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Palestiniens de Gaza : le poste-frontière de Rafah reste toujours une porte de prison
mercredi 12 décembre 2012 - Rami Almeghari
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Des Palestiniens attendent au poste de Rafah pour passer de Gaza en Egypte (Eyad al-Baba / APA images)

Gaza - Assis dans le bus qui me ramène du terminal égyptien de Rafah, je téléphone à mon épouse :« Je rentre à la maison ! ». « Quoi ! » s’exclame-t-elle, « Je croyais que tu étais déjà en Egypte. Il est près de 17 heures ! Qu’est-ce qui se passe ? »

J’avais quitté notre maison du camp de réfugiés de Maghazi, au centre de la bande de Gaza, en emportant le dossier médical de mon épouse, avec les résultats de ses derniers tests IRM. Ma destination était Le Caire, où j’avais l’intention de montrer les nouveaux scans aux médecins de mon épouse, qui décideraient du dernier traitement pour son cancer chronique.

Nous avons fait le laborieux voyage de Gaza au Caire pendant des années pour son traitement, mais cette fois j’y allais seul pour lui épargner – et épargner à nos enfants – cette épreuve. Je reviendrais et si les médecins le jugeaient nécessaire, je l’emmènerais plus tard une autre fois.

Au cours de ce voyage qui ne devait durer que peu de jours dans la capitale égyptienne, je voulais aussi renouveler mon accréditation car ma carte de presse égyptienne officielle expire à la fin du mois.

Pas sans mon épouse

J’arrive au terminal de Rafah vers 10 heures 30 et comme des dizaines d’autres voyageurs, je me mets au bout de la file des formulaires d’enregistrement. J’écris que je veux traverser pour des raisons médicales et autres.

Après plusieurs heures d’attente, un fonctionnaire m’appelle, apparemment pour être interrogé par la « Sécurité Nationale » égyptienne, qui sous l’ancien régime s’appelait « Sécurité d’Etat ».

« Pourquoi allez-vous en Egypte ? » demande le fonctionnaire. Je lui explique mon but et lui montre tous les papiers que je transporte.

« Je ne peux pas vous laisser passer si votre épouse n’est pas avec vous » dit-il.
« Elle attend l’avis du médecin à la maison, nous ne pouvons laisser nos quatre enfants tout seuls maintenant » lui dis-je.

Il n’est pas convaincu et me dirige vers un autre comptoir où des fonctionnaires du renseignements font passer des contrôles.

Un autre me prend mon passeport et me demande de m’asseoir et d’attendre. Plein d’anxiété, j’attends en me demandant si je serai autorisé à passer ou renvoyé à Gaza.

Restriction pour les hommes palestiniens

Les hommes palestiniens de Gaza ne sont autorisés à traverser en Egypte sans ce qu’on appelle la « coordination » - bureaucratie et paperasse qui prennent beaucoup de temps – que s’ils ont plus de 40 ans. J’en ai … 39.

C’était une des mesures censées « faciliter » le blocus de Gaza après la révolution du 25 janvier 2011 en Egypte.

Ironie ? C’est la même condition qu’Israël impose aux hommes palestiniens de Cisjordanie occupée qui veulent aller à Jérusalem pour prier à la mosquée al-Aqsa.
Mais en dépit de mon âge sous le chiffre magique, j’ai fait régulièrement des allers-retours en Egypte.

Pendant que je réfléchis en attendant mon tour, le fonctionnaire du renseignement appelle mon nom et je bondis, espérant recevoir l’autorisation de passer.

Mais il m’amène dans une pièce où se trouve un autre agent, plus haut gradé. Ce dernier me repose les mêmes questions et je lui donne les mêmes réponses.

« Veuillez attendre dans la halle » me dit-t-il.

J’attends, j’espère, je fume...

Même après toute cette attente, le fait qu’on me demande de m’asseoir et d’attendre un peu plus me redonne l’espoir. Vers 16 heures, personne n’a toujours appelé mon nom, alors que beaucoup d’autres voyageurs ont eu leur passeport tamponné et ont pu quitter le terminal pour l’Egypte.

En fin de compte, ayant fumé deux fois ma dose habituelle de cigarettes et bu juste une bouteille de jus depuis le matin, j’entends mon nom de la bouche d’un policier portant un gros paquet de passeports dans les mains.

« Oui Monsieur ...? » dis-je.
« Prenez vos bagages et attendez ici » ordonne-t-il.

Mon moral s’effondre. Je me rends compte que je vais probablement être renvoyé puisque, avec un certain nombres d’autres, on me demande de m’asseoir près de la porte menant au côté gazaoui du poste-frontière.

Ne pas renoncer

Je pose mes sacs et je demande au policier de me ramener chez le haut gradé. J’ai parlé aux deux autres agents aussi aimablement que possible.

« Je me demande pourquoi vous ne m’autorisez pas à passer. S’il vous plaît, regardez mon passeport et vous verrez que j’ai même eu un permis de séjour temporaire dans votre pays en mai dernier, mais qu’il n’a jamais été validé parce que j’ai quitté l’Egypte avant que la procédure puisse être achevée, car je devais rentrer à Gaza pour affaires importantes ».

Je leur montre que mon passeport est constellé de tampons égyptiens. Je leur lis les mots figurant sur ma carte de presse égyptienne : « Prière de fournir toute l’assistance nécessaire au porteur de cette carte ».

J’ai dû bien parler, car un des deux fonctionnaires apprécie : « Vous êtes un journaliste et un orateur éloquent » dit-il. Mais les mots ne suffisent pas.

Renvoyé

Finalement, je retourne auprès du premier agent du renseignement qui avait paru serviable au début. Mais maintenant le ton a changé et il aboie à ses subordonnés : « Allez chercher les gardes de la sécurité ! ».

Je cesse aussitôt de parler, je ramasse mes sacs et je sors en direction du bus qui me ramènera du côté Gaza.

Ce jour-là, les autorités égyptiennes du poste-frontière de Rafah ont renvoyé 38 Gazaouis, dont moi.

Dans le bus, certains des passagers rejetés s’expriment. L’un d’eux dit avoir payé 400$ au bureau de « coordination » de Gaza pour pouvoir passer et il se demande pourquoi il a été renvoyé. Un autre, presque trentenaire, dit : « J’ai fait la « coordination » nécessaire et j’ai une lettre d’invitation à une conférence en Turquie ».

Un troisième, âgé de 21 ans et venant de la ville de Rafah dans la bande de Gaza, ne peut retenir ses larmes : « Pourquoi m’ont-ils renvoyé ? Je voulais aller voir mon oncle qui est malade, juste de l’autre côté du poste, à Rafah. Il est seul et il a besoin d’aide d’urgence ».

Cela fait deux ans que les « révolutions » arabes ont commencé, et les changements en Egypte avaient apporté beaucoup d’espoir au gens de Gaza. Mais pour tous ceux qui attendent à Rafah, la situation est toujours aussi frustrante.

Rami Almeghari est journaliste et conférencier universitaire dans la bande de Gaza.

Son courriel : rami_almeghari@hotmail.com.

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7 décembre 2012 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à
http://electronicintifada.net/conte...
Traduction:Info-Palestine.net - Marie Meert ]