en plastique, comme l’a déclaré son avocat à l’adresse du journal en arabe Donia Alwatan, le mois dernier.

Ce n’est un secret pour personne que les prisonniers malades sont cruellement maltraités, à Ramleh. L’ancien gréviste de la faim Khader Adnan nous a décrit un jour la façon inhumaine dont les prisonniers étaient traités par les autorités israéliennes, alors qu’ils étaient couchés dans le désespoir et la douleur sur leurs lits d’hôpital.

« Certains recevaient des coups, à l’occasion, d’autres étaient enchaînés par les bras et les jambes à leurs lits d’hôpital, d’autres encore étaient placés dans des espèces de cages et on les ignorait totalement », a déclaré Adnan. « C’est tout simplement un endroit horrible. »

Les décès en détention

Depuis 1967, 51 détenus palestiniens des prisons israéliennes sont morts de négligence médicale. Actuellement 700 prisonniers ont besoin de soins médicaux et 18 se trouvent à l’hôpital de la prison de Ramleh, estime le Palestine News Network. Les autorités israéliennes veillent à ce que les prisonniers ne meurent pas à l’hôpital et les renvoient chez eux une fois qu’elles sont certaines que le prisonnier est sur le point de mourir, comme ç’a été le cas avec Zuhair Lubada, de Naplouse, et Ashraf Abu Thrae, de Hébron, mort le 21 janvier de cette année.

Lubada est décédé le 31 mai 2012 — une semaine après sa libération de Ramleh. Dans le coma au moment où il a été libéré, Lubada a été transféré directement à l’Hôpital du Gouvernement national à Naplouse. Il avait passé en tout 14 ans derrière les barreaux et on rapporte qu’il souffrait d’insuffisance rénale, de sclérose du foie, d’une tumeur aux poumons et d’hépatite B.

S’exprimant à l’époque du décès de Lubada, le chercheur Ahmad al-Beetawi, qui travaille pour la Fondation de la solidarité internationale, a déclaré : « Israël s’assure que les détenus gravement malades décèdent peu de temps après leur libération. De la sorte, Israël évite la confrontation avec le détenu et tente de se mettre à l’abri de tout blâme. » (« Un détenu malade, libéré voici une semaine, meurt à l’hôpital », IMEMC, 31 mai 2012)

Pour Tariq Abuhamdia, qui vit à des milliers de kilomètres et qui est confronté au cancer de son père et à sa mort imminence, c’est particulièrement pénible. Tariq espère que ses deux filles, que Maysara n’a jamais vues sauf sur des photos et dont il s’enquiert dans chacune de ses lettres, pourront un jour s’asseoir sur les genoux de leur grand-père.

« J’ai le cœur brisé pace que je ne peux pas prendre soin de lui », a déclaré Tariq. « La dernière fois que je l’ai vu, c’était il y a trois ans et son moral était très bon. Je l’imagine assis sur son lit, respirant avec difficultés, alors qu’il ne peut pas manger, qu’il ne peut changer de vêtements et je ne puis rien faire à cela. Dans cette situation, vos rêves et vos espoirs s’amenuisent. »

« Nous avons lancé un appel à tous ceux dont on peut penser qu’ils pourraient assurer la libération de mon père » a-t-il ajouté. « Je pense que ces organisations perdent leur temps. C’est aussi une honte indicible que mon père ait le rang de général de brigade au sein de l’AP [Autorité palestinienne] et que cette même AP ne soit pas capable de le faire libérer alors qu’en même temps, elle poursuit sa coopération sécuritaire avec. Ce n’est même pas de la coopération, ils obéissent aux ordres comme des esclaves. » ...

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1e avril 2013 - The Electronic Intifada - Traduit et publié sur Plate-forme Charleroi-Palestine - Traduction : JM Flémal