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Le Printemps Arabe remet à jour les priorités au Moyen-Orient
samedi 20 août 2011 - Ramzy Baroud
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19 août 2011 - Après le meurtre de plusieurs policiers égyptiens par l’armée israélienne, les manifestants exigent la fermeture de l’ambassade israélienne au Caire - Photo : AFP

Les Arabes peuvent être en désaccord sur beaucoup de points, mais peu sont en désaccord sur le fait qu’il n’y aura à présent aucun retour en arrière. L’époque des dictateurs, des Mubaraks et des Ben Alis est révolue. Une nouvelle aube nous apparait, avec toute une nouvelle série de défis. Les débats dans la région concernent maintenant la démocratie, la société civile et la citoyenneté. Les seuls intellectuels arabes qui parlent toujours de terrorisme et d’armes nucléaires sont ceux qui sont commissionnés par les groupes de réflexion basés à Washington ou ceux qui sont désespérés d’apparaître sur Fox News.

Pour dire les choses simplement, les priorités du monde arabe ne sont plus les priorités américaines, comme elles ont pu l’avoir été quand Hosni Mubarak était encore président de l’Egypte. Leader d’un groupe de « pays arabes modérés », la responsabilité principale de Mubarak était de présenter la politique étrangère des Etats-Unis comme étant au c ?ur de l’intérêt national égyptien. Dans le même temps, en Syrie, Bashar Al-Assad était pris dans un royaume de contradictions. Désespéré de recevoir de bonnes notes pour son application de la soi-disant guerre contre le terrorisme, il s’est toujours vendu comme gardien de la résistance Arabe.

Quand les Etats-Unis ont envahi l’Afghanistan fin 2001, l’expression « Guerre contre le Terrorisme » s’est transformée en un implant dans la culture arabe. Les Arabes du peuple ont été forcés de prendre position sur des questions qui leur importaient peu, mais qui ont servi d’épine dorsale à la stratégie militaire et politique des Etats-Unis dans la région. L’homme et la femme arabes - les deux se voyant niés leurs droits, leur dignité et même un semblant d’espoir - étaient de simples sujets de sondages d’opinion traitant d’Oussama Ben Laden, d’Al-Quaida et d’autres questions qui avaient difficilement à voir avec leur quotidien fait de souffrance et d’humiliation.

Les dictateurs arabes ont exploité l’obsession de l’Amérique pour sa sécurité. Ali Abdullah Saleh du Yémen a dû choisir entre une main-mise sauvage par les Etats-Unis - pour « défaire Al-Quaida » - ou faire lui-même la guerre sale. Il a opté pour cette dernière, pour bientôt découvrir les avantages concédés par un tel rôle. Quand le peuple yéménite est descendu dans la rue pour exiger la liberté et la démocratie, Saleh a envoyé des soldats restés fidèles et des unités de sa garde républicaine pour tuer les combattants d’Al-Quaida (dont le nombre a soudainement explosé) et assassiner également les manifestants, désarmés, pour la démocratie. Ces actions simples mais efficaces étaient l’équivalent d’un accord tacite avec les Etats-Unis : je combattrai vos mauvais types, tant que on me permettra de liquider les miens.

En Libye, Muammar al-Qaddafi a tout aussi bien exploité les priorités des Etats-Unis. L’accent mis constamment par son régime sur la présence de combattants d’Al-Quaida dans les rangs de l’opposition a été bien relayé dans les médias occidentaux. Qaddafi a été aussi loin que possible dans ses tentatives désespérées d’alarmer l’Occident, suggérant même que sa guerre contre les rebelles n’était en rien différente de la guerre menée par Israël contre les « extrémistes » palestiniens.

La chose étrange est que le langage utilisé par les Etats-Unis et les dictateurs arabes est en grande partie absent du lexique des citoyens arabes opprimés, ordinaires, qui aspirent à bénéficier de leurs droits fondamentaux depuis longtemps refusés.

Les Arabes ne sont pas modelés par les narrations d’Al-Quaida ou des Etats-Unis. Ils sont unis par d’autres facteurs qui échappent souvent aux commentateurs et aux officiels occidentaux. En plus de partager des récits historiques, des religions, une langue et un sentiment d’appartenance collective, ils ont aussi en commun leurs expériences sur l’oppression, l’aliénation, l’injustice et l’inégalité. Le troisième rapport des Nations Unies sur le développement dans le monde arabe, édité en 2005, a exprimé tout cela dans le cadre d’un état arabe aujourd’hui : « l’appareil exécutif ressemble à un trou noir qui convertit son environnement social en un objet dans lequel rien ne bouge et dont rien ne s’échappe. ». Les choses n’ont guère changé dans les états arabes en 2009, lorsque le cinquième volume de la série a statué : « Alors que l’on s’attend à ce que l’état garantisse la sécurité de l’individu, il a été, dans plusieurs pays arabes, une source de menace, invalidant les chartes internationales comme des dispositions constitutionnelles nationales. » .

Un article de Time Magazine datant du mois de mai, était ainsi titré : « Comment le Printemps Arabe a mis sur la touche Ben Laden ». Cet article semblait célébrer la nature collective et laïque des révolutions arabes, en rappelant aux lecteurs : « Il n’y avait aucune banderolle célébrant Oussama Ben Laden sur la Place Tahrir en Egypte ; aucune photo de son adjoint Ayman al-Zawahiri dans les manifestations anti-gouvernementales en Tunisie, en Libye ou même au Yémen. » Cette description, reprise dans des centaines d’articles dans tous les médias occidentaux, est au mieux trompeuse. Le fait est que le modèle d’Al-Quaida n’a jamais capturé l’imagination de la très grande majorité de la société arabe. Les révolutions arabes n’ont pas eu à contester une certaine perception d’Al-Quaida, dans la société parce que ce dernier avait avec peine occupé un minuscule espace dans l’imaginaire arabe collectif. Mais par contre, ces révolutions contestent aujourd’hui réellement la perception américaine officielle des Arabes.

Une enquête sur « les attitudes arabes, en 2011 » a été publiée en juillet dernier par Zogby International. Elle citait des opinions sans surpise dans six nations arabes, comme le fait que la cote de popularité de Barak Obama parmi les Arabes était descendue à un niveau aussi bas que 10 %. Quand Obama a livré son fameux discours à l’’Université du Caire en 2009, beaucoup d’Arabes ont estimé que les priorités arabes et américaines se rejoignaient finalement sur quelques points. Mais le fait que la politique des Etats-Unis n’ait pas changé d’un iota dans une direction favorable, a incité les Arabes à se rendre compte que les politiques des Etats-Unis étaient constantes et résolues. Les Etats-Unis ont continué leurs guerres, ont maintenu leur appui à Israël et maintenu leur vieille alliance avec les leadership arabes les plus corrompus. Les Arabes ont découvert (ou redécouvert) qu’il n’y avait aucun point de concordance entre leurs aspirations et la politique des Etats-Unis, ces deux éléments conduisant réellement à l’affrontement.

Il est normal pour les Etats-Unis de mener ses politiques, dans une région aussi riche en pétrole que le Moyen-Orient, en conformité avec un ensemble d’intérêts et d’objectifs évidents. Mais ce qui s’est en fait produit, c’est le détournement complet des aspirations des peuples arabes et des intérêts nationaux de la plupart des pays Arabes de manière à se caler sur les priorités des Etats-Unis. Avec l’aide des dictateurs arabes, les politiques américaines biaisées, mal orientées, ont provoqué un mal incalculable aux nations concernées. A présent les millions de citoyens du monde arabe, dont les priorités et les attentes ont été tellement escamotées, font la preuve qu’ils ne sont prêts à l’accepter.

Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire vraie de Gaza (Pluto Press, London), peut être acheté sur Amazon.com.

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15 août 2011 - Communiqué par l’auteur - Traduction : al-Mukhtar