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Le temps est venu pour que la force du peuple ouvre le passage frontalier de Rafah
dimanche 25 septembre 2011 - Haidar Eid - The Electronic Intifada
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La pression populaire a déjà su imposer l’ouverture de Rafah - Photo : Wissam Nassar - MaanImages

Evoquer ou écrire un sujet sur le Passage frontalier de Rafah, au lendemain de la réussite spectaculaire de la révolution Egyptienne menant à l’éviction de Hosni Moubarak ravive d’horribles souvenirs sur le régime déchu du dictateur. Tout à fait au début de l’année en cours, les 1.5 million de Palestiniens à Gaza avaient fondé de grands espoirs après la déclaration de l’ancien ministre égyptien des Affaires Etrangères, Nabil el-Arabi, ayant décrit de « scandaleuse » la complicité du gouvernement Moubarak avec Israël en assiégeant Gaza.

S’en est suivi, quelques mois plus tard, soit le 29 mai, une annonce officielle du gouvernement Egyptien déclarant que le passage frontalier de Rafah serait ouvert de façon permanente. Les modalités stipulaient que les Palestiniens détenteurs de passeports seraient autorisés à entrer en Egypte chaque jour, sauf les vendredis et les jours fériés, de 9h00 à 17h00. Les femmes Palestiniennes et les enfants quitteraient Gaza sans restrictions, tandis que les hommes âgés entre 18 et 40 ans nécessiteraient un visa pour entrer sur le sol égyptien.

De ce fait, les Palestiniens à Gaza ont salué cette initiative en dépit de toutes ces conditions imposées, et même si la libre circulation des biens et des équipements n’aurait pas été autorisée.

Mais la mise en ?uvre de cette décision n’a cependant duré que deux jours. Elle a été suspendue sans une annonce officielle. Ainsi, le nombre de personnes autorisées à quitter Gaza a été réduit à 300, et aucune raison n’a été donnée pour expliquer ce changement.

Sur le terrain, ce sont toujours les gens ordinaires de Gaza qui paient les frais de ce volte-face politique, au détriment de leur droit à la liberté de mouvement qui demeure restreinte, sans l’ombre d’une indication qui leur permet d’espérer de pouvoir voyager librement.

Une fermeture non justifiée

Pour justifier la fermeture du passage frontalier de Rafah, plusieurs personnes, y compris certains militants pour la solidarité avec la Palestine, évoquent le droit international, mais de manière sélective. Pour cela, ils argumentent que la Bande de Gaza n’est pas un état indépendant. En outre, du moment que l’Autorité Palestinienne, reconnue internationalement et basée à Ramallah, a en 2005 signé l’Accord de Rafah sur le Mouvement et l’Accès (Accord de Rafah), elle est par voie de conséquence la seule entité habilitée à superviser le mouvement au passage du côté Palestinien.

Les donneurs de leçons sont encore nombreux, puisque même les journaux influents israéliens dictent aux Palestiniens de Gaza ce qui peut être la meilleure solution pour eux. Parmi ces voix qui critiquent l’appel à l’ouverture du passage frontalier de Rafah, celle de la journaliste israélienne Amira Hass qui se dit en opposition avec les éminents signataires internationaux de l’International Campaign to Open the Rafah Crossing (Campagne Internationale pour l’Ouverture du Passage frontalier de Rafah).

Pour rappel, ces signataires sont les sud-africains Desmond Tutu et Ronnie Kasrils et le Rapporteur spécial de l’ONU dans les Territoires Occupés Richard Falk. Des noms d’écrivains de renommée mondiale y figurent également, à l’instar d’Alaa Al Aswani, Ahdaf Soueif, Tariq Ali, Radwa Ashour, Mike Marqusee et Banjamin Zephania (pour n’en citer que quelques uns). Et enfin, des grands groupes internationaux de solidarité des syndicats professionnels ont eux aussi appuyé l’appel pour l’ouverture de Rafah.

Quant à Amira Hass, elle argue que l’appel pour l’ouverture permanente et inconditionnelle du passage frontalier constitue une « autre initiative militante qui se décrit d’elle-même comme une arme à double tranchant » car elle n’est pas associée à la demande de liberté de mouvement entre Gaza et la Cisjordanie, comme si l’ouverture du passage nécessite la fermeture de tous les autres passages entre Gaza et Israël.

Et c’est cet amalgame entre tactique et stratégie qui pousse Hass à ignorer tout simplement que ces six passages sont totalement contrôlés par des soldats israéliens à la gâchette facile. Pour la journaliste, « l’initiative d’apparence progressiste et militante » pour ouvrir le passage frontalier de Rafah rend les limites de Gaza avec la Cisjordanie « une réalité incontestée. »

Evidemment, pour les partisans de la solution à deux états, cette conclusion est valide et tient la route. Mais on peut que rester sidéré lorsqu’il existe encore des gens qui ne réussissent pas à voir et à sentir l’immense souffrance engendrée par la fermeture du passage, en ignorant le fait que les Palestiniens à Gaza n’aient, en effet, aucune autre issue.

Plus important encore, Hass semble aussi ignorer le fait que l’appel pour une ouverture permanente et inconditionnelle du passage a été lancé par la société civile établie à Gaza et par des organismes communautaires. Aussitôt l’appel lancé, les révolutionnaires Egyptiens et les organismes communautaires ont, par leur soutien, répondu présents.

Relire le droit international

(Article 13 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme)

- Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un état.
- Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien et de revenir dans son pays.

Le droit international n’est pas contre l’ouverture du passage frontalier de Rafah, et même si tel était le cas, il serait de notre ressort, nous gens ordinaires, société civile et organismes communautaires, de définir une nouvelle réalité sur le terrain.
Mais le droit international reste très clair dans les situations d’urgence, comme ce fut le cas durant le siège et les massacres à Gaza, où les pays voisins, à l’instar de l’Egypte, doivent ouvrir leurs frontières. Dans ce contexte, le cas récent de la Bosnie est le meilleur exemple. En effet, et conformément au droit international, les pays européens voisins avaient répondu à la demande d’ouverture de leurs frontières pour les Bosniaques.

Dans le cas palestiniens, on peut même aller plus loin et attester que tout gouvernement ayant imposé, ou ayant contribué et aidé à l’imposition de ce siège mortel sur Gaza doit être poursuivi pour crimes de guerre. C’est pourquoi, cette question doit être posée à l’actuel Secrétaire Général de la Ligue Arabe, Nabil el-Arabi, en sa qualité d’expert dans le droit international, mais aussi, parce que ses déclarations sur les relations israélo-égyptiennes ont donné des espoirs inassouvis aux Palestiniens assiégés de Gaza.
Mais la réalité, faut-il le souligner, est qu’Israël, avant et après 2005, s’est autoproclamé l’unique puissance qui décide quand le passage doit être ouvert et comment interpréter le droit international, en s’assurant que ses propres intérêts, ainsi que ceux des Etats-Unis et de l’Occident en général, soient toujours sécurisés.

Le droit international et les accords peuvent être exploités et défendus comme un cadre pour une lutte où les droits des Palestiniens sont garantis et protégés (à l’instar de la Résolution 194 de l’ONU qui demande le droit au retour aux réfugiés Palestiniens), et si une telle utilisation appuie la résistance et la libération nationale. Dans ma conception des choses, le droit international doit être au service de la liberté, de l’égalité et des droits humains.

Toutefois, les restrictions imposées aux mouvements des Palestiniens au niveau du passage frontalier de Rafah sont une décision politique. En effet, le gouvernement d’unité nationale Palestinien, qui n’a pu survivre que quelques temps en 2007, et qui représentait environ toutes les organisations politiques palestiniennes, avait alors notifié à l’Egypte et au Quartet (les USA, l’Union Européenne, la Russie et l’ONU) qu’il acceptait les principes de l’accord de 2005 sur le passage de Rafah.

L’approbation du côté palestinien des principes de l’accord n’a jamais été acceptée par le régime égyptien, ni par le Quartet, menant ainsi à l’impasse actuelle qui a eu un impact direct sur les Palestiniens de Gaza qui comptent leurs morts (plus de 650), faute de pouvoir franchir le seuil de l’Egypte pour y recevoir l’assistance médicale nécessaire.

Par ailleurs, on notera qu’avant 1967, sous l’administration égyptienne, les frontières entre la Bande de Gaza et l’Egypte n’étaient pas contrôlées. Les Gazaouis étaient libres de circuler et de traverser Sinaï jusqu’au Canal de Suez sans qu’ils ne soient interpellés ou arrêtés. Cette liberté de mouvement n’a jamais été utilisée comme prétexte pour priver les Palestiniens de Gaza de leur droit à lutter pour retourner aux villes et villages dont ils avaient été ethniquement nettoyés et chassés. A l’époque, Gaza était encore considérée comme une partie de la Palestine historique. Aujourd’hui, le même principe s’applique quant aux appels pour l’ouverture de Rafah ; un aboutissement qui ne signifie en aucun cas accepter le régime de fermeture d’Israël, sous toutes ses formes.

Ignorer la colonisation

La tendance actuelle qui prévaut reflète une certaine interprétation du droit international. Le problème est que cette mauvaise interprétation transforme l’ensemble de la cause Palestinienne en une question hors de son contexte, un jeu de langage postmoderne. Le droit international auquel il est fait référence est considéré comme ahistorique et prend en considération l’interprétation de la partie puissante, à savoir Israël. Ce discours omet qu’Israël n’a pas seulement colonisé une terre, mais l’histoire et le discours qu’il représente. Et comme le décrit si bien l’historien Ilan Pappé (mais dans un autre contexte), Israël a utilisé son appareil puissant pour répandre son récit officiel.

C’est pourquoi, nous, Palestiniens, sommes engagés dans une lutte nationale de libération, et le contexte qui règne à Gaza, particulièrement pendant et après le massacre, requiert un changement de paradigme dans notre perception des outils de lutte et du programme politique à suivre. Le temps est venu pour qu’émerge enfin la force du peuple, telle que démontrée dans les rues du Caire, de Damas, de Sanaa, de Manama et de Tunis. Main dans la main, le peuple égyptien réussira avec ses voisins, les Palestiniens de Gaza, à ouvrir de façon permanente et sans conditions du passage, sans se soucier de la réaction et de la position d’Israël et des ses partisans de la Maison Blanche et du 10 Downing Street. Leur homme à Sharm El-Sheikh est quant à lui derrière les barreaux grâce au courage et aux sacrifices de gens ordinaires comme Khaled Said et Ahmed al-Shahat ; grâce aux hommes, femmes et enfants de Gaza qui se sont arrangés, à deux reprises, à démolir les murs de ciment bâtis sur les frontières palestino-égyptiennes.

Et ce n’est pas tout, il y a encore beaucoup de leçons à tirer de Gaza et sa tragédie de 2009. Cette année-là, nous avons perdu espoir dans ce qui s’appelle communauté internationale qui se vante comme défenseur du droit international, mais dont les représentations officielles, à l’instar de l’ONU, de l’Union Européenne et de la Ligue Arabe dans l’ensemble sont restées muettes face aux atrocités commises par l’état d’apartheid israélien. Un état qui se soucie peu des vies humaines puisque, lui, ses officiels, certains militants et journalistes mal informés ont toujours recours à une interprétation typiquement mécanique du droit international et ce, dans le but de justifier la fermeture de passage. Et si Israël déclarait Gaza comme « entité hostile » ?

Ceci étant, la fermeture de l’unique point de sortie des Palestiniens de Gaza vers le monde extérieur est à définir comme crime contre l’humanité, vu le blocus israélien et les bombardements continus sur la Bande. Ainsi, l’Egypte est confrontée à une obligation politique et morale pour ouvrir le passage frontalier de Rafah de façon permanente, et 24h/24. L’Egypte ne peut continuer à soutenir les interprétations opportunistes du droit international visant à justifier l’interdiction et les restrictions continues des médicaments, de lait, de nourriture et des autres objets de première nécessité dont la population de Gaza a le plus besoin.

Le caractère sacré des vies humaines doit avoir la priorité sur les frontières et les traités, de même que les militants pour la solidarité qui doivent jouer un rôle moteur pour faire aboutir ce point aux gouvernements d’Egypte et des autres pays.
En vertu des Conventions de Genève, les Palestiniens, à l’instar des autres peuples, ont droit à la liberté de mouvement et à la protection et prévention de la punition collective, comme la fermeture arbitraire du passage.

A la lumière de tout ce qui a été mentionné, aucune interprétation erronée du droit international ne peut passer outre le droit des Palestiniens à circuler librement à l’intérieur et à l’extérieur d’Egypte, juste parce qu’ils sont engagés, en même temps, dans une lutte contre l’occupation israélienne, contre la colonisation et contre l’apartheid.

* Dr. Haidar Eid est un professeur associé aux Etudes Culturelles à l’université gazaouie d’Al-Aqsa et au conseil d’administration de la Campagne Palestinienne pour le Boycott Académique et Culturel d’Israël.

Du même auteur :

- Déclarer l’indépendance d’un bantoustan
- L’initiative de « dialogue » de Mots Sans Frontières cannibalise l’appel au boycott palestinien,
- Gaza : le siège interminable
- Le silence complice se poursuit
- Une critique palestinienne de la Conférence de Durban
- Les pièges de la conscience nationale palestinienne
- Gaza 2009 : Culture de résistance versus défaite
- Sharpeville 1960, Gaza 2009

15 septembre 2011 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
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Traduction : Niha