Environ 1.500 soldats israéliens et un nombre indéfini de Libanais et de Palestiniens ont été tués. Presque toutes les guerres sont basées sur des mensonges. Le mensonge est considéré comme un instrument de guerre légitime. La Première Guerre du Liban (comme on l’appela ensuite) en est un glorieux exemple.
Du début à la fin (en supposant qu’elle est réellement terminée) ce fut une guerre de tromperie et de duplicité, de falsifications et d’inventions.
Les mensonges ont commencé avec le nom officiel : « Opération Paix en Galilée ».
Si on questionne les Israéliens d’aujourd’hui, 99,99 % d’entre eux diront en toute sincérité : « Nous n’avions pas le choix. Tous les jours ils lançaient des roquettes katiouchas sur la Galilée depuis le Liban. Nous devions les arrêter ». Les présentateurs et présentatrices de la télévision ainsi que des ministres de l’ancien cabinet répétaient cela tout au long de la semaine. Tout à fait sincèrement. Même des gens qui étaient déjà des adultes à l’époque.
Le fait est que pendant les 11 mois qui ont précédé la guerre, pas un seul tir n’a eu lieu à travers la frontière israélo-libanaise. Il y avait un cessez-le-feu que les Palestiniens de l’autre côté de la frontière ont scrupuleusement respecté. A la surprise générale Yasser Arafat réussit à l’imposer à toutes les factions palestiniennes radicales également.
Fin mai, le Ministre de la Défense Ariel Sharon rencontra le Secrétaire d’Etat Alexander Haig à Washington DC. Il demanda l’accord des Etats-Unis pour envahir le Liban. Haig dit que les Etats-Unis ne pouvaient l’autoriser sauf s’il y avait une provocation claire et internationalement reconnue.
Et voilà, la provocation fut fournie illico presto. Abou Nidal, le maître terroriste anti-Arafat et anti-OLP envoya son propre cousin pour assassiner l’ambassadeur israélien à Londres, lequel fut grièvement blessé.
En représailles, Israël bombarda Beyrouth, et les Palestiniens répliquèrent, comme prévu. Le Premier Ministre Menahem Begin autorisa Sharon à envahir le territoire libanais sur 40 km, « pour mettre les colonies de Galilée hors d’atteinte des katiouchas ».
Lorsque l’un des chefs du renseignement expliqua à Begin, lors de la réunion ministérielle, que l’organisation d’Abou Nidal ne faisait pas partie de l’OLP, Begin eut la réplique fameuse : « Ils sont tous de l’OLP ».
Le général Matti Peled, mon associé politique à l’époque, croyait dur comme fer qu’Abou Nidal avait agi en tant qu’agent de Sharon. C’est ce que croient tous les Palestiniens que je connais.
Le mensonge « Tous les jours ils nous envoyaient des roquettes » a eu une telle emprise sur l’opinion qu’il est inutile d’en discuter. C’est un exemple lumineux de la manière dont un mythe peut prendre possession de l’esprit du public, même chez les gens qui ont vu de leur propres yeux que c’est le contraire qui était vrai.
Neuf mois avant la guerre, Sharon me parla de son plan pour un nouveau Moyen-Orient
J’étais en train d’écrire un long article biographique sur lui avec sa coopération. Il avait foi en mon intégrité journalistique, donc il me raconta son plan « confidentiellement » et m’autorisa à le publier - mais sans le citer. C’est ce que je fis.
Sharon présentait un dangereux mélange mental : un esprit primitif vierge de toute connaissance de l’histoire (non-juive) et un besoin maladif et fatal de « grands desseins ». Il méprisait tous les politiciens y compris Begin - comme de petites gens dénués de vision et d’imagination.
Son projet pour la région, comme il me le raconta à ce moment (et que je publiai neuf mois avant la guerre) était le suivant :
1) attaquer le Liban et installer un dictateur chrétien qui servirait Israël
2) chasser les Syriens du Liban
3) chasser les Palestiniens du Liban en Syrie, d’où ils seraient ensuite poussés en Jordanie par les Syriens
4) amener les Palestiniens a faire une révolution en Jordanie, chasser le roi Hussein et faire de la Jordanie un état palestinien
5) monter un arrangement par lequel l’Etat palestinien (en Jordanie) partagerait le pouvoir avec Israël en Cisjordanie
Entreprenant et déterminé, Sharon persuada Begin de démarrer la guerre, en lui disant que l’unique objectif était de repousser l’OLP 40 km en arrière. Il installa ensuite Bachir Gemayel comme le dictateur du Liban. Puis il laissa les Phalanges Chrétiennes exécuter les massacres de Sabra et Chatila afin de terrifier les Palestiniens pour qu’ils fuient en Syrie.
Les résultats de la guerre furent à l’opposé des attentes. Bachir fut assassiné par les Syriens, et son frère, élu grâce aux fusils israéliens, fut d’une faiblesse inopérante. Les Syriens renforcèrent leur emprise sur le Liban. L’horrible massacre n’incita pas les Palestiniens à fuir. Ils ne bougèrent pas. Hussein demeura sur son trône. La Jordanie ne devint pas la Palestine. Arafat et son escorte armée furent évacués à Tunis, où ils remportèrent d’impressionnantes victoires politiques, furent reconnus comme les « seuls représentants du peuple palestinien » et retournèrent finalement en Palestine.
Le plan militaire alla de travers dès le tout début, tout autant que le plan politique. Comme la guerre était célébrée en Israël comme une glorieuse victoire militaire, aucune leçon militaire n’en fut tirée - si bien que la Deuxième Guerre du Liban, quelque 24 ans plus tard, fut un désastre militaire encore plus grand.
Le simple fait est qu’en 1982 aucune unité de l’armée n’a tant soit peu atteint son objectif, en tout cas pas à temps. La courageuse résistance palestinienne à Sidon (Saida) retint l’armée, et Beyrouth était encore hors d’atteinte quand le cessez-le-feu fut déclaré. Sharon, tout simplement, le rompit, et c’est alors seulement que ses troupes réussirent à encercler la ville et à pénétrer dans sa partie orientale.
Contrairement à sa promesse à Begin (qui me fut répétée à l’époque par un partenaire de coalition très haut placé), Sharon attaqua l’armée syrienne afin d’atteindre et de couper la route de Beyrouth à Damas. Les unités israéliennes sur ce front n’atteignirent jamais la route vitale, au lieu de quoi elles subirent une défaite retentissante à Sultan Yacoub.
Pas étonnant. Le chef d’état-major était Rafael Eitan, dit Raful. Il avait été nommé par le prédécesseur de Sharon, Ezer Weizman. A l’époque j’ai demandé à Weizman pourquoi il nommait ce parfait idiot. Sa réponse fut typique : « J’ai assez de Q.I. pour nous deux . Il exécutera mes ordres ». Mais Weizman démissionna et Raful resta.
Un des résultats les plus significatifs et durables de la Première Guerre du Liban concerne les chiites
De 1949 à 1970, la frontière libanaise fut la plus tranquille de toutes nos frontières. Des gens la passaient par erreur et étaient renvoyés chez eux. On disait habituellement : « Le Liban sera le deuxième pays arabe à faire la paix avec Israël », n’osant pas être le premier.
La population majoritairement chiite de l’autre côté de la frontière était alors la moins puissante des diverses communautés ethniques religieuses du Liban. Quand le roi Hussein avec l’aide d’Israël, chassa les forces de l’OLP hors de Jordanie pendant le « Septembre Noir » de 1970, les Palestiniens s’installèrent au Liban sud et devinrent les maîtres de la région frontalière, qui fut bientôt connue en Israël comme « Fatahland ».
La population chiite n’apprécia pas d’être dominée par de nouveaux seigneurs palestiniens, qui étaient sunnites. Quand les troupes de Sharon pénétrèrent dans la zone, elles furent carrément accueillies avec du riz et des confiseries (je l’ai vu de mes propres yeux). Les chiites, ne connaissant pas Israël, croyaient que leurs libérateurs chasseraient les Palestiniens puis rentreraient à la maison.
Il ne fallut pas longtemps pour mesurer leur erreur. Alors ils entamèrent une guerre de guérilla, à laquelle l’armée israélienne n’était pas du tout préparée.
La petite souris chiite devint le lion chiite. Face à leur guérilla, le gouvernement israélien décida de quitter Beyrouth et presque tout le Liban sud, s’en tenant à une « zone de sécurité » qui, comme prévisible, devint un champ de bataille pour la guérilla. Les chiites modérés furent remplacés par un nouveau Hisb-Allah ("parti de dieu") bien plus radical, qui finit par devenir la principale force politique et militaire de tout le Liban.
Pour les arrêter, Israël assassina leur chef Abbas al-Musawi, qui fut promptement remplacé par un assistant considérablement plus talentueux - Hassan Nasrallah.
A la même époque, les clones de Sharon à Washington lançaient une guerre qui détruirait l’Irak, le rempart arabe historique contre l’Iran. Un nouvel axe, l’Irak chiite, le Hezbollah et la Syrie alaouite, devint un fait dominant. (Les alaouites, qui règnent sur la Syrie des Assad, sont une branche du chiisme. Leur nom dérive d’Ali, gendre du Prophète, dont les descendants furent rejetés par les sunnites et acceptés par les chiites).
Si Sharon pouvait s’éveiller du coma qui est son sort depuis six ans, il serait choqué du résultat -le seul résultat pratique - de sa guerre du Liban.
L’une des victimes de la guerre fut Menahem Begin
Bien de légendes ont été tissées autour de son souvenir, l’effaçant de façon tout à fait disproportionnée.
Begin avait beaucoup d’excellentes qualités. C’était un homme de principes, d’honnêteté et de courage personnel. C’était également un grand orateur dans la tradition européenne, capable d’influencer les émotions de son auditoire.
Mais Begin était un très mauvais penseur, complètement dénué d’originalité d’esprit. Son mentor, Vladimir Ze’ev Jabotinsky, le traitait avec dédain. A sa façon, c’était un grand naïf. Il se laissa aisément induire en erreur par Sharon. Se consacrant en toute simplicité d’esprit à la défaite des Palestiniens et à l’expansion de l’emprise de l’Etat « juif » sur toute la Palestine historique, il ne se souciait pas vraiment du Liban, du Sinaï ou du Golan.
Son attitude pendant la Guerre du Liban frisait le ridicule. Il visitait les troupes et posait des questions qui devinrent la cible de plaisanteries parmi les soldats. Rétrospectivement, on se demande si à cette époque il était déjà affecté mentalement. Peu après le massacre de Sabra et Chatila, qui le choqua profondément, il sombra dans une grave dépression qui dura jusqu’à sa mort dix ans plus tard.
La morale de l’histoire, plus pertinente aujourd’hui que jamais : n’importe quel imbécile peut démarrer une guerre, seule une personne très sage peut éviter une guerre.
* Uri Avnery est un écrivain israélien et un militant pour la paix de Gush Shalom. Il a contribué au livre de CounterPunch : The Politics of Anti-Semitism.
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8 juin 2012 - The Palestine Chronicle - Vous pouvez consulter cet article à :
http://palestinechronicle.com/view_...
Traduction : Info-Palestine.net - Marie Meert