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Égypte : l’armée et les voyous de Moubarak sont toujours aux affaires, malgré les élections
lundi 18 juin 2012 - Robert Fisk
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Des partisans du candidat des Frères musulmans, Mohamed Mursi, se sont réunis place Tahrir au Caire 18 juin 2012 - Photo : Reuters - Suhaib Salem

Alors que des millions d’Égyptiens tournent le dos aux braves et jeunes révolutionnaires de la place Tahrir, c’est aujourd’hui le bon jour pour se souvenir du vieux général Mohammed Naguib qui a lancé en Égypte la première révolution d’après-guerre en renversant le roi Farouk presque il y a exactement 60 ans. Lui et ses collègues officiers égyptiens se demandaient s’ils devaient exécuter l’obèse roi Farouk ou l’envoyer en exil. Nasser était d’avis de tuer le monarque. Naguib a demandé un vote. Dans les premières heures de la journée, Nasser a finalement écrit une note à Naguib : « Le Mouvement de libération doit se débarrasser de Farouk [sic] le plus rapidement possible afin de faire face à ce qui est plus important, la nécessité de purger le pays de la corruption que Farouk va laisser derrière lui. Nous devons ouvrir la voie vers une nouvelle ère dans laquelle le peuple va jouir de ses droits souverains et vivre dans la dignité. La justice est l’un de nos objectifs. Nous ne pouvons pas exécuter Farouk sans procès. Nous ne pouvons pas nous permettre de le garder en prison et nous préoccuper des tenants et aboutissants droits de son cas au risque de négliger les autres objectifs de la révolution. Laissons partir Farouk et envoyons-le en exil. L’histoire le condamnera à mort. »

L’association de la corruption avec l’ancien régime est l’aliment de base de toutes les révolutions. L’idée de justice sonne bien. Et les Égyptiens d’aujourd’hui exigent toujours la dignité. Mais sûrement que Nasser avait vu juste : mieux vaut jeter le vieux dictateur hors du pays que de mettre en scène un procès gênant et fastidieux alors que l’avenir de l’Égypte et « les autres objectifs de la révolution », doivent être débattus. Les militaire d’aujourd’hui ont joué un jeu tout aussi astucieux mais différent : ils ont insisté pour que Moubarak passe en jugement - du pain et des jeux pour les masses, des phrases dramatiques pour garder leurs esprits écarté des questions d’avenir - tout en réorganisant les ex-Moubarakites de façon à préserver leurs privilèges.

L’ex-élu à la tête du club des juges en Égypte, Zakaria Abdul-Aziz, a souligné à juste titre que même si Moubarak passait en procès, les meurtres de janvier-février se sont poursuivis pendant des jours, « et ils [les généraux] n’ont rien fait pour les arrêter. Le ministère de l’Intérieur n’est pas le seul endroit qui doit être nettoyé. Le pouvoir judiciaire en a également besoin. »

Ce sont de hauts magistrats de l’ère Moubarak qui ont permis à l’ex-Premier ministre du dictateur déchu, Ahmed Shafik, de concourir ce week-end pour le poste de Président. Comme Omar Ashour, un universitaire à la fois d’Exeter et de Doha, l’a observé : « lorsque des manifestants ont pris d’assaut les bâtiments de sécurité d’État [SSI] et d’autres institutions en mars 2011, des salles et des équipements de torture ont été trouvés dans tous les bâtiments. »

Et qu’est-il donc arrivé aux types qui dirigeaient ces institutions vicieuses pour le compte de Moubarak, vêtus d’uniformes d’opérettes ? Ils sont plus libres que l’air. Voici quelques noms pour que les lecteurs de The Independent les notent dans leurs fichiers : Hassan Abdul-Rahman, chef de la SSI, Ahmed Ramzi, à la tête des Forces de sécurité centrale (LCR), Adly Fayyed, chef de « la sécurité publique », Ossama Youssef, chef de la Direction de la sécurité de Gizeh, Ismail al-Shaer, le patron de la Direction de la sécurité du Caire (« Shaer », juste en passant, signifie « poète ») et Omar Faramawy qui dirigeait le 6 octobre la Direction de la sécurité.

Je ne vais pas utiliser les mots « culture de l’impunité » comme Omar Ashour le fait sans ironie, mais l’acquittement des messieurs ci-dessus nommés signifie que les 300 000 voyous de la SSI et de la LCR de Moubarak sont toujours en activité. Il est impossible de croire que le Conseil suprême des Forces armées - toujours au pouvoir en Égypte et commandé par le vieux pote de Moubarak, le feld-maréchal Tantawi - n’était pas au courant des implications de cette situation extraordinaire. Si Moubarak était à la place de Farouk et son fils Gamal et Alaa étaient les héritiers de la famille royale, la révolution égyptienne de 2011 était équivalente à celle de 1952 avec un roi même pas exilé et avec une monarchie encore au pouvoir mais dans l’ombre.

La croyance parmi les journalistes et les universitaires que la place Tahrir se remplirait à nouveau des jeunes rebelles de l’an dernier, qu’un nouveau mouvement de protestation avec des millions de participants mettrait fin à cette situation, s’est - jusqu’à présent - avéré irréaliste. Au cours du week-end, les Égyptiens allaient plutôt voter que manifester - même si l’appareil sécuritaire du pays clôturait le spectacle comme d’habitude - et si ce n’est de la démocratie, alors cela va tenir de l’Algérie plutôt que de la Tunisie. Peut-être que je n’aime pas les armées, alors que les Égyptiens les aiment.

Mais revenons à Naguib. Il s’est rendu à bord du yacht royal en juillet 1952 pour dire au revoir au roi qu’il venait de déposer. « J’espère que vous allez bien prendre soin de l’armée, » lui a dit Farouk. « Mon grand-père, vous le savez, l’a créée. » Naguib a répondu : « L’armée égyptienne est entre de bonnes mains. » Et les derniers mots de Farouk au général ? « Votre tâche sera difficile. Ce n’est pas facile, vous le savez, de gouverner l’Egypte ... »

Naguib conclut en disant que gouverner serait plus facile pour l’armée parce que « nous étions en harmonie avec le peuple égyptien. » En effet. Puis Nasser a chassé Naguib, les prisons ont rouvert et les tortionnaires sont revenus. Puis vint le général Sadate et le général Moubarak. Et maintenant ?

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18 juin 2012 - The Independent - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.independent.co.uk/opinio...
Traduction : Info-Palestine.net - Claude Zurbach