Thaer Halahleh

Cette lettre a probablement été transmise par le biais de Mona Neddad, une des avocates de Addameer lors de sa dernière visite à l’hôpital de la prison de Ramle, le mardi 10 mai.

Dernièrement, alors qu’Al-Akhbar English News mettait à jour les profiles des Prisonniers, j’avais raconté l’histoire de Lamar qui ne connaît son père qu’à travers les photos et posters puisqu’elle est née pendant que Thaer était en prison.

« Lamar a vu le jour le 19 juillet mais c’est seulement après quelques mois, soit le 9 octobre que le papa Thaer a pu la rencontrer et voir sa famille. C’était lors de la première visite qui lui a été accordée depuis son arrestation. Aujourd’hui, Lamar fêtera bientôt ses deux ans et ne connaît son père qu’à travers les photos qu’elle pose sous ses joues en dormant. La petite et sa mère vivent dans le village de Kharaas, à Hébron. »

« Innocente, Lamar est persuadée qu’il y a un mariage dans le village en voyant une tente de solidarité plantée devant la maison. »

Ci-après une version traduite de la lettre de Thaer, réalisée par Jalal Najjar :

« Ma bien-aimée Lamar, pardonne-moi parce que l’occupation m’a éloigné de toi et m’a arraché le plaisir de vivre et d’assister à la naissance de mon premier enfant. Dieu seul sait combien je l’ai imploré pour t’avoir, te voir, t’embrasser et être heureux auprès de toi. Rassure-toi, tu n’y es pour rien ; c’est notre destin en tant que peuple Palestinien de vivre dans de pareilles conditions, de voir notre existence et celle de nos enfants se briser devant nos yeux, de vivre séparés les uns des autres et de mener la plus misérables des existences. Notre vie ne ressemble pas à celle des autres ; la notre est incomplète et inachevée à cause de cette occupation injuste qui plane sur nous et qui menace chaque aspect de notre quotidien. Ces abus ont fini par rendre notre vie une perpétuelle source d’angoisse, de poursuite continue et de torture. »

« Je me retrouve actuellement dans une position où je ne peux pas te prendre dans mes bras comme tout autre père, je ne peux même pas entendre ta voix ni te voir grandir et bouger partout dans la maison et dans ton lit. Mais je dois t’avouer que même si je suis privé de vivre pleinement mon rôle d’être humain et de père, ton existence m’a donné un nouveau souffle porteur de force et d’espoir. J’ai vu la dernière fois une photo de toi avec ta mère, assises dans la tente. Tu paraissais très calme en train de regarder les gens avec émerveillement, comme si tu cherchais ton père parmi eux et tu regardais mes photos accrochées en pensant en silence à ce père qui tarde à retourner chez lui. Je sens que tu es avec moi, présente dans mon esprit et dans mon c ?ur dont les battements suivent ton rythme. Tu es la source de ma détermination et le sang qui coule dans mes veines, défiant ainsi tout obstacle, ouvrant toutes les portes devant moi, illuminant les cieux qui ne m’ont, jusqu’ici, offert qu’obscurité et ténèbres et libérant ta douce voix enfantine qui vient rompre le long silence dans lequel je vis. »

« Ma fille adorée : Je sais que tu n’es pas à blâmer et que tu es encore jeune pour comprendre les raisons qui ont poussé ton père à s’engager dans cette bataille de grève de la faim depuis 75 jours déjà, mais lorsque tu grandiras, tu comprendras que la lutte pour la liberté est la lutte pour le retour parmi vous, c’est la bataille pour que plus personne ne nous séparera et ne m’empêchera de te voir ou d’apprécier ton sourire. Je fais cela pour que l’occupant ne viennent plus briser notre union et me kidnapper. »

« Lamar, quand tu grandiras, tu comprendras à quel point ton père et des milliers de Palestiniens ont payé un lourd tribut du fait de l’injustice de l’occupant qui s’est évertué à nous jeter tous en prisons et dans des cellules étroites. Tu comprendras un jour que l’occupant a, sans aucune autre raison que de réprimer notre liberté, dignité et indépendance, décidé de briser nos vies et notre avenir. Tu sauras un jour que ton père s’est levé contre l’injustice et la soumission car jamais il ne tolérera ni acceptera l’humiliation et les compromis. Ton père a choisi le chemin de la grève de la faim pour protester contre l’état Juif qui veut nous assujettir et nous réduire à de petits esclaves humiliés, dépouillés de leurs droits et de leur dignité patriotique. »

« Ma fille adorée, garde la tête haute et sois fière de ton père. Aussi, remercie tous ceux qui m’ont soutenu et soutiennent les prisonniers dans leur lutte. N’aies surtout par peur car Dieu est toujours avec nous, et Il ne laissera jamais tomber les gens armés de foi et de patience. Nous sommes honnêtes et vertueux, et tôt ou tard, le droit et la justice l’emporteront sur l’injustice et la tyrannie. »

« Lamar, mon amour, sois sûre que ce jour viendra et que je rattraperai le temps perdu et te compenserai pour chaque instant passé loin de toi. Ce jour là, je te raconterai toute l’histoire et les jours qui suivront seront encore plus beaux et meilleurs, c’est pourquoi, je te demande de laisser le temps passer maintenant, de porter tes plus beaux habits et de courir encore et encore en t’épanouissant dans les jardins de ta longue vie. Va de l’avant et avance car tout ce qui reste derrière ton dos n’est que passé. Sache que si je résiste, c’est pour toi et par toi, par ta voix qui vit à l’intérieur de mon âme et corps et qui me chante sans cesse une douce mélodie pour la liberté »

* Linah Alsaafin, diplômée de l’université de Birzeit en Cisjordanie est née à Cardiff au pays de Galles et a été élevée en Angleterre, aux USA et en Palestine. Jeune palestinienne de 21 ans, à la fois de Gaza et de Cisjordanie, elle est active dans la résistance populaire non armée et blogueuse pour The Electronic Intifada.

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