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Homs, la capitale sanglante du soulèvement syrien
mercredi 14 décembre 2011 - Ziad Rifaii - Al Akhbar
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24 Novembre 2011 - Un garçon syrien descend les marches à l’extérieur d’un magasin fermé, ses volets peints aux couleurs du drapeau national, dans le centre-ville de Homs - Photo : AFP - Anwar Amro

Homs a été nommée la « capitale de la révolution », et les yeux du monde sont tournés vers elle. La ville, à l’ouest de la Syrie, est le foyer de la révolte syrienne.

Les images qui sortent de Homs et des manifestations le soir, quand la caméra se concentrent sur des centaines de manifestants lançant leurs chants festifs, ne ressemblent pas à la ville telle qu’elle est la journée. Des tas d’ordures sont un peu partout et l’odeur de la destruction et du sang est dans l’air.

Les murs sont peints et repeints avec des slogans et des contre-slogans, et un sentiment de solennité pèse dans toutes les discussions politiques.

Les graffitis dans les rues principales sont recouverts de peinture noire, ce qui suggère qu’ils sont contre le régime. Mais vous pouvez voir les graffitis anti-régime dans les rues secondaires et ils sont faits à la fois d’insultes obscènes et de slogans politiques sensés.

Les jeunes conscrits se tiennent derrière leurs barricades de sacs de sable, le doigt sur la gâchette, en gardant un ?il sur les tireurs d’élite ou les possibles tirs de grenades propulsées par fusées (RPG).

De jeunes hommes dans les quartiers et les rues secondaires observent chaque mouvement suspect. Les tentatives pour les engager dans des conversations échouent. La suspicion et la crainte de l’identité de leurs interlocuteurs les incitent à répondre en se référant tous à une volonté divine : « Dieu est avec nous et avec ceux qui sont intègres. Il ne nous abandonnera pas. »

Hassan, dont les parents possèdent un magasin dans le marché de la ville, prend la plupart des choses avec humour. Mais aujourd’hui, dit-il, « le régime est à blâmer pour tout ce qui s’est passé. Les protestations ont été non-violentes et leurs revendications étaient claires. Le régime a utilisé la violence et des hommes venus d’autres groupes [confessionnels] pour nous mettre au sol. Ceci est une question sensible pour nous. Nous ne pouvons pas accepter que l’on nous tue et rester silencieux ; nous leur donnons un avant-goût de leur propre médecine. »

Hassan ne veut pas parler de ce qui se passera après que le régime sera renversé, ou de la raison pour laquelle beaucoup de gens d’autres groupes n’ont pas rejoint le mouvement de protestation.

Pour lui, ce ne sont que des outils que le gouvernement manipule contre les manifestants. « Nous allons renverser le régime et nous aurons une période de transition, comme en Egypte et en Tunisie », insiste-t-il.

Un militant de l’opposition, dans le quartier d’Al-Zahraa, dit que des crimes sectaires « ont été commis par les forces de sécurité à Homs afin de susciter des problèmes entre les sunnites et alaouites. »

Il est certain au-delà de tout doute que tous ceux qui sont morts à Homs ont été tués par les forces de sécurité et leurs gangs afin de provoquer des meurtres dans tous les sens. Mais il affirme que les manifestants sont « conscients et vigilants face aux tentatives de les faire glisser dans la violence sectaire. »

Oussama, un diplômé d’un institut médical et un loyaliste du régime, dit que « le conflit sectaire est devenu une réalité depuis que Tamam Al-Mahmoud et ses deux compagnons ont été tués, après qu’il ait été obligé d’avouer qu’il avait convoyé des snipers du Hezbollah à Homs et Hama. »

« Des dizaines de crimes sectaires ont été commis depuis le début de l’insurrection par des hommes armés qui ont été protégés par le mouvement de protestation. Tous les manifestants savent que ces hommes armés commettent des meurtres, mettent en place des barrages de contrôle et kidnappent des gens », a-t-il poursuivi.

Il n’y avait pas d’enlèvements avant que le conflit armé n’éclate. Les enlèvements sont devenus monnaie courante avec l’arrivée de groupes armés qui ont pris place dans les rues. Dans le même temps, les partisans du régime ont accepté les règles du jeu et ont commencé à kidnapper des gens de l’autre côté aussi, répondant du tac au tac.

Il n’y a pas de chiffres fiables sur le nombre de personnes qui ont été enlevées. Les disparus représentent le problème le plus pressant pour al-Zahraa et d’autres quartiers alentour.

La cousine de Wasim Ibrahim, qui vit dans le quartier d’al-Zahraa, a été enlevée, mais elle a été libérée moins de deux jours plus tard. « Devons-nous attendre que le gouvernement ramènent nos jeunes filles et jeunes hommes alors qu’il est incapable de protéger ses propres forces ou de les libérer si elles sont enlevées ? », explique Ibrahim en toute confiance.

« Tout ce que nous avions à faire était d’enlever deux jeunes filles du quartier de Jib al-Jandali, et ma cousine a été libérée. S’ils enlèvent deux de nos filles, nous kidnappons cinq des leurs. Ils sont à blâmer pour avoir commencé ce cycle d’enlèvements », dit-il.

Les enlèvement, qui sont utilisés pour exercer une pression et établir un équilibre dans la « terreur » entre les deux parties, a rehaussé le prestige d’un groupe social particulier : les anciens.

Même les médias d’Etat ont commencé à utiliser ce terme en faisant référence aux tentatives de libération des personnes enlevées avec l’aide des forces de sécurité et des « aînés ».

Ahmad, un étudiant de l’université, ne nie pas qu’il y ait dans son quartier pro-régime des gens qui ont kidnappé et tué des citoyens de l’autre côté. Mais il dit que cela a été fait en guise de représailles, ou pour un échange.

« Lorsque le gouvernement ne nous protège pas et que nous devenons le bouc émissaire, alors nous allons prendre les armes pour nous protéger. Si le gouvernement arrête un homme armé recherché ou un membre de l’opposition, ils kidnappent un homme ou une femme de notre quartier et les utilisent dans un échange. Telle est la réalité de la révolution syrienne. Votre problème est avec le régime, pourquoi s’en prendre à nous ? Et puis, vous nous blâmez si nous sommes avec le régime ? » dit Ahmad.

Rakan est un chauffeur de taxi du quartier de Baba Amro, et il m’a conseillé de ne pas aller dans ce quartier sans obtenir une sorte de garantie de la part des « rebelles ». Mais il a nié connaître l’un d’eux personnellement.

« Nous voulons être sûrs. Quand je passe par un poste de contrôle rebelle, je leur dis ’que Dieu vous protège et vous accorde la victoire’, et quand j’arrive à un checkpoint de l’armée, je leur dis ’que Dieu vous protège et vous accorde la victoire’. C’est la seule façon de me protéger », explique-t-il.

Noureddine, qui vit à Al-Jib Jandali, un quartier contrôlé par des groupes armés, affirme qu’il n’est « pas possible d’avoir une opinion libre ici. La non-violence et le rêve de changement politique d’en finir avec la tyrannie se sont transformés en un cauchemar de groupes armés qui se présentent comme les protecteurs des manifestations. »

« Personne ne veut croire à l’histoire des groupes armés jusqu’à ce qu’un de leurs enfants ait été tué par erreur ou volontairement. Nos vies sont transformées en enfer à cause d’eux », dit-il.

Les paroles de Noureddine font bondir son ami Yasser, un membre de l’opposition laïque. Yasser croit que les forces de sécurité « sont responsables de tout, ce sont eux qui ont joué la carte confessionnelle pour empêcher les protestations de s’étendre et la présence d’hommes armés depuis le début de la crise les obligent à acquiescer aux demandes du peuple. Le mouvement de protestation a suivi Al-Arour [le dignitaire musulman incendiaire] parce qu’il était avec la révolution dès le départ. »

Yasser critique tous les médias qui n’ont pas « couvert le travail effectué par les militants laïques et de gauche, surtout ceux de la Coalition pour la jeunesse syrienne [Nabd], dont les membres jouent un grand rôle à Homs en prenant part à des manifestations et en calmant certaines tensions sectaires. »

Abou Khaled, de la grande et bien connue tribu al-Bakara en Syrie, a quitté Alep pour vivre dans Homs il y a vingt ans.

« Simplement dit, ces gars-là sont des voyous, ni plus ni moins. Ils portent des banderoles exigeant protection contre des combattants de Moqtada al-Sadr [dirigeant chiite irakien - N.d.T] et des membres du Hizb al-Shaytan [le parti du diable] ... qui est la façon dont ils appellent le Hezbollah. Et ils portent aussi des banderoles remerciant le mouvement libanais Futur [opposition libanaise pro-américaine - N.d.T] - il semblerait qu’ils reçoivent de l’argent de leur part », dit Abou Khaled.

« Je suis un homme du peuple. J’ai été heureux de voir Hosni Moubarak tomber parce qu’il était un agent étranger, mais Bachar el-Assad est un quelqu’un de bien. C’est un nationaliste et il est contre Israël ... Je le soutiens et je refuse de l’insulter. Mais pour moi, dénoncer Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah, est un péché grave parce qu’il a consacré sa vie à la lutte contre Israël et seulement un agent étranger ou une personne folle pourrait l’offenser de telle manière », ajoute Abou Khaled.

Les statistiques concernant le nombre de victimes en Syrie depuis le déclenchement de l’insurrection révèlent que près d’un tiers d’entre elles sont tombées à Homs, le berceau de nombreux présidents syrien. L’opposition, confiante dans sa victoire, dit souvent que le prochain président sera également originaire de cette ville.

Les tensions à Homs avaient atteint le point d’ébullition il y a environ deux semaines, quand la ville est tombée dans le chaos pendant quelques heures et que plusieurs dizaines de personnes ont été victimes de meurtres par vengeance dans plusieurs quartiers.

Ces attaques par représailles ont été enflammées par l’assassinat de quatre personnes dans le quartier al-Zahraa, près de la mosquée Khaled ben al-Walid, alors que les chaînes satellitaires arabes diffusaient de fausses nouvelles selon lesquelles la mosquée avait été bombardée.

Les crime ont coïncidé avec des attaques sur les barrages de sécurité, perturbant les déplacements entre les quartiers. Les nouvelles des meurtres se sont répandues parmi des gens en colère d’avoir perdu des êtres chers, exacerbant une situation déjà tendue dans la ville et provoquant la mort de 51 personnes, dont la moitié ont été assassinées dans le quartier d’al-Zahraa et ses environs.

Un journaliste de Homs a commenté ce qui est arrivé en disant : « Quiconque était au mauvais endroit au mauvais moment a été tué. »

Chaque côté prétend qu’il avait à s’impliquer dans des enlèvements pour sauver des fils et filles qui ont été capturés et détenus dans des quartiers appartenant à des sectes rivales.

Chaque côté est d’avis que l’autre partie se trouve à l’origine du chaos, alors qu’eux-mêmes sont des patriotes et veulent l’unité nationale.

Des récits et contre-récits sont diffusés sur des événements qui peuvent remonter jusqu’en avril dernier, comme le meurtre d’un brigadier-général de l’armée. Le général, qu’on suppose être Abdu Tallawi, a été tué avec ses enfants et son neveu en passant par un quartier agité.

Il y a deux récits de ce qui s’est passé pour lui et sa famille, et ils diffèrent quant à l’origine confessionnelle de la victime. Les fidèles du régime disent qu’il a été tué par les takfiris - des islamistes radicaux qui accusent les autres musulmans d’apostasie - parce qu’il appartenait à la confession alaouite.

Les manifestants insistent pour dire qu’il était un membre de la famille Tallawi de Homs et qu’il a été tué par les forces de sécurité pour accuser l’opposition et détruire sa réputation. Certains prétendent même qu’il avait été abattu parce qu’il avait refusé de faire feu sur les manifestants.

Le troisième récit est ignoré en raison de l’extrême polarisation des opinions dans la ville. Le brigadier-général a été tué parce qu’il était dans un véhicule militaire, même s’il avait ses enfants avec lui.

Qui que ce soit qui l’ait tué, il ne se souciait pas de son groupe religieux mais voulait porter un coup dur au régime, provoquant ainsi une répression encore plus sévère, laquelle à son tour ferait glisser le mouvement de protestation dans un cycle de violence avec l’Etat.

12 décembre 2011 - Al Akhbar - Vous pouvez consulter cet article à :
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Traduction : Nazem