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Rencontre avec Hassan Nasrallah
samedi 7 avril 2007 - Alain Gresh - Le Monde diplomatique




Rencontrer et interviewer Hassan Nasrallah, dirigeant du parti le plus important du Liban, n’est pas chose facile. Le Hezbollah est certes représenté au parlement, il dispose d’une large infrastructure sociale et d’une influence prépondérante chez les chiites, mais il est classé par les Etats-Unis sur la liste des organisations terroristes. Et Hassan Nasrallah est incontestablement un « homme à abattre ».

Cet entretien télévisé s’inscrit dans le cadre d’un documentaire en préparation sur le Hezbollah. Nous sommes avisés que le rendez-vous aura lieu dans l’après-midi et que l’on viendra nous chercher à un restaurant, sans qu’une heure soit vraiment fixée. Une première voiture nous conduit dans un garage. Nous sommes transférés dans une seconde, aux vitres noires : nous ne pouvons voir à l’extérieur le trajet choisi. Nous serons ainsi transbordés cinq fois avant d’atteindre le point de rendez-vous : un studio improvisé, avec deux drapeaux, celui du Liban et celui du Hezbollah.

Malgré toutes ces précautions, l’homme qui arrive n’a pas l’air inquiet. Il parle calmement, sourit souvent et cherche à convaincre. Il n’élève jamais le ton. L’entretien dure deux heures. Je consigne ici, non des citations (l’entretien n’a pas encore été décrypté), mais quelques grandes idées qu’il a abordées. Je mets en italique les questions posées.

La situation intérieure au Liban. Les risques de guerre civile au Liban existent bien, mais le Hezbollah fera tout ce qu’il peut pour l’éviter. La grande majorité du peuple libanais la rejette car il a déjà connu la guerre civile. Notre objectif n’est pas une République islamique. Celle-ci, pour être instaurée, doit être demandée par une immense majorité de la population. Or ce n’est pas le cas au Liban : non seulement il y a des minorités chrétiennes qui la refusent, mais même certains musulmans ne sont pas convaincus. Nous voulons un Liban dont le destin ne soit pas fixé par une, ou deux ou même trois confessions, mais par toutes les confessions. C’est pour cela que nous demandons un gouvernement d’union nationale. L’imam Moussa Sadr fut l’un des premiers à réclamer la fin du confessionnalisme au Liban ; mais nous devons tenir compte des réalités et des peurs, notamment celles des chrétiens qui craignent d’être marginalisés.

Est-ce que si le Hezbollah déposait ses armes, cela ne constituerait pas un geste de bonne volonté à l’égard des autres communautés ?

Nos armes, elles ne sont pas destinées au combat intérieur, elles n’ont jamais été utilisées à l’intérieur : elles servent à résister à l’ennemi extérieur israélien.

Le velayat e-faqih [1] et les relations avec l’Iran. Y-a-t-il une contradiction entre la fidélité au principe du velayat e-faqih et le fait d’affirmer que le Hezbollah est un parti libanais ?

Non. Tout ce que nous avons toujours fait était au service du Liban et l’on peut même dire que nous avons utilisé l’Iran au profit du Liban, jamais le contraire. Nous déterminons nous-mêmes nos tâches politiques, notre stratégie, en fonction de nos priorités. D’autre part, le velayat e-faqih c’est l’allégeance à un homme, pas à un pays. Aujourd’hui le velayat e-faiqh est iranien, hier il était irakien, et demain il sera peut-être libanais. L’Iran a une stratégie d’Etat et des obligations d’Etat qui ne sont pas forcément les nôtres. L’Iran a établi des relations avec la Libye, nous y sommes hostiles tant que la lumière sur la disparition de l’imam Moussa Sadr (disparu en Libye dans des conditions suspectes en 1978) n’est pas éclaircie. Sur l’exécution de Saddam Hussein, il y a eu certaines réserves exprimées de notre côté sur le moment et les conditions de cette exécution ; en Iran, il y a eu plusieurs sons de cloche.

Sur Israël et Palestine. La création d’Israël est le résultat d’un déni de droit, celui des Palestiniens sur leur terre. Le temps passé ne fait rien à l’affaire et le droit doit être respecté. La solution des deux Etats n’est pas possible, elle n’est pas réaliste : la meilleure solution est un Etat unique et démocratique sur l’ensemble de la Palestine, un Etat dans lequel coexisteraient juifs, musulmans et chrétiens. Le nom de cet Etat n’a pas d’importance et il devra être fixé par tous.

Que se passera-t-il si le gouvernement d’union nationale palestinien signe un accord de paix avec Israël ?

Nous avons soutenu l’accord de La Mecque signé entre le Hamas et le Fatah. Le problème palestinien est l’affaire des Palestiniens et nous ne voulons pas leur imposer une solution (pas plus que nous voulons imposer une solution aux Libanais). Notre responsabilité première concerne le Liban, ses territoires occupés, pas la Palestine.

Si la paix globale avec Israël est signée par le monde arabe, le Hezbollah reconnaîtra-t-il Israël ?

Il y a trop de si... Nous nous déterminerons en fonction de la situation régionale et internationale.

Al-Qaida. Nos divergences avec ce mouvement sont nombreuses, sur le plan religieux et politique. Ainsi, il condamne la participation des mouvements islamiques aux élections, alors que nous au Liban, le Hamas en Palestine et les Frères musulmans en Egypte et en Jordanie sont engagés dans les processus électoraux. D’autre part, il dénonce tous les musulmans qui ne sont pas d’accord avec lui sur le plan religieux et politique, et accepte de verser leur sang. Ce n’est pas notre conception. On a tenté de dire que nous avions des rapports de collaboration avec Al-Qaida, mais personne n’a jamais pu avancer la moindre preuve. Nous ne voulons pas engager des combats avec eux, pas plus que nous voulons engager des combats avec qui que ce soit.

Dangers de guerre. En cas de reprise des combats, la situation n’est plus la même que celle qui prévalait avant la guerre. Nous avons remis nos positions sur la frontière à l’armée libanaise. Si Israël attaquait à nouveau, le rôle de l’armée serait de défendre le territoire national. Nous sommes aussi présents dans le Sud, parce que nous habitons les villes et les villages, nos combattants sont originaires de ces villes et villages, ils peuvent reprendre les combats. La Finul serait dans une position très difficile : soit elle se borne à un rôle de spectateur ; soit elle aide à repousser l’agression ; soit elle se retire. Aucune des solutions n’est satisfaisante pour elle. Nous renforçons notre arsenal et certains s’étonnent, alors qu’ils ne s’étonnent pas qu’Israël s’arme auprès des Etats-Unis et se prépare à la guerre dans des man ?uvres et un entraînement intensif.


Note :

[1] Le principe du velayat e-faqih, ou gouvernement du docte, dans le chiisme peut être traduit par "gouvernement du docte". Il accorde un pouvoir important au guide qui doit conduire la communauté des croyants. Ce poste a été occupé d’abord par l’ayatollah Khomeiny, ensuite par Ali Khamenei. Il est contesté par de nombreux religieux chiites, mais il est accepté par le Hezbollah (et rejeté par l’ayatollah Mohammad Fadlallah, une des plus hautes autorités chiites du Liban, considéré pourtant comme proche du Hezbollah).

Alain Gresh - Le Monde diplomatique, Blog Nouvelles d’Orient, le 7 avril 2007

Précédentes sections du blog :
- Après le sommet arabe de Riyad, une dernière chance pour la paix ?
- Le guerre civile silencieuse au Liban