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Mahallah : la ville et ses travailleurs qui les premiers se sont affrontés à Moubarak
vendredi 12 août 2011 - Robert Fisk - The Independent
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Avril 2008 - Mahallah avait vu des affrontements très violents entre travailleurs en grève et forces répressives du pouvoir égyptien - Photo : AFP

Un lieu on l’on trouve des usines à l’architecture stalinienne et tournant 24 heures sur 24, des maisons ruinées datant du 19ème siècle et enfouies entre des blocs de béton et un système ferroviaire branlant transportant de vieux équipements dans un triste état.... et un cafard étonnamment gros qui traverse le plancher du bureau alors que la municipalité que les employés s’asseyent.

C’est ainsi qu’est arrivé une créature étrange : votre correspondant trempé de sueur, voulant tout savoir d’une grève dans cette industrie qui a commencé et s’est terminée il y a de cela cinq ans.

Chaque fois que je posais des questions au sujet de la grève, les employés m’ont demandé si j’avais vu Moubarak dans sa cage au tribunal du Caire. Ils pensaient que je parlais des batailles de la place Tahrir de janvier dernier. Ce n’est que lorsque l’une des héroïnes de la Bataille de Mahallah, Widdad Dimirdash, une femme voilée et super-énergique, à la voix forte et d’une immense fierté, est entrée dans la pièce qu’ils m’ont alors compris. Mme Dimirdash a contribué à diriger en 2006 une des premières grandes grèves contre une des propriétés du gouvernement (c’est-à-dire la propriété des Moubarak), la Cotton Company. « Ce n’était pas vraiment politique », dit-elle - mais je ne suis pas sûr de la croire sur ce dernier point. « Mais nous n’avions pas le choix. Nos salaires étaient devenus si faibles et le coût de la nourriture si élevé que nous ne pouvions plus ni manger ni vivre. »

Sur les 30 000 travailleurs du coton dans Mahallah - les femmes et les hommes travaillant dans des usines distinctes - 6000 sont des femmes. Elles ont cessé le travail avec les hommes, occupant leurs usines séparées et refusant d’en sortir jusqu’à ce qu’elles aient gagné une augmentation « massive » de leur salaire - passant de l’équivalent de 60 livres sterling par mois à 100, ce qui les maintient cependant toujours parmi les travailleurs les moins bien payés dans l’industrie en Égypte . Mais le gouvernement Moubarak avait concédé les nouveaux salaires au bout de trois jours.

Il n’avait pas le choix. Mahallah, le centre des exportations commerciales d’Egypte, était trop grand pour une bataille. « La première ville du coton dans le delta », signale un panneau rouillé tandis que je conduis sur des pavés défoncés, entre les tas d’ordures [...]. La ville porte son histoire avec légèreté, mais elle flotte néanmoins autour de ces ruines décrépies. Initialement introduit par les Français en 1817, le coton de Mahallah a prospéré quand la guerre civile américaine a coupé l’Europe de ses importations transatlantiques dans les années 1860. Adieu Deep South. Bienvenue Delta du Nil.

Le 6 avril 2008, cependant, les gens de Mahallah ont ajouté une nouvelle note au bas de leur histoire. Cette fois, ils ont défilé dans les rues, négociant avec un ministre du gouvernement de Moubarak pour de meilleures conditions de travail et de meilleurs salaires et résistant à la violence de la police. Mme Dimirdash a été l’une des deux femmes faisant partie de l’équipe de négociation forte de sept travailleurs. « Les gens avaient installé des campements sur le boulevard principal, la ’Rue du Président’ », me rappelle la journaliste locale Adel Dora. « Les Baltagi [voyous pro-gouvernementaux armés] nous ont violemment attaqués et la police a utilisé des gaz lacrymogènes, mais nous avons vu le peuple venir nous soutenir à travers tout le pays. » Seules deux chaînes arabes de télévision par satellite avaient couvert la bataille de Mahallah. La presse égyptienne, explique Dora, « a tout simplement menti à propos de nous - ils ont diffusé tout ce que le gouvernement Moubarak a voulu ». Les hommes et les femmes de la ville ont tenu bon pendant une semaine.

En 2009, ils ont essayé à nouveau, mais cette fois - et ici Dora baissa la tête - les gens étaient effrayés. « Ils avaient peur de la police, d’être tués, de plus de violence, de ce que le gouvernement pourrait faire contre eux. » Dora a raconté son histoire en montrant une grande colère, mais, curieusement, avec peu de perception du précédent que sa ville avait su imposer. Le Mahallah pauvre de 2006 et de 2009 représentait une miniature, mais tellement prématurée, de la révolution qui allait submerger le gouvernement égyptien ce mois de février et envoyer Hosni Moubarak en prison dans sa cage et sur son lit-civière au Caire. L’unité des hommes et des femmes du peuple, l’utilisation de Facebook, les campements au centre-ville, les Baltagi et les envois de gaz lacrymogène par les flics : les hommes et les femmes de Mahallah ont connu tout cela - même si nous ne le comprenions pas à ce moment-là. Oui, ils ont su renverser un dictateur.

Le journaliste français Alain Gresh a été parmi les premiers à en saisir la pleine signification : que ces travailleurs ont été « les acteurs oubliés » de la révolution égyptienne. Il avait bien noté comment un journaliste égyptien du monde de l’industrie avait répondu à ses questions au Caire en demandant : « Pourquoi, jusqu’à présent, les révoltes en Libye, au Yémen et à Bahreïn ont-elles échoué ? » Il aurait pu ajouter la Syrie à la liste. Mais c’esten Tunisie, là où les syndicats étaient forts, que les syndicats des travailleurs tunisiens ont finalement balayé la dictature de Ben Ali. Dans les derniers jours [de la dictature de Ben Ali], l’appel à une grève générale a été dévastateur.

Les hommes et les femmes de Mahallah n’ont pas été les seuls travailleurs de l’industrie à écraser le pouvoir de Moubarak. Les travailleurs des cimenteries de Suez - qui avaient mis en scène leur propre « révolution » miniature en 2009 pour protester contre les ventes de ciment à Israël - ont lancé une autre grève politique en février de cette année.

Comme pour les travailleurs en Syrie, en Libye, au Yémen, ils avaient depuis longtemps été encadrés, Baathisés, Green Bookés ou tribalisés, le socialisme devenant une déplorable source d’inspiration pour la plupart des dictateurs, en dépit de leurs expressions d’amitié pour l’ancienne Union soviétique. Alors faut-il un syndicat fort ou un puissant mouvement des travailleurs pour que les révolutions au Moyen-Orient soient un succès ? Mahallah est une ville grise - mais sa place dans l’histoire a gagné en importance cette année.

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6 août 2011 - The Independent - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.independent.co.uk/opinio...
Traduction : al-Mukhtar