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La « gauche » israélienne bascule à l’extrême-droite
mercredi 30 janvier 2013 - Jonathan Cook
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19 février 2012 - Des soldats israéliens kidnappent un jeune palestinien sur le site d’Al-Aqsa à Jérusalem sous occupation - Photo : AFP/Ahmad Gharabli

Dans ces récits, Yair Lapid, une vedette de la télé dont l’organisation Yesh Atid fait partie de ce que les Israéliens appellent le « bloc de centre-gauche », est arrivé de nulle part pour remporter 19 sièges, ce qui fait de son organisation le deuxième plus grand parti. Il a pris beaucoup de votes, il semble, à Netanyahou et au Likoud, ce dernier remportant 31 sièges dans le cadre d’un pacte électoral avec un parti fasciste, Israël Beitenou. Dans le Parlement sortant, ils totalisaient à eux deux 42 sièges.

On s’attend à ce que Lapid soit le faiseur de roi. Selon le récit mythique, il est en son pouvoir de soit participer à un gouvernement de coalition de droite avec Benjamin Netanyahou et de le « modérer », ou de refuser l’invitation et de rester dans une opposition de centre-gauche qui harcèlera Netanyahu à chaque occasion.

Telle est l’interprétation promue, par exemple, par Ari Shavit, un commentateur de premier plan au journal Haaretz : « Netanyahou, semble-t-il, va remporter un troisième mandat en tant que Premier ministre, mais il ne gouvernera pas le pays. Sa vie ne sera pas facile, pas politiquement et non en termes de politique ... Cette semaine cette marche ridicule de la droite vers l’extrême-droite a pris fin, et la nouvelle marche de la droite vers le centre a commencé. »

La réalité est assez différente. Cette élection a été un gifle personnelle pour Netanyahou, sans doute, mais pas pour la droite. Netanyahou a mal interprété l’humeur du public, mais pas sur les questions centrales qui devraient définir le clivage gauche-droite en Israël, à savoir le conflit israélo-palestinien et des décennies d’une cruelle occupation israélienne.

Son erreur fut de croire qu’il avait su marginaliser les ainsi nommées « protestations pour la justice sociale » qui ont secoué Israël l’été 2011 mais ont échoué à se développer de manière significative l’année dernière. La classe moyenne blanche en Israël, comprenant les juifs ashkénazes, est restée mécontente de ce qu’elle considère comme le déclin rapide de ses privilèges et de son niveau de vie. Les politiques néolibérales de Netanyahou ont en effet permis a une élite privilégiée dans le monde des affaires d’accumuler toujours plus de pouvoir et de richesse, avec parmi eux de nombreux bienfaiteurs du Likoud.

Lapid a quant à lui, su capturer l’humeur d’apitoiement sur soi des manifestants avec leur demande que tous les Israéliens « partagent le fardeau » - une allusion directe vers la communauté sans cesse croissante des juifs religieux fondamentalistes connue sous le nom de Haredim, et vers l’importante minorité de 1,4 million de citoyens palestiniens en Israël. Le « partage du fardeau », dans ce cas, fait principalement référence au fait de servir dans l’armée, ou de faire un service national équivalent.

Loin d’un effondrement de la droite, les élections ont démontré que la droite continuait à déplacer le centre de gravité politique - en particulier en ce qui concerne l’avenir du conflit israélo-palestinien - toujours plus loin vers l’extrême-droite.

Cela a été le plus évident dans les changements dans la composition du Likoud lui-même. Des primaires organisées peu de temps avant les élections afin de sélectionner la liste des candidats du parti à la Knesset, ont clairement été remportées par les colons et l’extrême droite. La toute relative aile libérale du Likoud a été renversée par un putsch, pour être remplaceée par des ultra-nationalistes. Se trouve parmi eux Moshe Feiglin, qui a mené au nom des colons et depuis plus d’une décennie, les tentatives de prendre le contrôle du Likoud . Il va maintenant occuper pour la première fois un siège à la Knesset.

L’évolution du Likoud vers l’extrême droite, s’est faite tout en maintenant l’impression que c’est toujours ce parti qui représente la droite traditionnelle israélienne. Il a rejoint deux autres partis d’extrême-droite - Yisrael Beiteinu (Israël est notre maison) et Habayit Hayehudi (le Foyer juif) - qui se sont immiscés dans le monde politique, bien qu’accrochés à leurs programmes extrémistes.

Dix ans plus tôt, Yisrael Beitenou, dirigé par Avigdor Lieberman, était un parti d’extrême-droite assez marginal s’incrustant parmi les immigrants de l’aex-Union soviétique. Et l’Union nationale, l’ancêtre de Habayit Hayehudi, était une petite organisation avec une audience limitée, exceptée dans les colonies. Liberman et le nouveau dirigeant de Habayit Hayehudi - tous les deux d’anciens acolytes de Netanyahou - ont rapidement transformé leurs partis en gagnant un appui beaucoup plus large. C’est précisément l’alignement des programmes des partis de Lieberman et Netanyahu qui leur ont permis de créer une liste électorale commune.

Ces trois partis d’extrême droite - le Likoud, Israel Beitenou, et le Foyer juif - détiennent désormais 43 sièges à la Knesset sur un total de 120 sièges, soit plus d’un tiers. Le scénario le plus probable est que, ensemble, ils formeront la base de la prochaine coalition gouvernementale.

La mesure du déplacement des votes vers la droite, est manifeste si l’on considère les vues que ces partis, ou leurs principaux responsables, ont ouvertement défendues.

Lieberman parle de la minorité palestinienne comme d’une « cinquième colonne, » qui devrait être dépouillée de ses droits à la citoyenneté grâce à une combinaison de redéfinitions de frontières et d’imposition de tests de loyauté. Le Foyer juif, quant à lui, a déclaré qu’Israël devrait immédiatement annexer la zone C, c’est-à-dire 62% de la Cisjordanie placée par les accords d’Oslo et de façon supposée temporaire, sous une complète domination israélienne mais à présent truffée de colonies. Comme le Likoud, aucun de ces partis n’envisage un État palestinien - même limité à quelques morceaux de la Cisjordanie – comme une perspective acceptable.

Les virulentes positions anti-arabes, dirigées contre les Palestiniens des deux côtés de la Ligne verte, rappellent le parti Kach, dirigé par le rabbin Meir Kahane et interdit dans les années 1980 pour incitation au racisme.

Michael Ben Ari, un ancien dirigeant du Kach, qui a failli gagner une place à la Knesset pour le parti Otzma Leysirael (Israël fort), a été particulièrement clair : « Je ne suis pas le seul à représenter le rabbin Kahane. Il est représenté par beaucoup de gens partout dans le monde, à l’intérieur et à l’extérieur de la Knesset. »

Le glissement vers la droite au cours de la dernière décennie s’est également produit dans les deux partis fondamentalistes religieux juifs, le Shas et le Judaïsme unifié de la Torah - et pas seulement du point de vue de leurs politiques sociales, mais aussi en ce qui concerne le conflit israélo-palestinien. Les ultra-orthodoxes, ou Haredim, ont été autrefois clairement anti-sionistes, estimant que la création d’un État juif avant la venue du Messie était un blasphème.

Mais les partis sionistes israéliens ont lentement et insidieusement coopté les Haredim. Ils l’ont fait en mettant en place des communautés exclusivement ultra-orthodoxes juste de l’autre côté de la Ligne verte, en Cisjordanie. Les Haredim, avec leurs grandes familles de jusqu’à dix enfants chacune, sont toujours désespérément à la recherche de nouveaux logements bon marché dans des communautés à part où ils n’auraient pas à se mélanger avec des Israéliens laïques.

Les villes de Haredim, de l’autre côté de la Ligne verte, sont aujourd’hui les plus grandes et les plus dynamiques des colonies en Cisjordanie. En conséquence, les ultra-orthodoxes sont devenus largement ambivalents à propos du sionisme, et toujours plus engagés dans le renforcement des colonies et la déportation des Palestiniens. Leurs partis, en particulier celui du Shas, ont réagi avec une rhétorique anti-arabe de plus en plus forte et une opposition à tout processus de paix.

Suite à cette élection, le bloc d’extrême droite et les partis religieux totalisent 61 sièges, soit un peu plus de la moitié de la Knesset.

Contrairement à l’orthodoxie dominante, le bloc de la soi-disant opposition de « centre-gauche » n’est pas un réel contrepoids à la droitisation de ces partis. Ce bloc – dont le parti Yesh Atid de Lapid, le parti Kadima qui actuellement fonctionne avec peine et a été créé par Ariel Sharon il y a sept ans en rupture avec le Likoud, et une nouvelle faction appelée Hatnuah mise en place par l’ancienne chef de file du Kadima, Tzipi Livni - épouse des positions qui l’auraient auparavant aisément fait se classer dans l’aile droite israélienne traditionnelle. Le centre-gauche israélien a simplement rempli le vide politique laissé par le déplacement du Likoud vers l’extrême droite.

De même, le parti travailliste – qui n’a jamais été le parti de la paix qu’il prétend être - a selon les dires de son nouveau dirigeant Shelly Yachimovich, repoussé l’idée même de défendre une solution au conflit israélo-palestinien. Au lieu de cela, Yachimovich est monté dans le train de la justice sociale comme Lapid, plaidant pour un retour au sionisme du passé, uniquement concentré sur les conditions de vie de la classe moyenne juive israélienne.

Cette classe moyenne comprend bon nombre de colons sans idéologie particulière, qui ont été soudoyés par les gouvernements successifs pour aller s’installer dans les colonies aux allures de forteresses en Cisjordanie. C’est l’une des raisons pour lesquelles le centre-gauche a évité la plupart du temps de parler d’un État palestinien ou de son corollaire, à savoir un démantèlement des principales colonies. Au lieu de cela elle s’est concentrée durant la campagne électorale sur la cible beaucoup plus facile de l’échec des Haredim et des « Arabes » - les Palestiniens avec la citoyenneté israélienne - à respecter leurs obligations.

Lapid est un exemple de cette stratégie. Quand il mentionnait les Palestiniens, c’était surtout pour répéter devant son auditoire qu’il leur faudrait renoncer à leur capitale à Jérusalem Est, qui, selon lui doit rester dans les mains des Israéliens dans tout accord final. Quand il a parlé des colons, c’était pour s’engager à « la construction de colonies pour répondre à la croissance naturelle ».

Mis à part les questions sur la justice sociale, la différence de fond entre le centre-gauche et l’extrême-droite ne concerne pas les Palestiniens ou le processus de paix. Ce qui est en cause, c’est l’importance accordée par chaque côté à la dégradation de la réputation d’Israël au niveau international et surtout de ses relations avec la Maison Blanche.

L’extrême-droite, dont font partie Netanyahou et le Likoud, est tellement attachée à son intransigeance idéologique sur la question palestinienne qu’elle est prête à risquer l’isolement et le statut de paria plutôt que de faire des concessions, même les plus insignifiantes. Le centre-gauche, quant à lui, s’inquiète ouvertement des dommages que l’intransigeance d’Israël peut produire à long terme sur ses intérêts stratégiques. Ils n’ont pas l’intention de proposer beaucoup plus aux Palestiniens que Netanyahou et le reste de la droite, mais ils croient en la nécessité de perpétuer un processus de paix futile, comme moyen d’éviter de s’aliéner les supporters d’Israël et d’exposer au grand jour la mauvaise foi de ses dirigeants.

Dans cette querelle politique, les Palestiniens ne représentent guère plus qu’un théâtre d’ombres.

La vraie division politique, en termes de processus de paix, se situe entre les sionistes et les partis non-sionistes à la Knesset - ou, plus précisément, entre les partis juifs et les trois partis palestiniens ou majoritairement palestiniens.

Ces partis palestiniens, qui représentent approximativement les camps socialistes, islamiques et nationalistes parmi les citoyens palestiniens, détiennent environ un dixième des sièges à la Knesset. Ils ont dû se battre lors des récentes élections pour convaincre leurs électeurs d’aller voter. Lors des avant-dernières élections, seulement 53 pour cent des citoyens palestiniens s’étaient déplacés, ce qui représentait le nombre de votants le plus faible dans l’histoire de la minorité.

Il y a plusieurs facteurs responsables de cette diminution progressive de l’intérêt de la minorité palestinienne - à l’intérieur de la Ligne verte - pour la politique nationale israélienne. En partie, cela découle d’une prise de conscience que la lutte pour l’égalité civique est vouée à l’échec à cause du statut d’Israël en tant qu’État exclusivement juif. Une seconde raison est la marginalisation des partis palestiniens, au point où ils ne peuvent guère faire plus que protester en marge de la Knesset. Et une troisième raison est la crainte que plus les partis palestiniens feront de la Knesset une arène pour la confrontation, plus la politique israélienne se fera assurément anti-arabe.

Mais la puissance du récit mythique s’est imposée très loin. C’est ainsi que peu de temps avant le jour du scrutin, la Ligue arabe a exhorté les électeurs palestiniens en Israël à aller voter pour assurer que les partis palestiniens soiet bien représentés à la Knesset. Cet appel, et les avertissements des partis palestiniens du danger que représente la montée de l’extrême-droite, semblent avoir provoqué une légère augmentation du taux de participation à 56 pour cent.

L’hypothèse de la Ligue arabe était que les camps de gauche et de droite en Israël se battraient pour le contrôle du gouvernement et que quelques sièges supplémentaires pour les partis palestiniens pourraient avoir un impact décisif en aidant le centre-gauche - avec l’espoir de pouvoir par ce biais relancer le processus de paix.

Mais en réalité, tous les partis sionistes, y compris le centre-gauche, sont d’accord sur les principes fondamentaux :
- Israël doit être un État juif, ou une ethnocratie, qui représente la communauté juive dans le monde entier, et non pas ses propres citoyens ethniquement mixtes,
- un État palestinien viable serait une menace stratégique pour Israël et sa mise en place doit à tout prix être évitée,
- les partis palestiniens en Israël ne doivent jamais être autorisés à exercer une influence sur l’une des deux questions qui précèdent.

Un seul gouvernement israélien a osé s’éloigner de ce dernier principe. Yitzhak Rabin avait accepté que les partis palestiniens soutiennent son gouvernement minoritaire tout en restant à l’extérieur de la coalition, afin qu’il puisse imposer le processus d’Oslo. Bien qu’il ait maintenu à l’écart les partis palestiniens, l’arrangement scandalisa la droite qui considéra cela comme un acte de trahison. La rhétorique incendiaire contre Rabin, avec celle de Netanyahu, créa un climat politique qui poussa son l’assassin de Rabin à passer à l’acte.

L’assassinat de Rabin n’a pas fait revivre une gauche sioniste, comme on aurait pu s’y attendre. Il a au contraire amené Netanyahu au pouvoir un peu plus tard dans les années 1990, pour son premier mandat de Premier ministre. Un consensus a alors été imposé selon lequel les partis palestiniens n’étaient pas des partenaires légitimes au sein d’un gouvernement israélien.

Cette leçon a été assimilée par Lapid et le centre-gauche. Alors que les analystes s’interrogeaient sur ce que Lapid pourrait faire comme « faiseur de rois », celui-ci s’est hâté de rassurer les juifs israéliens en disant qu’il ne voulait pas s’allier avec les partis palestiniens. « Je ne vais pas essayer de former un bloc d’opposition à Netanyahou avec Haneen Zoabi [une députée palestinienne haïe par la plupart des juifs israéliens pour avoir participé à une flottille d’aide à Gaza en 2010]. Cela n’arrivera pas. » Au lieu de cela, Lapid a immédiatement commencé des négociations avec Netanyahou afin de former une coalition.

C’est le scénario idéal pour Netanyahou, qui préfère ne pas diriger un gouvernement considéré par les États-Unis et en Europe comme trop visiblement extrémiste. Dans le dernier gouvernement, Netanyahou a voulu modérer son image, mais pas sa politique, en recrutant l’ancien dirigeant travailliste Ehud Barak comme ministre de la Défense. Barak a maintenant disparu. Lapid pourrait remplir une fonction similaire, en aidant Netanyahou à construire une fausse image de son gouvernement en le présentant comme une coalition du centre et de la droite.

Il s’agit d’une vue d’ores et déjà favorisée aux États-Unis et en Europe. Dans le sillage immédiat des élections, les deux ont considérés le succès de Lapid comme un moyen de pression sur la direction palestinienne, exigeant qu’elle revienne à la table des négociations avec Israël.

Les Palestiniens ne sont pas dupes. Ils ont nié la caractérisation de Yesh Atid comme parti centriste. Un responsable de l’OLP a déclaré à Haaretz : « Il nous suffit que Yair Lapid ait refusé à l’avance de faire partie d’un bloc avec les partis arabes ». De l’avis de Ghassan Khatib, ancien responsable du service de communication de l’Autorité palestinienne, « Les résultats des élections prouvent qu’en ce qui concerne les Palestiniens, rien ne changera. »

* Jonathan Cook a remporté le Prix Spécial de journalisme Martha Gellhorn. Ses derniers livres sont “Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the to Remake the Middle East” (Pluto Press) et “Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair” (Zed Books). Voici l’adresse de son site : http://www.jkcook.net.

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27 janvier 2013 - Al-Akhbar - Vous pouvez consulter cet article à :
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Traduction : Info-Palestine.eu - Claude Zurbach