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L’École de musique de Gaza : une composition dans le défi et l’harmonie
vendredi 10 février 2012 - Donald Macintyre
The Independent




Nous sommes en fin d’après-midi, dans une pièce qui s’assombrit de minute en minute à cause d’une coupure du courant ce qui n’est que trop habituel, Shaden Shabwan, qui a tout juste dix ans et apprend à se concentrer, interprète un air folklorique tchèque sur un piano droit Yamaha, son professeur attend d’elle qu’elle évite les fautes. C’est le jour où les élèves de piano sont testés à l’École de musique de Gaza, où Shaden est dans sa deuxième année. De l’autre côté du couloir, son camarade de cours, Abdel Aziz Sharek, lui aussi âgé de 10 ans, est tout aussi concentré. Accompagné par des ouds et un tabla (percussion indienne), il met adroitement en valeur une longa classique fascinante sur un qanûn, instrument qui tient de la cithare et qui est au coeur de la musique arabe depuis un millénaire voire davantage. Abdel Aziz, prend ses vraies études avec le même sérieux que la musique. « Je veux être médecin », explique-t-il. « Mais je vais continuer à jouer. Je serai en même temps dans un groupe ».

Revenons dans la salle de piano, Sara Akel interprète deux études, une du compositeur autrichien Carl Czerny et une Polonaise de Bach, elle est si sûre d’elle que, si vous fermiez les yeux, vous ne devineriez jamais qu’elle n’a que 12 ans. Sara préfère la musique aux matières scolaires de l’école. « J’aime vraiment la musique ici » dit-elle. « Les professeurs sont si gentils et si talentueux. Je me vois réellement devenir une musicienne professionnelle ». A Gaza ? « Pourquoi pas ? ».

Bonne question. Ce centre d’excellence artistique pourrait ne pas concorder avec l’image populaire de Gaza. Mais il nourrit déjà toute une jeune génération musicale qui vaut bien celles en d’autres pays. Chacun des 52 garçons et 73 filles vient trois fois par semaine après l’école aux deux séances de cours sur instrument et à celle sur la théorie. Alors que beaucoup n’avaient même jamais touché un instrument auparavant, ils ont tous réussi aux tests de compétition sur l’audition et le rythmer pour y entrer.

Entre autres lauréats ayant réussi au dernier concours national palestinien de musique, par liaison vidéo - sachant que les étudiants ne peuvent quitter leur territoire -, un joueur de qanûn de 7 ans, Mahmoud Khail, est arrivé premier de son groupe d’âge. En avril prochain, l’école va devenir la 5è division pleine du Conservatoire national de musique Edward Saïd - la plus importante institution palestinienne de musique, baptisée ainsi après la disparition de cet écrivain nationaliste et amoureux de la musique, en 2003.

Mais l’école est aussi un symbole puissant de la résilience de Gaza. Elle a été créée il y a trois ans dans les locaux du Croissant-Rouge palestinien, dans le district de Tel el Hawa à Gaza ville, avec des fonds de la fondation Qattan et du gouvernement de Suède. La première moisson d’étudiants a donné son premier concert le 23 décembre 2008.

Quatre jours plus tard, l’agression militaire d’Israël contre la bande de Gaza sous direction Hamas commençait par un bombardement aérien qui frappait en plein le quartier général de la Sécurité préventive et endommageait les immeubles voisins, dont l’école. Son directeur, Ibrahim Najar, diplômé en musique de l’université du Caire et maître dans l’art du qanûm, se trouvait dans le bâtiment au même moment. Il n’a eu que des coupures et des contusions, et il revenait deux jours plus tard pour mettre à l’abri les instruments dans le tréfonds de l’école, la salle de bain.

Mais le 14 janvier, les troupes israéliennes entraient dans Tel el Hawa. Le bâtiment du Croissant-Rouge palestinien était touché et l’école avec lui, et plusieurs de ses instruments dont le précieux piano furent détruits. Grâce à l’ONG états-unienne Anera, ils furent remplacés par des instruments qui purent passer la frontière en dépit du blocus imposé par Israël, notamment deux pianos neufs de marque, et l’école a pu reprendre dans de nouveaux locaux.

Si l’école propose de la musique européenne aussi bien qu’arabe, c’est grâce à un groupe de femmes, qualifiées musicalement et venues en assez grand nombre d’Europe de l’Est, qui ont épousé des Gazaouis voyageant pour études dans l’ancien bloc soviétique. Yelina Lidawi, d’Ossétie du Nord, est diplômée du conservatoire de Rostov et a enseigné la musique à Vladikavkaz avant de venir à Gaza avec son époux en 1999. N’ayant aucun piano à son domicile, comme ses élèves (alors qu’Abdel Aziz a un qanûm, ce qui est plus transportable), elle travaille avec un clavier digital. Dans toute la bande de Gaza, avec sa population d’un million et demi de Palestiniens, elle estime qu’il y a probablement et seulement une demi-douzaine de pianos. Reconnaissant avec élégance les talents de ses élèves, elle souligne, « nous faisons une sélection très sévère. L’an dernier, nous avons dû choisir 40 élèves sur les 250 enfants qui postulaient ».
Même si les cours sont à présent gratuits, beaucoup des élèves viennent de la classe moyenne, selon les normes de Gaza - avec souvent des parents qui ont une profession ou qui sont universitaires. Mais tout en suivant dans ses centres un programme scolaire qui garantisse qu’aucun élève doué ne soit exclu du fait de la pauvreté, le Conservatoire se sensibilise de plus en plus vers les secteurs les plus défavorisés ou culturellement les plus conservateurs.

Suhail Khoury, directeur du Conservatoire Edward Saïd, parle d’une rencontre qu’il a eue quand il s’est rendu récemment à Gaza. Dans une école de Bureij (un camp de réfugiés dans la bande de Gaza), choisie pour être l’une des chorales du réseau que le conservatoire dirige aussi dans les camps de réfugiés palestiniens de la région, le directeur lui parla de deux garçons de onze ans dont le comportement et la réussite scolaire étaient si nuls qu’ils étaient sur le point d’être expulsés. « Eh bien l’un et l’autre ont réussi à se faire de belles voix et ils ont rejoint la chorale », dit Mr Khoury. « Selon le directeur, leur personnalité avait changé ; ils avaient quelque chose d’eux-mêmes à mettre en avant. Il dit : "Pour cela, je vous remercie". Ma journée était comblée ».

Musicalement parlant, le nom d’Edward Saïd est surtout connu pour l’Orchestre du Divan occidental-oriental qu’il a formé avec des musiciens palestiniens et israéliens en 1999 avec le chef d’orchestre Daniel Barenboïm. Mais le Conservatoire qui porte son nom ne fonctionne pas avec l’orchestre, croyant dans un boycott culturel d’Israël jusqu’à la fin de l’occupation qui dure aujourd’hui depuis 44 ans. Reconnaissant sa divergence avec les deux, tant Mr Barenboïm que le regretté Saïd à ce sujet, Mr Khoury demande : « Que dit cet orchestre au monde ? Que les Palestiniens et les Israéliens peuvent jouer ensemble ? Cela nous le savons. »

Sa position n’a pas empêché l’Orchestre national de Palestine géré par le Conservatoire de jouer au concert inaugural dans la ville israélienne mixte de Haïfa, en janvier dernier. Le public ciblé était les Arabes d’Israël mais les juifs - et les télévisions israéliennes - ont été les bienvenus. Et Mr Khoury de déclarer : « Aujourd’hui, un orchestre, demain, un État ». Après tout, la naissance d’Israël en 1948 est venue douze ans après la formation de l’orchestre qui est devenu aujourd’hui le Philharmonique d’Israël.

Revenons à l’École de musique de Gaza, où une vingtaine de jeunes voix vibrent depuis une salle de conférence en cet après-midi d’hiver rigoureux, s’atténuant jusqu’à devenir presque inaudible avant de aller crescendo, retrouvant toute leur ampleur. Ibrahim Najar est au piano, il charme sa classe de solfège pour étendre son registre vocal. Puis, les élèves parlent musique. « Autrefois j’aimais le piano, mais je préfère le qanûm » dit Adnan al Ghalban, 11 ans, de Khan Yunis dans le sud de la bande de Gaza. « Il parle mieux que le piano ».

Feras Adas, fils d’un propriétaire de café, explique comment il a d’abord joué avec la guitare d’un cousin. « J’ai appris avec lui, mais je faisais beaucoup de fautes avant. Maintenant, je veux devenir un grand musicien à la guitare ». Interrogé pour savoir, dans le cas où il y aurait une nouvelle invasion israélienne, s’il ne craint pas que l’École de musique ne soit à nouveau bombardée, il a son propre point de vue du haut de ses neuf ans sur la force de la musique à transcender les frontières et les lignes de combat. « Je pense qu’elle ne sera pas touchée » dit-il allègrement. « Les juifs aiment ce genre de chose ».







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9 janvier 2012 - The Independent - traduction : Info-Palestine - JPP