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Un autre point de vue sur les élections législatives palestiniennes
jeudi 13 septembre 2012 - Haidar Eid - Al Ahram
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Bande de Gaza

Gaza - Suite aux assurances et promesses du Président George Bush et du premier ministre Tony Blair de répandre la démocratie au Moyen-Orient, rien que pour voir la destruction de l’Irak et de l’Afghanistan, un tiers de la population palestinienne (dans les territoires avant 1967) a voté contre le gouvernement existant de l’Autorité palestinienne (AP) conduite par le Fatah.

Au lieu de cela, ils ont voté en faveur de ce qui semblait alors la seule force politique capable de s’opposer aux vestiges des Accords d’Oslo. Ils ne votaient pas en fonction de eurs perspectives politiques personnelles, mais plutôt pour punir une autorité « tiers-mondiste » caractérisée par la corruption, la suppression des libertés, la dé-priorisation de la lutte nationale, une minimisation du peuple palestinien réduit à la population de Cisjordanie et de Gaza, la sécurité coordonnée sous le contrôle d’un général étatsunien, la croissance rapide d’une classe de bureaucrates improductifs et de marchands, et la suppression des partis de l’opposition nationale.

Ajoutez à cela la transformation des aspirations nationales palestiniennes par la marginalisation des l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) et l’établissement d’un mini-état palestinien « indépendant » sur une parcelle de terre de la Palestine historique, ainsi que la reconnaissance d’Israël sans lui demander la réciproque - la reconnaissance des droits du peuple palestinien - octroyant ainsi toute légitimité au projet sioniste. Ce processus était sans précédent dans l’histoire des mouvements de libération nationale, y compris des bantoustans ou enclaves ethniques prétendument souveraines dans l’ère de l’apartheid sud-africaine. Dans le cas unique de la Palestine, opprimés et colonisés ont accepté le processus de bantoustanisation, cédant au colonisateur 78% du pays.

Le droit au retour et à des compensations pour les réfugiés, la pleine égalité légale, càd l’autodétermination, ont été détournés en un « processus de paix »-marathon dépourvu de tout calendrier et de tout point de référence. Et l’illusion de deux « parties à égalité », Israéliens et Palestiniens, est devenue dominante. Chaque partie a son président, son premier ministre, ses ministres, son gouvernement et ses forces de sécurité qui se coordonnent l’une avec l’autre contre « les éléments terroristes » susceptibles de perturber la paix, et qui sont tojours, nécessairement, des Palestiniens.

Pour compléter cette idée fausse et renforcer la nouvelle réalité qui émergeait après 1993, les parties n’avaient plus qu’à créer de nouvelles institutions reflétant l’égalité supposée entre elles et à vendre l’illusion de « l’indépendance » au peuple palestinien. Parmi ces institutions, il y avait le Conseil législatif palestinien (CLP), qui représente les seuls habitants de Cisjordanie et de Gaza.

Quand les premières élections eurent lieu en 1996, la majorité des forces de gauche et islamiques les boycottèrent, pour des raisons largement en cohérence avec ce qui est proposé dans cet article et qui demeurent fondées : l’impossibilité de voter librement et de choisir un candidat sous la menace des fusils de l’occupant.

Jamais l’histoire n’a connu un tel processus, sauf si nous considérons l’Afghanistan et l’Irak comme des pays libres. Mais le résultat de l’élection était connu d’avance : il serait difficile, voire impossible pour une force politique qui avait constamment marqué son opposition aux Accords d’Oslo, de remporter une majorité de sièges dans le nouveau Conseil législatif. Par conséquent, la victoire est allée à la force politique de droite qui avait signé les Accords, avec une petite opposition pour la forme juste pour compléter le tableau. Voilà pourquoi Haidar Abdel-Shafi a démissionné du Conseil législatif et pourquoi feu Edward Saïd s’opposait effectivement aux Accords dans leur ensemble et pourquoi il les qualifiait de « seconde Nakba ».

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Edward Said

En dépit de la non participation de nombreuses forces politiques de la droite religieuse et de la gauche, il s’est produit un énorme changement dans la culture politique palestinienne, révélé par l’émergence de termes nouveaux comme « une culture du dialogue », « reconnaissance de l’autre », « responsabilisation », « ONGisation » - accompagnés de faveurs aux gens au pouvoir et de l’élévation des services de sécurité, considérés dès lors comme une extension de la révolution et de la résistance. Tout cela a contribué à la contamination par le virus d’Oslo infectant les forces politiques qui avaient toujours refusé de telles choses. Ce qui a ouvert la voie à une participation plus large aux élections de 2006, sur la base d’une possibilité de changement de l’intérieur et de l’adaptation à la nouvelle réalité créée par les Accords, et l’espoir de former une opposition forte de l’intérieur, etc. Les raisons cités pour expliquer le manque de participation aux élections de 2006 furent complètement ignorées.

Les habitants palestiniens de Cisjordanie et de Gaza retournèrent donc aux urnes, mais cette fois dans le but d’éviter la répétition du résultat de l’élection précédente, et pour répudier l’AP et son parti gouvernant. Leur défaite fit naître de grandes espérances pour la fin du statu quo. Et puis le problème fut que la droite religieuse remporta les élections mais en oubliant que beaucoup de ceux qui avaient voté pour elle n’étaient pas nécessairement partisans de son programme politique ou en particulier idéologique.

Les ONG naguère gauchisantes, à présent devenues néolibérales, avaient décidé de se joindre aux élections de 2006 du fait qu’historiquement elles avaient été marginalisées par les dirigeants laïques de droite de l’OLP et qu’ensuite elles furent infectées par la nouvelle culture politique. Certains de leurs dirigeants révolutionnaires furent éliminés, d’autres furent même livrés aux forces d’occupation. Cela allait leur coûter cher, comme le démontra le peu de voix qu’elles remportèrent en 2006.

Les résultats des élections du CLP furent une surprise, sinon une gifle à la domination de l’impérialisme, du sionisme et des régimes arabes réactionnaires, malgré l’argent investi dans des campagnes de propagande tentant de consolider la même culture qui prévalait depuis une décennie - la culture de Camp David et de Taba, et d’abord de Jéricho-Gaza (*), et d’Oslo, et de Wadi Araba (**). C’était une culture basée sur une partition raciale et deux états pour deux peuples. Pendant l’ère de l’apartheid, l’Afrique du Sud était pareillement partagée en cinq « pays », dont quatre étaient des bantoustans, pour cinq « peuples ». L’Afrique du Sud blanche contrôlait 88% du pays et des ressources, laissant peu de choses aux natifs indigènes. Les signataires palestiniens des Accords d’Oslo eux aussi aspiraient à établir un « état indépendant » sur 22% du pays.

Mais le résultat des élections de 2006 apportait un message clair contre cette logique politique, et ce fut la surprise même pour ceux qui avaient remporté une majorité de sièges. En revanche, le virus d’Oslo continua d’infecter jusqu’au parti religieux de droite qui avait vaincu par son opposition aux Accords mêmes, mais uniquement parce qu’il négligea le principe que la participation aux élections était en soi une approbation tacite des fondations sur lesquelles elles se tenaient. Hélas, on oubliait que le CLP est une des institutions parmi d’autres, y compris l’AP elle-même, avec ses « ministres » et ses appareils de sécurité, qui avaient émergé des Accords d’Oslo.

Puisque les élections n’avaient pas collé au scénario conçu par les USA et Israël, il fallait nécessairement punir les électeurs palestiniens qui avaient osé prendre au sérieux un mensonge - la diffusion de la démocratie au Moyen-Orient. Le résultat était inévitable : un long blocus, horrible et paralysant, fut imposé à Gaza par terre, par air et par mer, avec la participation du Président renversé Moubarak. Ce blocus, sous ses diverses formes, a causé la mort de plus de 700 patients à qui ont été refusés les traitements salvateurs, avec les perpétuelles coupures d’électricité, une crise médicale sans précédent, l’interdiction de voyager par les sept passages qui séparent la bande de Gaza du monde extérieur, la rareté du carburant, les entraves à l’importation de livres scolaires et autres matériaux, parmi lesquels essentiellement le lait.

Ce n’est pas le lieu ici de décrire en détail ce siège moyenâgeux mais le Rapporteur spécial des Nations-Unies pour les Droits de l’homme das les Territoires occupés, Richard Falk, avait résumé l’intention en la qualifiant de « prélude à un génocide ».

C’est exactement ce qui est arrivé il y a deux ans après les premières élections transparentes, libres et équitables de l’histoire palestinienne. Le siège a échoué à soumettre les Palestiniens de Gaza ; au contraire, il a implanté une culture de résistance sous de multiples formes. Alors, les forces d’occupation israéliennes ont osé une attaque sans précédent contre la bande de Gaza, causant la mort de plus de 1.440 habitants, parmi lesquels 443 enfants tués à la lumière du jour, avec l’approbation tacite de la prétendue « communauté » internationale et des régimes arabes réactionnaires. Le Ministre des Affaires Etrangères israélien, Tzipi Livni, déclara la guerre depuis Le Caire, en présence de son homologue du régime Moubarak, ce même ministre qui menaçait « de briser les jambes » des femmes et des enfants de Gaza s’ils osaient empiéter sur la « sécurité nationale » de l’Egypte.

Malgré le prix exorbitant qu’ils ont payé et les sacrifices énormes qu’ils ont endurés, le peuple palestinien n’est pas tombé à genoux. Mais le sujet qui est traité ici, c’est le lien le plus manifeste entre les élections de 2006 et le prix payé par les gens ordinaires pour leur résultat. L’équation apparaît clairement : si vous allez aux urnes et élisez un gouvernement qui est contre la poursuite du « dialogue » avec Israël via un processus dont les Etats-Unis sont les médiateurs, vous aurez à affronter un blocus paralysant accompagné d’une guerre génocidaire brutale, avec en plus un doigt accusateur pointé sur vous.

Tout comme les élections de 1996 n’avaient pas mené à un état palestinien indépendant avec les frontières de 1967 et Jérusalem pour capitale, pareillement, les élections de 2006 n’ont mené ni à l’indépendance ni à la libération, malgré leurs résultats dramatiquement différents. Au contraire, chaque élection a donné naissance à une autorité qui n’a joui d’aucune forme de souveraineté, sauf à considérer les drapeaux, les tapis rouges, l’hymne national et le titre de premier ministre comme les manifestations les plus importantes de la souveraineté.

Les élections de 1996 ont cimenté et légitimé la division de la Cisjordanie en bantoustans perpétuant les traits de l’infâme système d’apartheid. En effet, en créant les régions A, B, et C ainsi qu’une Autorité palestinienne dont la seule tâche était de mettre en place des mesures répressives de sécurité contre ses opposants et d’élever l’idée de « l’indépendance » aux dépens du droit à l’autodétermination, elle négociait avec la seule et unique forme d’oppression, c’est-à-dire l’occupation militaire israélienne de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Et même ceci est devenu pire, puisque ces régions sont maintenant évoquées comme étant « disputées » !

Toutefois les élections de 2006 ont aussi engendré une autre autorité, fût-elle non désirée, implantée dans la bande de Gaza et jouant le rôle de sergeant-chef ou chef des prisonniers, elle régule les existences de 1,6 million d’emprisonnés. Les vainqueurs des élections ont fait bien des tentatives pour apaiser les Etats-Unis via des message rassurant le président Obama et soulignant plus d’une fois, de la bouche même des principaux dirigeants, leur bonne volonté à accepter un état palestinien indépendant dans les frontières de 1967 sans reconnaissance réciproque d’Israël. Ceci magré l’évidence qu’il s’agit de l’acceptation d’une proposition raciste émanant de la gauche sioniste, et qui ignore le fait que la vaste majorité du peuple palestinien est dans la diaspora et dans les territoires de 1948.

Ce pragmatisme oslo-isé s’est accompagné de l’application de lois religieuses strictes, sans qu’elle aient été légalisées formellement, reflétant le milieu idéologique des nouveaux dirigeants, qui prétendaient chercher « la protection des coutumes et traditions ». Jour après jour nous avons vu cette autorité briser avec la résistance au siège pour en venir à coexister avec lui, et finalement atteindre le point d’en tirer avantage. Elle a créé une nouvelle classe de rentiers improductifs, dont le capital est basé sur le commerce dans les tunnels (essentiellement la seule sécurité d’approvisionnement pour la bande de Gaza), le commerce de terrains, un monopole sur la commercialisation de matériaux de construction, etc. Cela s’est fait simultanément avec un monopole sur la définition de « résistance », excluant la possibilité de réconciliation avec ceux qui ne suivaient pas cette idéologie.

Aujourd’hui, dans le sillage de cette alternative erronée, arrive l’appel à s’inscrire aux bureaux de vote et à se préparer à de nouvelles élections au CLP comme faisant partie d’une nouvel accord de réconciliation entre eux. Le choix est à nouveau entre la droite religieuse et la droite laïque ; le troisième élément, l’alternative nécessaire, est absent.

Quel est le résultat souhaité de ces élections ? Sont-elles radicalement différentes de celles qui ont précédé ? Ont-elles l’intention d’aborder les cruelles erreurs qui infectaient les deux précédentes élections ou celles qui en ont résulté ? Cette fois-ci, le droit à l’autodétermination comme défini par chaque Palestinien apparaîtra-t-il dans le scrutin ? Autrement dit, le processus électoral inclura-t-il tous les secteurs du peuple palestinien et ses aspirations, ou sera-t-il, comme les précédents, excluant et limitatif ? Aidera-t-il à déconstruire le fétiche de « l’indépendance » loin de l’intervention étrangère ?

En d’autres mots, y aura-t-il des élections libres, même si elles se tiendront une fois encore sous le baril de poudre de l’occupant ? Reflèteront-elles les véritables désirs du peuple palestinien colonisé ? Que se passera-t-il si ces désirs sont en conflit avec ceux du colonisateur, comme en 2006 ? Tous les messages envoyés à la Maison Blanche à ce moment n’avaient pas aidé à la convaincre d’accepter les résultats. De même, toutes les concessions faites par l’autorité de 1996 n’avaient pas contribué à convaincre l’occupant israélien de mettre en oeuvre les engagements qu’il avait pris en signant les Accords, sans même parler du droit international.

Il est temps de briser les idoles et de dépasser les illusions.
Dans le monde arabe, c’est le temps des révolutions, le temps du changement.

Aucune élection tenue sous occupation, colonisation et apartheid, excluant la plupart des sections du peuple palestinien, ne peut être considérée comme libre. Si tous les Palestiniens, en particulier dans la diaspora, s’abstiennent de participer, le résultat est connu d’avance. Ces résultats ne peuvent servir que la volonté et les intérêts de l’occupant, poursuivant la fragmentation subie dans les bantoustans de Cisjordanie et de Gaza : soit par des négociations futiles conçues pour s’éterniser si la droite séculière l’emporte, soit via la poursuite du blocus et d’autres guerres génocidaires si la droite religieuse réussit de nouveau à surprendre tout le monde. Soit ... soit : c’est le seul choix que nous donnent les nouvelles élections au CLP, Conseil Législatif qui de toute façon ne représente qu’un tiers du peuple palestinien.

L’alternative démocratique est celle qui reflète la volonté collective du peuple palestinien. Cette alternative réside dans des élections au Conseil National Palestinien (CNP) après reconstruction de l’OLP sur une base réellement démocratique pour assurer la représentation authentique de toutes les factions nationales et islamiques. Des élections au CNP garantiraient la représentation de la diaspora loin de la mentalité d’une fausse indépendance cultivée sous une occupation répressive. Ces élections pourraient rapprocher le peuple palestinien de l’autodétermination telle que définie par le droit international, en restaurant son droit légitime à de multiples formes de résistance.

Aussi nous ne devrions pas répéter la même erreur une troisième fois en tombant dans le piège des élections du CLP, indépendamment de la dispute insignifiante sur le bien-fondé du travail de la Commission Centrale Electorale à Gaza - comme s’il s’agissait d’une oeuvre nationale. Les Palestiniens de la bande de Gaza et de Cisjordanie NE DEVRAIENT PAS retourner aux urnes, même si les deux factions rivales parviennent à ce genre d’accord. Notre inscription aux élections ne devrait servir qu’à avancer des élections simultanées au CNP, puisque les membres du CLP deviennent automatiquement membres du CNP.

NON à des élections tenues sous police d’occupation, colonisation et apartheid israéliennes. Et OUI à des élections au CNP, le Parlement palestinien, seul représentant légitime du peuple palestinien dans son entier.

(*) Le processus d’Oslo est complété le 4 mai 1994 par l’Accord de Jéricho-Gaza qui investit la nouvelle Autorité nationale palestinienne de pouvoirs limités.
(**) La Jordanie devient le deuxième pays arabe à signer un traité de paix avec Israël après l’Egypte en 1978.

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* Haiddar EID est écrivain et professeur de littérature postcoloniale à l’université Al-Aqsa à Gaza, après avoir enseigné dans plusieurs universités à l’étranger. Vétéran dans le mouvement des droits nationaux palestiniens, c’est un commentateur politique indépendant, auteur de nombreux articles sur la situation en Palestine.

Du même auteur :

- Le temps est venu pour que la force du peuple ouvre le passage frontalier de Rafah
- Déclarer l’indépendance d’un bantoustan
- L’initiative de « dialogue » de Mots Sans Frontières cannibalise l’appel au boycott palestinien
- Gaza : le siège interminable
- Le silence complice se poursuit
- Une critique palestinienne de la Conférence de Durban
- Les pièges de la conscience nationale palestinienne
- Gaza 2009 : Culture de résistance versus défaite
- Sharpeville 1960, Gaza 2009

12 septembre 2012 - Vous pouvez consulter cet article à :
http://weekly.ahram.org.eg/2012/111...
Traduction:Info-Palestine.net - Marie Meert