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BDS, des armes économiques pour relayer la politique
samedi 31 décembre 2011 - Omar Barghouti

Interview

Comment la société civile
palestinienne, qui apparaît
de l’extérieur comme
plutôt fragmentée, a-t-elle
pu se rassembler dans
cette campagne ?

Omar Barghouti (OB) : Notre
résistance populaire et pacifique
se heurte depuis des décennies
à l’occupation israélienne, au colonialisme
et à l’apartheid, malgré
les médiations occidentales (ou avec leur complicité). Il nous
fallait changer d’échelle, en impliquant à la fois la résistance
locale et une solidarité internationale soutenue. Notre histoire
et le succès du combat sud-africain contre l’apartheid ont été
les principales inspirations pour lancer le mouvement en 2005,
même si quand nous accusons Israël d’être un État d’apartheid,
nous faisons autant référence à la définition de l’apartheid
donnée par les Nations unies qu’à l’Afrique du Sud.
En effet, dans les trois segments de la société palestinienne
(les territoires occupés, les Palestiniens citoyens d’Israël et
les réfugiés), les organisations se sont réunies autour d’un
consensus inédit de lutte basée sur les droits humains et le
droit international. Indéniablement, c’est cette union qui permet
le succès de la campagne, là où les gouvernements et
l’ONU avaient échoué.

Le boycott, ce n’est pas une initiative qui peut
sembler radicale ?

OB : La campagne a été lancée douze ans après les accords
d’Oslo. Entre temps, Israël a plus que doublé son occupation des territoires palestiniens, chassé des milliers de Palestiniens,
détruit la majorité de notre agriculture, de notre industrie, accaparé
nos ressources en eau et accentué notre dépendance
envers son économie... Les « moyens démocratiques » ont
été épuisés, ils se sont révélés inutiles au regard de cette réalité
 : dans un conflit colonial, aucune diplomatie ne parvient à
forcer un colonisateur à rendre ses privilèges. La résistance,
quand elle prend la forme d’une campagne comme BDS, peut
amener Israël sur un terrain où sa force armée subventionnée
est inefficace.

Pouvez-vous nous donner des exemples
réussis du boycott ?

OB : Dernièrement, la campagne, qui prend de l’ampleur dans
les pays du Golfe, a connu un succès majeur contre Alstom :
après deux ans de pressions des sociétés civiles palestinienne,
arabes et européennes, l’Arabie saoudite a exclu Alstom
de la seconde phase du Haramain Railway reliant la Mecque à
Médine, un projet de 10 milliards de dollars perdu à cause de
l’implication d’Alstom dans le tramway reliant Jérusalem aux
colonies juives dans les territoires palestiniens occupés. Cela
montre aux entreprises que la complicité avec la politique de
colonisation d’Israël a des conséquences financières, et non
seulement morales.

Qu’attendez-vous des entreprises ?

OB : Nous ne demandons pas encore aux entreprises internationales
de se joindre au mouvement, mais de ne plus se rendre
complices de sociétés ou de projets israéliens qui violent le
droit international et les droits humains. Comme les exemples
de Veolia et d’Alstom le montrent, l’engagement dans de tels
projets israéliens, même relativement petits, peut potentiellement
les priver de contrats très lucratifs, et pas seulement en
Europe du Nord ! La responsabilité sociale, l’éthique, doivent
devenir plus qu’un slogan que les entreprises adoptent, tout
en continuant leur « business as usual » dans des projets qui
violent les droits humains. Elles ont tout intérêt à le faire, cela
devient une composante nécessaire de leur stratégie dans un
monde post-printemps arabe. Le contexte actuel verra probablement
élire des gouvernements qui soutiendront plus les
droits des Palestiniens face à Israël et à l’Occident... Les entreprises
impliquées dans l’occupation et l’apartheid auront
alors un prix bien plus lourd à payer.

Comment est perçue la campagne BDS en
Israël ?

OB : Les officiels israéliens qualifient la campagne de « menace
stratégique », car l’establishment et ses puissants lobbies
aux États-Unis, en France, en Angleterre et ailleurs ont échoué
à freiner son amplification : des groupes religieux, juifs et
autres, des fédérations syndicales et syndicats de dizaines de
pays (en Europe mais aussi au Brésil, au Canada, en Inde ou
en Turquie), des leaders intellectuels, viennent grossir le mouvement.
Les attaques sur Gaza à l’hiver 2008-2009 ou contre
les flottilles en 2010 ont à chaque fois eu des répercussions
immédiates en termes de changement d’échelle, notamment
dans le milieu culturel. Le boycott académique de nombreuses
universités et intellectuels, comme la multiplication d’annulations
de visites d’artistes blockbusters prévus en Israël, ont fait
taire le scepticisme sur le potentiel de la campagne.
Enfin, notre appel contient, en toute logique, une dimension qui
est rarement notée : nous invitons les Israéliens à soutenir notre
appel, pour la justice et une véritable paix. Ainsi, les citoyens
israéliens juifs anticoloniaux qui partagent nos valeurs sont nos
partenaires. Le Centre d’information alternative (AIC) et le Comité
israélien contre les destructions de maisons (ICAHD) sont
à l’origine d’un appel « de l’intérieur », en
2009, dont les adhérents se multiplient en
Israël. La Coalition des femmes pour la paix
a notamment monté Who Profits from the
Occupation ?, une base de données des
entreprises israéliennes et internationales
impliquées dans l’occupation. Cette liste
est consultée par des investisseurs, des
acteurs économiques et des institutions
internationales.

Chiffres
clés

En 2010, la satisfaction des citoyens du Moyen-
Orient sur la participation citoyenne (libre élection
des dirigeants, liberté d’expression, d’association
et de la presse) était la plus faible au monde avec
une moyenne régionale de 20.48% (contre 91.2%
pour les pays de l’OCDE). Les taux varient de
67.8% en Israël à 2.8% en Lybie, avec 35.5%
au Liban et 13.13% en Egypte.

La région est l’une des plus contrastées en termes
de développement humain (IDH) : l’Afghanistan,
dont l’IDH est l’un des plus bas au monde
(0,35) a aussi l’un des plus importants indices de
fécondité (ISF), plus de 6,5 enfants par femme.
A l’opposé, le Qatar et Israël ont un IDH autour
de 0,925 et une fécondité entre 2,5 et 3.

L’Index global de la faim a diminué de 39% par rapport à 1990, passant de 7,9 à 4,8, avec une
diminution de 50% ou plus en Turquie, en Arabie
saoudite, en Iran et au Koweït. Aujourd’hui,
l’anémie touche jusqu’à 86% des jeunes enfants
au Soudan alors que 39% de la population
Koweitienne est obèse.

Si le Moyen-Orient est aujourd’hui la zone la
moins peuplée du monde, c’est elle qui connaîtra l’essor démographique le plus important : +147%
de population d’ici 2033 (+45% en Europe).

Les combustibles représentent 76% des exportations
du Moyen-Orient, qui, depuis trente ans,
est la région qui reçoit les plus gros montants
d’aide publique des États-Unis : Israël est doté de
plus de 3 milliards de dollars en 2011. L’Égypte
reçoit la moitié de cette somme, la Jordanie 700
millions, les Palestiniens 500 millions.

La région est l’une des mieux répartie entre populations
urbaines et rurales, mais seules 18% des
terres cultivables sont cultivées. L’Égypte et
les Emirats arabes unis sont parmi les plus
grands acquéreurs mondiaux de terres arables à
l’étranger, comme l’Arabie saoudite qui, en 2008,
a acheté 2,7 millions d’hectares à l’Indonésie, la
Tanzanie et le Soudan.

En Egypte et en Arabie saoudite, le réchauffement
climatique fera chuter de 50% les
rendements agricoles d’ici 2050.
Les eaux du Jourdain et les aquifères
de Cisjordanie sont répartis à 90% pour
les Israéliens, à 10%pour les palestiniens.

Sources : Nations Unies, Banque Mondiale, GRAIN, FAO,
Unicef, Congressional Research Service.

Omar Barghouti est un militant des droits humains, membre fondateur du mouvement de boycott mondial contre Israël à direction palestinienne, et auteur de Boycott, désinvestissement, sanctions. (BDS) contre l’apartheid et l’occupation de la Palestine (Éditions La Fabrique).

D’Omar Barghouti :

- Un criminel de la Haganah témoigne sur la Nakba
- Veolia toujours impliquée dans les violations israéliennes du droit international
- L’obstacle fondamental sur le chemin d’une solution à un État
- Ashton : l’attaque des colons contre la mosquée en Cisjordanie sape la paix au Proche-Orient
- Le dernier masque de démocratie tombe

B&Cbrief - n° 14 - décembre 2011 - diffusé en français par Omar Barghouti