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Syrie : il n’y a pas qu’un seul son de cloche
vendredi 28 octobre 2011 - Robert Fisk
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Plusieurs dizaines de policiers et militaires - 120 selon les autorités syriennes - ont péri dans une attaque d’envergure à Jisr al-Choughour en juin de cette année.

Le sergent Jassem Abdul-Raheem Shehadi et le soldat Ahmed Khalaf Adalli de l’armée syrienne ont transférés vers le lieu où ils doivent être enterrés hier, avec le cérémonial voulu par leur famille : des cercueils drapés du drapeau syrien, des trompettes et tambours, des couronnes portées par leurs camarades et la présence de leur commandant.

Et pour finir, la marche funèbre de Chopin - mélangée avec des youyous du personnel de l’Hôpital Tishreen où leurs restes avaient été transférés - puis ensuite le voyage de neuf heures en ambulance jusqu’à leur ville natale, Raka. Shehadi avait 19 ans,et Adalli 20. Et leurs oncles ont juré qu’ils étaient morts pour le président Bachar al-Assad.

Ils ont été abattus dans Deraa - par des snipers, selon leur commandant, le major Walid Hatim. « Des terroristes », a-t-il déclaré à plusieurs reprises. Les adversaires Assad peuvent n’éprouvrer aucune sympathie pour ces soldats tués - ni Amnesty, ni Human Rights Watch, ni les Nations Unies qui affirment que 3000 civils ont été tués par les forces de sécurité syriennes, ni les Américains ni les Britanniques et cie... - mais ces deux cercueils suggèrent qu’il y a pas qu’un seul récit de la Révolution syrienne.

Des officiers syriens m’ont dit hier que 1150 soldats ont été tués en Syrie au cours des sept derniers mois, un nombre de morts tout à fait extraordinaires pour les troupes régulières syriennes, si ces données sont exactes. Dans la montagne Zawi près de Idlib, le major Hatim m’a affirmé que 30 soldats syriens avaient été tués dans une embuscade. Mazjera était le mot qu’il a utilisé : un massacre.

Shehadi et Adalli étaient basés dans Deraa, où l’opposition à Assad a débuté. Shehadi était là pour six mois, Adalli pour quatre. C’était un signe des temps que le Major Hatim soit arrivé à Damas à l’enterrement en civil. Pourquoi ne portait-il pas son uniforme, ais-je demandé ? « C’est plus facile, » répondit-il. En raison des dangers de conduire depuis Deraa ? « Peut-être », répondit-il. Cela aussi révèle une autre histoire. Les deux soldats morts avaient perdu leurs pères des années auparavant, et deux oncles avaient voyagé jusqu’ici depuis Raka pour escorter les corps chez eux. Ils étaient issus de familles pauvres, m’ont-ils dit. Les garçons et les autres oncles et tantes étaient restés s’occuper de leurs mères.

L’oncle de Shehadi, Salim Abdullah, vêtu d’une abaya [tunique longue] marron et tirant fortement sur ​​une cigarette, était au bord des larmes. « Mon neveu avait trois frères et deux s ?urs, et ils sont très pauvres », a-t-il dit. « Sa mère, Arash devra désormais être prise en charge par nous. Ces meurtriers ont tué l’espoir de notre famille. Il était le plus jeune garçon. »

Derrière Salim Shehadi, les troupes syriennes se tenaient en tenue de combat tandis que les cercueils étaient amenés de la morgue de l’hôpital. Tous les militaires syriens tués ont quitté par le sombre portail l’hôpital de Tishreen, un vaste bâtiment en béton dans la banlieue de Damas. Même le chauffeur de l’ambulance a fondu en larmes, prostré sur son véhicule.

La télévision syrienne avait une équipe à l’hôpital, avec la toujours fidèle l’Agence Arabe Syrienne de nouvelles, mais il était très inhabituel qu’un journaliste étranger soit invité à cette cérémonie, et encore moins qu’il puisse parler à des officiers syriens. Le Major Hatim m’a expliqué que les deux soldats ont été tués dans une embuscade bien organisée ; le sniper tirait depuis une position entre deux maisons. Il y avait une convergence étrange dans cette description. Les adversaires de M. Assad prétendent souvent que ce sont eux qui sont abattus par des tireurs d’élite qui utilise la couverture des bâtiments.

Mais peu de gens en Syrie doute que désormais - aussi pacifiques et pourtant sanglantes que puissent être les manifestations anti-gouvernementales à Homs et à Hama - que l’armée syrienne est devenue une cible majeure. Inutile de dire que le major Hatim, un vétéran de l’armée de 25 ans, était aussi un partisan du président.

Hatim m’a parlé de la « résistance » de la Syrie aux côtés des Palestiniens, que les soldats avaient parfois à mourir pour leur pays et que leur ennemi est Israël. On parle beaucoup à Damas d’une « main étrangère » derrière les massacres en Syrie, bien que le major ait admis que, dans ce cas « malheureusement, les tueurs sont syriens ».

Mais Salim Abdullah Shehadi voulait en dire plus. « J’espère que vous serez honnête et direz la vérité », m’a-t-il dit. « Dites la vérité sur l’assassinat du peuple syrien. Les mains des terroristes m’ont pris mon neveu. Nous sommes tous prêts à être des martyrs pour la Syrie et pour notre président Assad. » Cela semblait trop formaté, ce petit discours d’un homme en deuil, et un journaliste doit toujours se demander si cela était préparé. Pourtant, les militaires avaient eu seulement quatre minutes avant mon arrivée pour l’enterrement, et je doute qu’ils aient pu conditionné ce pauvre homme pour qu’il me dise ces mots.

Peut-être que jusqu’à la lointaine Raka, les gens donnent foi à ces mots de loyauté - Abdullah Hilmi, l’oncle d’Adalli, un homme âgé vêtu d’une abaya brune m’a dit la même chose - et certainement le Major Hatim est certain de ce qu’il dit. Mais que dire de ces images sur YouTube, de la fusillade de manifestants lors de funérailles - pas de danger que cela se produise hier à ces funérailles-là - et des 3000 morts civils dont parle l’ONU maintenant ?

Je suppose que - jusqu’à ce que des journalistes occidentaux puissent enquêter sans les restrictions du gouvernement - c’est une vidéo sur YouTube contre la parole de deux hommes pauvres dans leurs vêtements de paysans...

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26 octobre 2011 - The Independent - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.independent.co.uk/opinio...
Traduction : Nazem