Fermer la page
www.info-palestine.net
Obama : le « premier Président juif » d’Amérique ?
samedi 24 septembre 2011 - Marwan Bishara
Al Jazeera
JPEG - 133.2 ko
Barack Obama est devenu plus pro-israélien que George W Bush,
soutient l’analyste M. Bishara.
(Gallo/Getty)




Obama est « le premier Président juif ». Tel est le titre de l’édito du New York Magazine, écrit par John Heilemann et citant un important collecteur de fonds d’Obama.

En écoutant Obama aux Nations-Unies mercredi, beaucoup ont hoché la tête, et pas moins en Palestine et dans le monde arabe.

Le Président US a embrassé la position israélienne de rejet de la reconnaissance internationale d’un État palestinien indépendant.

Mais ce n’est pas une position juive. C’est une position sioniste radicale. Beaucoup de juifs, dont des juifs des États-Unis et d’Israël, n’adoptent pas de telles positions extrémistes.

Mais qu’Obama ait surpassé son prédécesseur, George W. Bush, qui fut le plus radical partisan d’Israël de tous les Présidents US, cela a laissé tout le monde pantois en Israël. En écoutant le Président US sioniste, on croyait entendre les pères fondateurs d’Israël eux-mêmes.

Jamais, on n’avait entendu un Président US lire directement les papiers du gouvernement israélien.

Une propagande passant pour de l’histoire

On aurait pu penser qu’après six décennies de dépossessions, quatre décennies d’occupation et deux décennies de processus de paix, le Président Obama reconnaisse quelque désaccord politique et morale qu’il fallait régler.

Qu’il rappelle, et non qu’il sape ses propres paroles prononcées au Caire il y a un an et demi, sur la nécessité pour Israël de cesser ses colonies illégales en Palestine.

Qu’il rappelle, et non qu’il sape sa propre vision - lire sa promesse - depuis la même scène, en septembre dernier, d’un État palestinien d’ici un an, c’est-à-dire cette semaine.

Qu’il rappelle, et non qu’il sape sa propre rhétorique à propos de la liberté dans la région arabe.

Ou qu’il rappelle, et non qu’il sape sa proclamation de l’importance d’une paix basée sur un retrait, pas davantage de la même logique de guerre.

Hélas, le Président a anéanti son slogan entier, « Le changement, nous pouvons y croire ».

Son intervention s’est inspirée de la pire propagande officielle d’Israël. De fait, une grande partie est le copier-coller de la stratégie d’Israël.

Il a parlé de « faits » historiques qui ont longtemps été réfutés par des historiens israéliens, et de vérités qui ne sont rien de plus qu’une interprétation unilatérale d’une situation politique.

Obama a prétendu que les Arabes avaient lancé des guerres contre Israël. Alors qu’en réalité, c’est Israël qui est l’agresseur, lançant ou instiguant des guerres, en 1956, 1967, 1982, 2006 et 2008. Seule, la guerre de 1973 a été déclenchée par des Arabes, mais seulement aux fins de récupérer des territoires occupés et après que les USA et Israël aient rejeté les ouvertures de paix d’Anwar el-Sadat.

Il a insisté sur le travail des Israéliens pour forger un État prospère dans leur « patrie historique ». Mais le monde dans sa grande majorité, et certainement le monde arabe, a considéré la création d’Israël comme un projet colonial sous des prétextes théologiques.

La Serbie croit aussi que le Kosovo est le lieu de naissance de sa nation ; doit-elle être autorisée à forger un État prospère de sa propre initiative, un État exclusivement serbe, sur ce territoire ?

Tous les peuples occupés doivent-ils chercher à s’arranger avec leurs occupants en dehors de l’intervention de la communauté internationale ? Est-ce ainsi que les nations d’Afrique et du Moyen-Orient ont obtenu leur indépendance des puissances coloniales européennes ?

Tout un peuple doit-il vivre sous occupation jusqu’à ce que son occupant soit satisfait des conditions de sa reddition ?

C’est de la politique, stupide

Tout commentateur en fonction vous rappellera qu’il ne faut pas vous attendre à beaucoup d’actes concernant Israël d’un Président US pendant une année électorale.

Comme Heilemann l’illustre dans son article, la carrière d’Obama s’est construite sur ses relations avec les généreux donateurs juifs de Chicago.

Effectivement, le type le plus fortuné du Parti démocrate de ces dernières décennies est devenu le chef de Cabinet d’Obama, Rahm Emmanuel. Aujourd’hui, il est le maire de Chicago.

Mais ce n’est pas juste qu’une question d’argent. Cela touche aussi au soutien déterminant du Congrès sur les questions nationales pressantes qui peuvent faire le succès ou l’échec de la présidence Obama. Et le lobby israélien, l’AIPAC, peut faire un enfer de la vie du Président tout au long de l’année qui vient.

Maintenant, je comprends tout cela. Mais ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi c’est accepté comme un fait accompli ! Cela tient de la politique ! A prendre ou à laisser !

Si c’est le cas, au moins appelons un chat un chat ; et l’administration(s) US pour ce qu’elle semble tant paraître : ni juive ni sioniste, plutôt hypocrite.

Elle parle de justice mais poursuit une politique inique ; elle parle de répressions mais promeut ses propres intérêts à tout prix. Elle prêche la liberté mais soutient l’occupation ; elle parle de droits humains mais elle insiste pour confier le poulailler au loup, et seulement au loup.

Tous des dindons de la farce

Pourquoi les Palestiniens ont-ils été tenus d’être les victimes de la politique US tout en étant les otages de la politique israélienne au cours des six dernières décennies ? Pourquoi la plupart des Israéliens doivent-ils continuer à vivre dans un État garnison incapable de normaliser ses relations avec ses voisins ?

Pourquoi les Américains doivent-ils voir leurs politiciens pris en otage par une puissance étrangère et ses partisans influents ?

Le lobby juif pro-israélien, J Street, a commenté la soumission alarmante à Israël non seulement de Démocrates mais aussi de Républicains, disant : « Il n’y a aucune limite, semble-t-il, dans la façon dont les politiciens américains sont tombé ces jours-ci dans la soumission à Israël pour obtenir des gains politiques ».

Même s’il y a eu une logique stratégique dans le soutien US à Israël dans le passé, l’obséquiosité actuelle de Washington n’a guère de sens.

Washington a longtemps usé de son influence sur Israël pour qu’il soit un levier stratégique de domination sur les dirigeants arabes. Seul Washington peut empêcher Israël de partir en guerre et obtenir des concessions en matière de diplomatie, estimaient autrefois les dirigeants arabes.

Mais les dictateurs qui ont exploité la Palestine pour capitaliser un soutien national, ou qui l’ont troquée contre des faveurs occidentales, appartiennent au passé.

Les Arabes d’aujourd’hui sont amers et furieux de la complicité américano-israélienne en Palestine et ils ne seront pas aussi facilement bridés ou achetés que leurs dictateurs déchus.



Marwan Bishara est un éminent analyste d’Al Jazeera. Il a été précédemment professeur de Relations internationales à l’université américaine de Paris. Il a beaucoup écrit sur la politique mondiale, et il fait largement autorité sur les questions moyen-orientales et internationales.

Du même auteur :

- Une victoire pour Erdogan, mais nuancée
- Oussama : la fin d’un alibi
- La plus ancienne dictature du Moyen-Orient
- Tunisie : l’hypocrisie des pouvoirs occidentaux
- Quelle prochaine étape pour le processus de paix ?
- Israël est-il un handicap pour les USA ?
- Israël défend l’indéfendable

22 septembre 2011 - Al Jazeera - traduction : JPP