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Victimes ordinaires à Beyrouth, oubliées des médias...
dimanche 4 novembre 2012 - Robert Fisk
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Les policiers inspectent le site de l’explosion qui a tué 8 personnes

Un morceau d’une main a été trouvé aujourd’hui dans la rue Ibrahim el-Mounzer, avec quelques intestins, et personne n’a réclamé le pouce qui a été découvert, appuyant pour toujours sur le bouton d’un téléphone portable.

Mais les gens ordinaires sont oubliés, tués ou blessés. Les victimes sont au nombre de 38 et la plupart ne font l’objet d’aucun information.

Les échanges de coups de feu ont bloqué les rues du centre de Beyrouth après que la nation ait enterré le Brigadier général Wissam Al-Hassan. Mais l’homme le plus courageux du Liban se tenait hier debout dans une église dans la banlieue plutôt délabrée de Bourj Hammoud : un jeune arménien dont l’épouse, également jeune, a été tuée dans l’attentat vendredi dernier.

Je suppose que nous qui écrivons, allons toujours à la recherche de la Grande Histoire : le patron du renseignement libanais mis en pièces dans un attentat à la bombe dans le style syrien. Les clichés sont essentiels, de même que l’hypothèse que la guerre en Syrie « dépasse maintenant les frontières », mais la tragédie de Georgette Sarkissian devrait être racontée.

Elle est une victime dont la vie était jusqu’au moindre détail aussi précieuse que celle de l’homme qui a été enterré au milieu d’une telle pompe et d’une telle violence au centre de Beyrouth à la fin de la semaine. Et si servir le café et des pommes à des employés de banque dans une rue étroite de Beyrouth était moins romantique que d’être de la police secrète libanaise et si efficacement liquidé la semaine dernière, son histoire et celle de sa famille sont dignes d’un livre plutôt que d’un article de presse.

Le Général et Georgette sont morts, naturellement, exactement à la même milliseconde.

La famille de Joseph Sarkissian est venue du Mont des Oliviers en Palestine et ses grands-parents ont été chassés d’Arménie pendant le génocide turc de 1915. Il se tenait aux côtés de sa fille âgée de 21 ans, Thérèse - qui était avec sa mère quand elle a été tuée, et dont le visage en partie couvert de mascara pour masquer les blessures, contrastait tragiquement sur sa robe noire - serrait les mains comme il se doit durant ces terribles scènes de « condoléances » et parlait de façon si expressive de sa peine. Au Liban, les grands hommes ont droit à des enterrements impériaux, tandis que les femmes modestes sont laissées à leurs proches pour être enterrées.

Mais le plus grand homme au Liban était Joseph Sarkissian, un employé d’une compagnie d’assurance, les cheveux foncés et courts, portant des lunettes, se retenant de pleurer. Avec les mots qui étaient les siens, dans un anglais parfait et impeccable : « Je ne peux pas vous dire... Elle était la moitié de ma vie. Ma fille l’a soulevée de terre, l’a portée dans des ses bras parce qu’il n’y avait aucune ambulance et elle l’a conduite à l’hôpital dans sa propre voiture. »

« Dès le début, mon épouse était dans le coma, grâce à Dieu - parce que l’arrière de sa tête a été ouvert par l’explosion. Il manquait une partie de son cerveau. Elle était mon trésor. Vous ne pouvez pas imaginer... Il y avait tant de fleurs pour elle et pour moi - parce que nous sommes aimés de tous.

« Au Liban, il y a trop de d’inconnues - chaque jour, il y a quelque chose que l’on attendait pas. Elle allait acheter de nouvelles chaussures le même jour. Aujourd’hui était le premier jour de ses vacances. Elle voulait se reposer cette semaine - et maintenant elle se repose pour toujours. »

Aujourd’hui était un jour pour de telles paroles. Il y avait le directeur de l’agence de banque locale dans la rue Mohamed el-Mounzer, qui disait que le Liban avait supporté « 40 ans de crucifixion » et que pendant la guerre civile de 1975-1990, « pas un seul carreau n’était resté entier dans la rue ». Il y avait ce vieil homme - comme la plupart des autres, un chrétien - qui parlait du général Hassan. « Il était très discret, mais chacun le connaissait, » dit-il. Trop exact. Le général Hassan, un musulman, pensait avoir « une maison sûre » dans la rue. Mais il n’y a aucune « maison sûre » au Liban, et - comme c’est un petit pays minuscule - il n’y a pas non plus de policiers « secrets ».

À l’extrémité de la rue, j’ai rencontré la céramiste libanaise Nathalie Khayat, des bandages couvrant toujours les blessures dans son dos, qui était en train de parler à ses fils Noa et Teo quand la bombe a déchiqueté la vie de Georgette - et celle du général et de deux de ses hommes - et l’a presque tué, elle. « La première chose à laquelle j’ai pensée était la guerre civile, » me dit-elle. « Je regardais les devoirs de mon fils. Il a neuf ans aujourd’hui. Et j’avais neuf ans quand la guerre civile a commencé en 1975. »

On parlait sur les ondes d’une bataille à coups d’armes à feu et de grenades entre les partisans de l’Alliance du 14 mars - l’opposition officielle au gouvernement pro-syrien - et l’armée libanaise qui avaient déjà essuyé des coups de feu au cours de la nuit. Abed, mon conducteur, et moi-même sommes allés nous garer près du musée comme nous l’avons si souvent fait ces décennies passées. J’ai descendu la petite rue et je suis allé en courant me mettre à côté des soldats. Et voici à nouveau votre reporter, sautant à nouveau à pieds joints dans sa propre histoire. À cet endroit même, exactement sur cette route et près de ce mur, je m’étais mis à l’épreuve des balles il y a de cela 36 ans.

* Robert Fisk est le correspondant du journal The Independent pour le Moyen Orient. Il a écrit de nombreux livres sur cette région dont : La grande guerre pour la civilisation : L’Occident à la conquête du Moyen-Orient.

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22 octobre 2012 - The Independent - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.independent.co.uk/voices...
Traduction : Info-Palestine.net