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Fatima Hajj : Une Palestinienne comme les autres
jeudi 11 octobre 2012 - Louisa Lamb
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L’auteure avec Fatima Hadj dans le camp de réfugiés palestiniens de Mieh-Mieh à Saïda, au Liban. Trois jours avant le décès de cette survivants de la Nakba - Photo : Zeinab Hajj

J’avais promis à Doha Abou Jamous —une jeune Palestinienne du camp de Shatila que j’ai interviewée plus tôt dans la semaine— d’aller pour la voir danser. Les cérémonies étaient organisées par les comités des camps palestiniens pour commémorer le 64ième anniversaire de la Nakba (catastrophe). L’événement a pris une tournure particulièrement significative pour moi parce que, en plus de participer aux cérémonies du parc Kaas-Kass, je rejoignais mon amie Zienab pour aller avec elle à Saida interviewer sa grand-mère, une survivante de la Nakba qui vit au camps de Mieh Mieh, un des 12 camps de réfugiés palestiniens du Liban.

J’avais déjà rencontré Fatima Hajj une fois chez Zeinab à Shatila alors qu’elle venait rendre visite à ses enfants et ses petits-enfants et le voyage à Mieh Mieh s’est révélé être une expérience particulièrement riche parce que c’était la première fois que je venais dans ce camp où vivent environ 7000 réfugiés qui viennent principalement du nord de la Palestine. C’est le 3ième camp palestinien que j’ai visité pendant mon séjour au Liban. Quand nous sommes arrivées, Fatima nous a serrées dans ses bras, embrassées, pris les mains et offert du thé. Après les traditionnelles salutations arabes, nous nous sommes installées pour interroger Fatima : je posais les questions et Zeinab traduisait.

Fatima qui est née le 1er janvier 1937 se rappelle bien de ce qui s’est passé dans sa vie et notamment de la Nakba. Quand je lui ai demandé de parler de son enfance, elle m’a raconté qu’elle se souvenait avoir cueilli des fleurs et des fruits dans les jardins quand elle était petite. Elle vivait à Daishoum, un village du nord de la Palestine situé dans la ville de Safed où les gens étaient heureux. Son père était fermier et le sol fertile nourrissait la famille sans avoir besoin de vendre ce qu’ils produisaient. La famille était propriétaire de la ferme et possédait beaucoup de vaches et de chèvres en plus des vergers.

Fatima est l’aînée de la famille et elle avait quatre frères et une soeur. Elle vivait dans la ferme de ses parents avec ses frères et soeurs, son mari et son bébé. Fatima a été mariée à 15 ans avec une homme de Safed de 35ans et elle a eu son premier bébé à 18 ans. Je lui ai demandé si elle connaissait des Juifs en Palestine à l’époque et elle m’a répondu qu’elle n’en connaissait pas personnellement mais qu’il en venait souvent au village pour pique-niquer ou commercer avec les fermiers musulmans du village et qu’il n’y avait jamais aucun problème. Elle ne savait pas qu’il y avait un conflit avec les Juifs avant qu’ils n’attaquent son village le 15 mai 1948.

Fatima a expliqué qu’elle ne savait pas que des étrangers avaient envahi son pays parce qu’elle habitait un petit village où les nouvelles n’arrivaient pas vite ; de plus elle avait 20 ans et un bébé de 2 ans et les femmes ne s’occupaient pas de politique à l’époque, elles restaient à la maison pour faire la cuisine, le ménage et s’occuper des enfants ; les hommes s’occupaient de ce qui concernait la communauté. Elle ne savait pas que les Anglais et les Juifs étaient en conflit avec les Palestiniens. Ce n’est que lorsque son village a soudain été attaqué qu’elle a découvert le Sionisme. Les villageois ont vu quelque chose tomber des avions et soudain des bombes ont explosé et des soldats sionistes ont envahi Daishoum et se sont mis à tuer les gens au hasard sans sommation. Ses voisins se sont enfuis pour se mettre à l’abri —et la famille de Fatima aussi— en laissant tout ce qu’ils possédaient derrière eux. Fatima emploie le terme de chaos pour qualifier leur fuite et l’abandon de leur maison —la violence régnait partout et la peur d’être tués a poussé les Palestiniens à fuir au plus vite. Dans cette terrible course pour survivre, le petit frère de 10 ans de Fatima s’est perdu. Et sa famille ne l’a jamais revu et n’a jamais pu savoir ce qui lui était arrivé.

La famille a marché de Daishoum en Palestine jusqu’à Aitroun, au sud du Liban, une distance d’environ 60 km, et là ils se sont reposés pendant 5 jours. Le trajet à pied avait été une épreuve terrible pour Fatima car à la peur et au stress de la fuite s’ajoutait le fait qu’elle attendait son second enfant (la mère de mon amie Zeinab) et devait porter l’aîné dans ses bras. Cinq jours après qu’ils soient arrivés à Aitroun, les soldats sionistes les ont attaqués à l’intérieur du Liban aussi et la famille s’est enfuie à Bint Jbeil où elle est restée deux jours. Etant donné qu’on ne pouvait pas savoir ce qui se passait et que tout était à craindre, la famille s’est éloignée le plus vite possible des tueries qui avaient lieu en Palestine.

Une semaine après avoir été chassés de leur maison en Palestine, Fatima et sa famille sont finalement arrivés à Tyre, au sud du Liban où ils se sont installés dans le nouveau camp de Bourj Al Shemali. Les Nations Unies ont fourni un abri (des tentes) à ces réfugiés palestiniens et Fatima est restée à Tyre 30 ans, soit jusqu’en 1978. Pendant cette période Fatima a eu d’autres enfants mais après les attaques israéliennes de 1978 sur les camps de réfugiés palestiniens de Ein el-Hilweh, Nabatiyeh, Mieh Mieh, El Buss, Rashidiyeh et Bourj el-Shemali, elle est partie au camp de Shatila où elle est restée 7 ans. Quand les milices ont attaqué Shatila et Bourj Al Barajneh pendant "la guerre de camps" de 1985 (les camps étaient sans défenses depuis le massacre facilité par les Israéliens de Sabra et Shatila de septembre 1982 et depuis que le nouveaux services secrets de l’armée (Deuxième Bureau*) de Amin Gemayal ciblaient les Palestiniens dans tout le Liban), Fatima Hajj a dû fuir une fois de plus. Elle a atterri à Mieh Mieh où elle vit depuis.

Je l’ai écoutée et je n’en reviens pas que quelqu’un qui a subi tant de violences, puisse ne pas avoir perdu espoir et être une des personnes les plus sympathiques que je connaisse. Quand je lui ai demandé comment elle voyait l’avenir de la Palestine, elle m’a répondu qu’elle voudrait que sa famille puisse un jour rentrer chez elle. Et qu’elle-même, après avoir passé 64 ans au Liban, voudrait aussi pouvoir rentrer dans son pays avant sa mort. Je lui ai demandé ce qu’elle pensait de l’action du Hezbollah et elle m’a dit qu’elle n’y connaissait pas grand-chose et que tout ce qui lui importait c’est que les Palestiniens forcés de vivre dans des camps de réfugiés puissent rentrer chez eux quoiqu’il arrive.

En ce qui concerne l’avenir de la Palestine, Fatima espère que les Musulmans et les Juifs vont réussir à vivre en paix. Elle explique qu’il y avait beaucoup de Juifs en Palestine avant la Nakba et qu’ils vivaient en paix. "Ce ne sont pas de mauvaises personnes," dit-elle, "et les problèmes avec Israël n’ont rien à voir avec le judaïsme mais avec les Sionistes qui instrumentalisent la religion et qui, à cause du droit historique qu’ils prétendent avoir sur la terre, occupent la Palestine et veulent y établir un état uniquement juif."

Les israéliens règnent sur la Palestine et occupent sa patrie mais Fatima Hajj, elle, voudrait que les Palestiniens puissent un jour revenir en Palestine et que tous ensembles — sans distinction de religion ni d’origine ethnique — ils puissent vivre dans la paix.

Le récit de Fatima m’a émue à un point que je ne saurais dire. La passion avec laquelle cette vieille dame, en dépit des luttes inhérentes à une vie tumultueuse, continue à croire en l’humanité au coeur d’une situation aussi douloureuse, m’a beaucoup impressionnée. J’admire sa bonté d’autant plus que je sais que la plus grande partie de sa vie s’est passée dans une angoisse que l’étudiante américaine privilégiée que je suis ne pourra sans doute jamais comprendre. Fatima Hajj est morte trois jours après notre visite et bien que je ne sois pas une personne particulièrement spirituelle, elle m’a communiqué un peu de sa compassion pour le genre humain qui transcende la propagande à laquelle nous sommes tous exposés. J’ai senti qu’il se passait entre nous quelque chose de vrai et, en tant qu’écrivain débutant de passage sur cette planète, j’ai beaucoup de chance de pouvoir partager cette expérience remarquable. Fatima était une Palestinienne exemplaire et son histoire, qui en rappelle tant d’autres, nourrit la détermination des Palestiniens victimes de nettoyage ethnique de retourner dans les maisons de Palestine dont ils ont été chassés.

Note :

* En Français dans le texte

* Louisa Lamb est une étudiante de Salisbury University dans le Maryland.

7 octobre 2012 - CounterCurrents - Pour consulter l’original :
http://www.countercurrents.org/lamb...
Traduction : Info-Palestine.net - Dominique Muselet