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Daraya : comment un échange de prisonniers a tourné au massacre
vendredi 31 août 2012 - Robert Fisk
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Fosse commune dans Daraya. Près de 245 personnes ont été massacrées dans la journée du 25 août 2012

Il faisait écho hier au grondement des tirs de mortier et des coups de feu, aux quelques habitants qui reviennent et parlent de mort, d’attaque, de « terroristes » étrangers, du cimetière hanté par des tireurs embusqués.

Mais parmi les hommes et les femmes avec qui il était possible de parler, deux d’entre eux avaient perdu des êtres chers le jour de cette infamie il y a quatre jours dans Daraya, et ils ont raconté une histoire tout à fait différente de la version qui a largement fait le tour du monde. Leur récit parle de prise d’otages par l’Armée libre syrienne (ALS) et d’une négociation désespérée pour un échange de prisonniers entre les opposants armés du régime et l’armée syrienne, avant que le gouvernement de Bachar al-Assad ne décide de prendre d’assaut la ville et de la reprendre aux rebelles.

Officiellement, pas un mot de ces pourparlers entre les ennemis jurés n’a filtré. Mais de hauts officiers syriens ont expliqué à The Independent la façon dont ils ont « épuisé toutes les possibilités d’une entente » avec ceux qui contrôlaient la ville, tandis que les citoyens de Daraya nous ont dit de leur côté qu’il y avait eu une tentative par les deux parties de faire un échange de civils et de soldats en permission - apparemment kidnappés dans la ville par les rebelles en raison de leurs liens familiaux avec l’armée gouvernementale - avec des détenus aux mains de l’armée. Lorsque les négociations ont été rompues, l’armée a avancé dans Daraya, à moins de 10 kilomètres du centre de Damas.

Être le premier témoin oculaire premier occidental dans la ville hier, était aussi frustrant que dangereux. Les corps d’hommes, de femmes et d’enfants ont, bien sûr, été enlevés du cimetière où beaucoup d’entre eux ont été retrouvés, et quand nous sommes arrivés avec les troupes syriennes au cimetière musulman sunnite - divisée par la route principale traversant Daraya - des tireurs d’élite ont ouvert le feu sur les soldats, touchant l’arrière du vieux véhicule blindé dans lequel nous avons fait notre entrée. Pourtant, nous avons pu parler aux civils hors de portée des responsables syriens - dans deux cas en sécurité dans leurs propres maisons - et leur récit du meurtre de masse de 245 hommes, femmes et enfants, samedi dernier, suggèrent que les atrocités ont été beaucoup plus répandues que ce qui était supposé.

Une femme qui s’est identifiée comme Leena, a raconté qu’elle se déplaçait à travers la ville dans une voiture et qu’elle avait vu au moins dix corps (des hommes) gisant sur la route près de son domicile. « Nous avons fait demi-tour, nous n’avons pas osé nous arrêter, nous avons juste vu ces corps dans la rue. » Elle a ajouté que les troupes syriennes n’étaient pas encore entrées dans Daraya.

Un autre homme nous raconte que bien qu’il n’ait pas vu les morts dans le cimetière, il croyait que la plupart étaient liés à l’armée gouvernementale et qu’il y avait plusieurs conscrits permissionnaires. « L’un des morts était un facteur - ils l’ont aussi tué parce qu’il était un employé du gouvernement », dit l’homme.

Si ces histoires sont vraies, alors les hommes armés - portant des cagoules, selon une autre femme, qui décrit comment ils ont fait irruption dans sa maison et comment elle les embrassa, dans une terrible tentative de les empêcher de tuer sa propre famille - étaient des insurgés armés plutôt que des soldats syrien.

La maison de Cheikh Amer Rajab, un chauffeur de chariot élévateur, avait été investie, nous dit-il, par des hommes armés pour servir de base aux forces de « l’armée libre », l’expression utilisés par les civils pour parler des rebelles. Ils ont brisé la vaisselle, brûlé les tapis et les lits - la famille nous a montré ces destructions - mais curieusement, les hommes armés avaient également enlevé des pièces d’ordinateurs, d’ordinateurs portables et de téléviseurs dans la maison. Pour les utiliser comme composants pour des bombes, peut-être ?

Sur une route sur le bord de Daraya, nous avons trouvé Khaled Yahya Zukari, un chauffeur de camion qui a quitté la ville le samedi dans un mini-bus avec son épouse Musreen âgée de 34 ans, et leur fillette, un bébé âgé de 7 mois. « Nous étions sur le chemin de [la banlieue voisine de] Senaya quand tout à coup il y eut beaucoup de tirs dans notre direction »,dit-il. « J’ai dit à ma femme de se coucher sur le sol, mais une balle a pénétré dans le bus et frappé notre bébé et ma femme. C’était la même balle. Ils sont morts tous les deux. Le tir provenait des arbres, d’un espace vert. Peut-être que ce sont les militants qui se cachaient là et qui pensaient que nous étions un bus militaire transportant des soldats. »

Toute enquête complète sur une tragédie de cette ampleur et dans ces circonstances était pratiquement impossible hier. À certains moments, en compagnie des forces armées syriennes, nous avons dû courir le long des rues vides avec des tireurs d’élite anti-gouvernementaux postés aux intersections. Beaucoup de familles s’étaient barricadées dans leurs maisons. Même avant que nous partions pour Daraya depuis l’importante base aérienne à Damas - qui contient à la fois des hélicoptères d’attaque Hindet et des chars T-72, les deux de fabrication russe - un obus de mortier, peut-être tiré de Daraya même, a touché la piste à peine trois cents mètres devant nous, envoyant une colonne de fumée noire dans le ciel. Bien que les soldats syriens ont nonchalamment continué à prendre leurs douches en plein air, j’ai commencé à ressentir une certaine compréhension pour les surveillants des Nations-Unies qui ont quitté la Syrie la semaine dernière.

Peut-être le plus triste de tout ces récits de hier est venu Hamdi Khreitem, âgé de 27 ans, qui était assis dans sa maison familiale avec son frère et sa s ?ur, et qui nous a raconté comment ses parents, Selim et Aisha, étaient sortis pour acheter du pain le samedi. « Nous avions déjà vu les images à la télévision du massacre - les télévisions occidentales disent que c’était l’armée syrienne, et la télévision d’État dit que c’était « l’Armée libre » - mais nous étions à court de nourriture et maman et papa sont allés dans la ville . Ensuite, nous avons reçu un appel de leur mobile et c’était ma mère qui disait juste : « Nous sommes morts. » Mais elle a survécu.

« Elle avait été blessée à la poitrine et au bras. Mon père était mort, mais je ne sais pas où il a été touché ni qui l’a tué. Nous l’avons repris à l’hôpital - son corps était couvert - et nous l’avons enterré hier. "

Et l’avenir ? La famille a parlé des élections. « Si le président est élu, c’est très bien. S’il ne l’est pas, alors nous aurons un autre président ... » C’était un appel triste, dit à voix basse, pour mettre fin à la violence. La bataille pour Daraya, bien sûr, se poursuit.

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29 août 2012 - The Independent - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.independent.co.uk/opinio...
Traduction : Info-Palestine.net - Naguib