Fermer la page
www.info-palestine.net
La biologie de la paix
dimanche 26 février 2012 - Mazin Qumsiyeh - Popular Resistance
JPEG - 33.6 ko
Manifestation à Gaza, le 2 juin 2010

C’est un chapitre du livre Pourquoi la Paix édité par Mark Guttman. (Ce livre est une exploration d’une agression et du processus évolutionnaire (et révolutionnaire) vers la paix. A travers les éclairages d’hommes et de femmes, dans un large panel de milieux, cultures et d’opinions, Pourquoi la Paix présente des récits de guerres, d’invasions, et de répressions politiques - jusqu’aux niveaux les plus basiques de l’autoritarisme).

* Le Professeur Mazin Qumsiyeh enseigne la biologie et effectue des recherches à Betlhéhem et à l’université de Birzeit en Palestine occupée. Il a siégé antérieurement dans des facultés des universités du Tennessee, Duke et Yale. Il est actuellement président du Centre palestinien pour le rapprochement entre les peuples et siège au conseil du Théâtre pour enfants d’Al-Rowwad, dans le camp de réfugiés d’Aïda. Ce qui le motive essentiellement est de militer dans les domaines de la communication et de l’instruction de l’opinion. Il a publié plus de 200 lettres par son éditeur et 200 éditoriaux, il a donné aussi énormément d’interviews sur des chaînes de télévision et des radios (locales, nationales et internationales). Mazin a publié plusieurs livres, notamment Le Partage de la Terre de Canaan : les Droits de l’homme et le conflit israélo/palestinien », et La Résistance populaire en Palestine : une Histoire d’espoir et d’autonomisation.


J’ai grandi sous l’occupation israélienne, une occupation militaire brutale accompagnée d’une « colonisation » (vol de la terre). Ma famille a souffert, bien que pas autant que d’autres familles palestiniennes. Il est difficile de décrire à quel point l’occupation envahit chacun des aspects d’une vie ici : du manger et du boire à l’éducation, et de la santé aux voyages, de l’économie à la liberté de religion. L’antithèse de toute cette répression, violence, occupation, colonisation et guerre c’est, bien sûr, la paix. J’ai donc été captivé par la paix en tant que concept, rêve, espoir. Quelquefois, je pense à la paix comme à un état de calme extérieur et à une absence de troubles. En d’autres temps, j’ai pensé que la paix était liée à l’absence de répressions. Aujourd’hui, je pense à la paix comme à une paix intérieure, qui n’émane que de l’action pour ce en quoi nous croyons et de la libération de nos esprits de l’asservissement provenant de sources extérieures.

Dans les traditions bouddhistes, on vous demande de chercher, d’avoir « une participation joyeuse aux chagrins de ce monde ». Je m’en suis souvenu quand je me suis trouvé en détention le 27 juillet 2011, avec certains autres militants israéliens et palestiniens, au centre militaire israélien d’Atarot. C’était après avoir été agressés par des soldats israéliens alors que nous participions à une manifestation non violente dans le village d’Al-Walaja. Ce beau village de Cisjordanie est en train de se dépeupler, lentement, de ses derniers habitants. Il est difficile ici d’adopter des slogans simples et beaux, alors qu’un mur veut encercler les dernières maisons du village, coupant les habitants de leurs moyens d’existence et les forçant à partir.

Comment pouvons-nous même commencer à comprendre le chagrin qui a englouti la terre de Canaan pendant des dernières décennies ? Les chagrins des habitants originaires de ces lieux sont si épouvantables que parfois, ils semblent irréels. Sur les 11 millions de Palestiniens dans le monde, 7 sont des populations réfugiées ou déplacées. Les 5,5 millions de natifs qui restent à l’intérieur du pays (et dont beaucoup ont été déplacés) sont restreints désormais à se tasser dans des zones de concentrations, sur seulement 8,3 % de la terre historique de la Palestine.

Selon la dernière enquête du Bureau central palestinien des statistiques, quelque 26,2 % des familles vivent dans la pauvreté, et 14,1 % dans une pauvreté extrême, c’est-à-dire que 40,3 % de familles vivent dans la pauvreté ou la misère, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. La situation dans la bande de Gaza est pire même que celle en Cisjordanie avec son million et demi d’habitants, la plupart des réfugiés, coincés sur une terre aride de la Palestine, assiégés, sous blocus et dont les nécessités basiques pour pouvoir vivre leur sont déniées. Ceci, la pire horreur de l’après Deuxième Guerre mondiale infligée à un peuple, présage en effet de tant de souffrances. Alors, comment pouvons-nous avoir une paix personnelle, à plus forte raison une participation joyeuse, alors que nous souffrons tant ?

J’ai moi-même perdu de nombreux collègues et amis. Rien que dans la dernière année seulement, j’ai perdu des amis qui pratiquaient la non-violence et recherchaient la paix : Juliano Mer Khamis, Vittorio Arrigi, Basem et sa s ?ur, Jawaher Abu Rahma. J’ai perdu de nombreux amis et parents par des maladies qui semblent se développer dans notre population. Le cancer et les maladies de c ?ur ont coûté la vie à beaucoup : à mes deux beaux-frères, à quatre amis chers et à des militants. Toutes ces pertes creusent certainement des cicatrices profondes qui parviennent jusqu’à l’âme. Même les difficultés quotidiennes de la vie nous émeuvent et nous perturbent, nous écartant toujours un peu plus de la paix. Aussi, comment pouvons-nous aspirer à la paix quand nos propres âmes sont toujours si loin de la paix ? Je crois que notre désarroi intérieur est principalement dû à un manque de compréhension de la nature humaine et des trajectoires de l’histoire.

Pour comprendre les humains et ce qui nous motive, il nous faut saisir ce qu’est notre biologie, spécialement notre développement à son premier stade. J’ai enseigné la biologie du développement et j’ai fait des recherches sur la façon dont les choses pourraient ne pas fonctionner dans le développement à son stade embryonnaire. Nous avons tous commencé comme zygote, cellule unique résultant de la fusion d’un noyau de sperme et d’un noyau d’un ovule à l’intérieur du cytoplasme de l’ovule. Ce cytoplasme est une soupe contenant des codes pour des protéines qui permettent à l’embryon à peine formé de prendre sa première structure organisationnelle, avant même que le code dans le noyau du zygote ne commence à façonner ce qui deviendra l’individu. Dans un sens, nous dépendons tous beaucoup plus de ce que nous recevons de notre mère que de ce que nous recevons de notre père. En biologie du développement, nous savons que la formation de l’axe (qui a trois dimensions : antéro/postérieur, dorso-ventral, droite-gauche) vient du cytoplasme de l’ovule de notre mère. En substance, sans cette matière initiale reçue de notre mère, nous ne serions qu’une grosse goutte ronde.

Mais le miracle de la biologie du développement est que l’union de 23 chromosomes de sperme avec 23 chromosomes de l’ovule forment un noyau. Déjà, il existe d’infinies possibilités génétiques pour ces chromosomes maternels et paternels. Ceci parce que le processus de production de sperme et d’ovules, appelé méiose, non seulement réduit les chromosomes de moitié (de 46 à 23), mais crée une myriade de possibilités pour obtenir des ensembles très différents de variation génétique, par une recombinaison et une ségrégation des chromosomes. C’est pourquoi aucuns des deux spermatozoïdes et des deux ovules ne sont identiques. C’est pourquoi il n’y a pas deux frères et s ?urs identiques (sauf bien sûr les vrais jumeaux, qui viennent du même zygote).

La première cellule se divise pour devenir, 2, 4, 8, 16, 32, 64 cellules. Ce jeune embryon s’implante sur la paroi utérine et l’interdigitation des tissus embryonnaires et maternels forme un placenta. Cette structure remarquable se forme quand les éléments nutritifs sont fournis à l’embryon, et l’oxygène et du CO² sont échangés. De nombreux embryons sont perdus en cours de route parce qu’ils ont des codes génétiques qui affectent ce processus développemental. Quelque 15 à 20 % des grossesses reconnues sont spontanément interrompues (processus de sélection naturelle). Les mutations nocives sont le prix que notre espèce paie pour les mutations utiles possibles. Les mutations sont les substances naturelles sur lesquelles la sélection naturelle opère. Les mutations utiles survivent et s’en vont à la nouvelle génération. Cette idée simple (développée et diffusée par Charles Darwin) a révolutionné notre compréhension de la biologie qui, à son tour, a fait avancer un large éventail de domaines, depuis la recherche environnementale jusqu’aux études médicales.

Le développement de l’embryon dans l’utérus est, naturellement, soumis à son environnement. Les deux stimuli nocifs et bénéfiques façonnent son existence et son avenir mêmes. C’est pourquoi il est dit aux femmes enceintes de rester à l’écart des matières nocives (alcool, tabac et autres drogues) et de se garder une bonne alimentation. (Beaucoup de mères palestiniennes ont accouché de bébés atteints de cécité dans les quelques années qui suivirent la Nakba de 1948, conséquence de la carence en vitamines E dans les camps de réfugiés). Certaines études scientifiques suggèrent également que le développement du cerveau de l’enfant peut être sensible à une nourriture saine, à un air sans toxines et à l’absence de toute chose nocive. Des données montrent que même la musique et la bonne humeur de la mère influent sur la capacité mentale et le développement de l’enfant qu’elle porte. Inutile de le dire, les femmes dans les régions en guerre ne donnent pas le jour aux bébés en meilleure santé. C’est pourquoi l’impact d’une occupation militaire ne touche pas que les adultes et les enfants, mais aussi les générations à venir.

Après la naissance, l’éducation donnée par la société peut générer des notions racistes tribalistes (par exemple, l’Allemagne nazie,... ou Israël aujourd ?hui). Remettre en question ces notions de supériorité et rechercher un bien commun sont possibles, mais cela requiert de se débarrasser d’un certain bagage éducatif que les sociétés nationalistes et militaristes utilisent pour saturer les jeunes esprits. A un certain niveau, cela est plus difficile aujourd’hui que par le passé : les guerres modernes sont beaucoup plus sanglantes que celles d’autrefois, mais elles sont menées à distance.

Les soldats ne reviennent plus dans leurs foyers pour laver le sang de leurs ennemis sur leurs vêtements et leurs épées. Ils rentrent avec l’image des outils dont ils se sont servis pour détruire leurs ennemis à distance. Les visages de ces ennemis ne leurs sont pas familiers, aperçus seulement dans la ligne de mire de leurs armes ou sur l’écran de leurs ordinateurs. Les distorsions des visages et les cris d’agonies des tués ne parviennent pas jusqu’aux tueurs. Certains de ces tueurs aiment à prétendre qu’ils n’ont jamais imaginé ces choses. Ils veulent se raccrocher à des éléments de leur humanité. Ils peuvent rentrer à la maison, et même aider une vieille dame à traverser la rue ou donner un bonbon à un enfant. Mais au fond de leur psyché, ces tueurs savent qu’ils ont détruit un humain, un être tout comme eux, fait de chair et de sang, avec des sentiments, avec des gens qui l’aimaient, lui ou elle.

D’autre part, l’évolution d’internet et des méthodes de communication sociale permet à la famille des humains de se rapprocher d’une façon nouvelle et incroyablement positive qui favorise l’évolution sociale vers la paix et les droits des humains. De l’organisation à Seattle contre l’OMC et le FMI à la Tunisie et l’Égypte, les peuples trouvent leur voie. Ici en Palestine, nous avons eu une communauté militante dynamique pendant des décennies. De plus en plus, des militants israéliens et internationaux unissent leurs efforts aux nôtres, Palestiniens natifs, dans notre combat pour la paix avec la justice.

Après 20 ans de négociations stériles entre le colonisateur et le colonisé, l’occupant et l’occupé, même l’élite palestinienne a découvert la force du peuple. S’engager dans une diplomatie internationale tout en agissant dans une résistance populaire est crucial pour faire monter la pression et parvenir à une résolution juste. Si le gouvernement israélien persiste dans son intransigeance et continue de construire ses colonies sur les terres palestiniennes, la seule option restante sera adoptée par de plus en plus de personnes : une campagne pour un État démocratique unique sur toute la Palestine historique. Ce résultat pourrait bien être déjà garanti par le projet expansionniste acharné des sionistes. En rendant l’option pour deux États impossible et en nous obligeant à être étroitement en contact, nous (les Palestiniens et les Israéliens) élaborons des stratégies communes pour oeuvrer à la paix, même alors que des murs sont érigés sur notre terre.

Ce qui est remarquable, c’est que des humains d’origines diverses en sont venus à considérer la paix comme une question personnelle, et à voir dans les politiciens des gens « dépassés ». Tous les humains ont des comportements qui font remonter à nos primates ancestraux. Depuis le sexe jusqu’à l’alimentation, à l’autoprotection, à l’ambition de contrôler l’espace, nous, en tant qu’espèce, sommes entraînés par ces comportements innés profondément enracinés. C’est la mesure dans laquelle nous pouvons contrôler notre comportement d’une façon positive qui détermine notre humanité. Les gouvernements s’efforcent de maintenir le statu quo pour continuer à contrôler les individus et à manipuler les conflits à leurs profits. Mais les réalisations de celles et ceux qui agissent ensemble vers la liberté, la paix et l’autonomie, sont un témoignage de la force qui réside en nous.

Nous avons appris avec les mouvements pour les droits civiques aux États-Unis, la fin de l’apartheid en Afrique du Sud, les libertés acquises en Europe orientale, et le Printemps arabe. Je crois que la principale raison à ces qualités du monde (et à la persistance de notre optimisme), c’est que les gens biens sont partout, faisant tout leur possible pour une paix intérieure et l’étendre par des actes visant à construire la paix dans nos sociétés. C’est ce qui se passe, en dépit des poussées contraires par les gouvernements qui se complaisent dans le statu quo. Sans cette « force des peuples », nous aurions des guerres sans fin, une répression et des injustices interminables. Avec cette force et une évolution culturelle humaine qui s’accélèrent, nous sommes impatients de voir le jour où aucune vie humaine ne sera perdue dans des guerres inutiles et des conflits, et où tout humain ne connaîtra plus l’agression d’un État. C’est à nous d’agir pour hâter ce processus dans l’histoire.


JPEG - 4.7 ko

Du même auteur :

- Vingt points sur Palestine/Israël - 14 janvier 2012
- Je suis malade de... - 3 janvier 2012
- Honoré comme Freedom Rider - 19 novembre 2011
- Défier l’apartheid par la voie des airs - 8 juillet 2011
- Mémos Palestine : l’histoire est en marche - 30 janvier 2011
- Défi aux bulldozers en Palestine - 20 juin 2010
- La répression israélienne en Palestine s’aggrave - 8 mars 2010