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Le dernier masque de démocratie tombe
samedi 6 août 2011 - Omar Barghouti - Al Jazeera
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Des étudiants participent à un rassemblement du boycott à l’université de Bir Zeit au nord de Ramallah [EPA]

« Tu devrais certainement retarder le lancement de ton livre à Jérusalem », avertissait un ami proche qui pensait à l’événement prévu pour le lancement de mon récent livre sur le mouvement, à direction palestinienne, de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) contre Israël. Il prévenait que ce serait peut-être trop risqué, vue la récente loi israélienne qui interdit le soutien au mouvement en pleine croissance de boycott. Mais jeudi dernier, dans la librairie-café bondée de Jérusalem Est, l’atmosphère engagée - et chargée des parfums du café italien - était quasiment jubilatoire, comme si elle déclarait un défi collectif à la dernière mesure draconienne d’Israël.

Beaucoup de controverses se sont élevées depuis que le parlement israélien a passé une loi qui criminalise effectivement le soutien à tout boycott contre Israël ou ses institutions, avec la menace de lourdes punitions, et, pire, sans nécessité de prouver la « culpabilité ». Des dizaines d’associations de la société civile italienne israélienne et de grands experts juridiques, dont beaucoup d’opposants au boycott, se sont résolument opposés à cette loi exceptionnellement autoritaire, avec des arguments divers, allant des plus fondés au plus carrément pragmatiques.

La perspective palestinienne

La perspective palestinienne est ce qui a manqué dans la plupart des débats, c’est certainement très significatif étant donné que cette loi a été entièrement motivée par la croissance spectaculaire, ces dernières années, du mouvement mondial de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) lancée en 2005 et menée par la plus vaste coalition de partis, de syndicats et d’ONG de la société civile palestinienne : le Comité national de boycott (BNC).

Tout en exprimant son inquiétude devant cette dernière tentative répressive d’Israël pour écraser la résistance pacifique palestinienne et son soutien par les Israéliens les plus conscients, un communiqué du BNC a exprimé sa confiance que cette loi va soutenir encore plus vite l’expansion du BDS dans les cercles libéraux du monde entier. Hind Awwad, coordinatrice du BNC, a réagi ainsi : « Cette nouvelle législation, qui viole le droit international, témoigne du succès de la croissance rapide du mouvement BDS mondial et de la compréhension, parmi les élites politiques en Israël, que l’État devient un paria du monde de la même manière que l’a été l’Afrique du Sud dans le passé ».

Eilat Maoz, coordinatrice de la Coalition des femmes pour la paix, une importante alliance féministe israélienne qui soutient le BDS, a été citée dans Maariv (en hébreu) disant : « Un gouvernement illégitime passe une loi illégitime pour protéger une occupation illégitime, tout en se plaignant de délégitimation. Nous allons continuer à boycotter, à protester, à manifester et à résister à l’occupation - et nous appelons tout le monde à en faire autant ».

La direction palestinienne du BDS s’est tenue du côté de ses partenaires israéliens en disant : « Nous sommes solidaires de tous les citoyens et organisations israéliennes motivées qui sont les premières cibles de cette loi, et qui peuvent être pénalisés voire emprisonnés pour avoir exercé leur droit fondamental à s’exprimer et agir de façon non-violente pour amener leur Etat à se conformer au droit international ».

Condamnation internationale

Amnesty International a condamné la nouvelle loi israélienne, déclarant qu’elle « va avoir pour effet de réduire la liberté d’expression ». Des membres du Parlement européen ont exprimé des inquiétudes similaires, tandis que l’UE elle-même, habituellement soumise aux intérêts américano-israéliens, a exprimé son alarme sur les effets de la loi sur les droits élémentaires. Jusqu’à un éditorial du New York Times qui l’a fermement critiqué comme non-démocratique. Tout ceci va encore aggraver le standing déjà bien bas d’Israël dans l’opinion publique internationale.

C’est comme si Israël avait poussé l’accélérateur pour creuser plus vite la tombe de sa propre politique d’occupation et d’apartheid.

En passant cette loi exceptionnellement draconienne, qui réprime ouvertement la liberté d’expression, Israël semble prêt à sacrifier un de ses tout derniers masques de démocratie pour écraser, d’une main de fer, le mouvement BDS. Ceci fournit une preuve irréfutable supplémentaire du degré de panique dans l’establishment israélien devant l’énorme expansion du mouvement avec son slogan simple mais incontestable, Liberté, Justice, Egalité. Ceci prouve aussi à nouveau la futilité de toutes les armes répugnantes de l’arsenal massif d’intimidation, de calomnies, de menaces et de brutalité d’Israël dans le combat contre le BDS, lequel, mouvement non-violent et moralement cohérent, a entraîné Israël sur un « champ de bataille » ou même ses effrayantes armes nucléaires semblent impuissantes.

Justification israélienne

La tentative de l’establishment israélien de justifier sa nouvelle loi répressive sous le thème de contrer un mouvement déterminé à le« délégitimer » et à mettre en question son existence même n’est pas parvenue à convaincre une part significative de l’opinion publique mondiale. La plupart des observateurs ne peuvent s’empêcher de demander : pourquoi le boycott antiapartheid en Afrique du sud n’était-il pas considéré comme une menace à l’existence de l’État ? Aussi, est-ce que la fin de la ségrégation dans les états du Sud des USA a délégitimé les Blancs ou mis fin à leur existence ? En réalité les seules choses que la justice et l’égalité délégitime sont l’injustice et l’inégalité.

De la même façon, le BDS vise à « délégitimer » l’occupation israélienne et ses politiques et structures coloniales. Et il semble que nombreux sont ceux, dans la société civile internationale, qui vont graduellement vers le soutien au mouvement et qui rapprochent Israël de son « moment sud-africain ».

Et à ceux qui peuvent dire que cette loi va corrompre la démocratie israélienne, on peut seulement demander si un État qui a des dizaines de lois discriminant contre ses citoyens « non juifs » sur la seule base de leur identité ethnique ou religieuse peut être qualifiée de démocratie. Un État impliqué dans une occupation, dans des déplacements de population forcés, dans un siège et dans un déni des droits élémentaires des réfugiés peut-il être considéré comme une démocratie ? Le grand historien israélien Ilan Pappe qualifie Israël de « démocratie Herrenvolk », une démocratie pour les seuls maîtres.

Finalement, l’affirmation par Israël que le BDS est dirigé contre les juifs est réfutée au mieux par Avraham Burg, ancien président de l’Agence Juive et président pendant de nombreuses années de la Knesset israélienne, dont la dernière législation ne fait que souligner son rôle pivot de toujours dans le maintien de l’oppression coloniale israélienne.

Burg dit : « Israël balaye toutes les critiques, tant justifiées qu’injustifiées, sous le même tapis d’antisémitisme. En vérité c’est nous qui mélangeons en permanence les critiques justes d’Israël avec l’antisémitisme. La raison est d’éviter à tout prix d’avoir à nous confronter à la situation est à prendre les décisions existentielles : l’occupation, les injustices, la discrimination, la persécution de la minorité non juive en notre sein. ... Il n’y a pas d’autre pays du monde occidental dont la communauté internationale ait voulu tolérer les actes de violence d’État pendant cinq décennies, autre qu’Israël. ... Et il ne reste pas d’autre colonialiste dans le monde, sinon « la seule démocratie du Moyen-Orient ». Le monde tolère encore tout ça, mais plus pour bien longtemps - ça finira bientôt ».

Si les militants palestiniens ont appris quelque chose de la lutte d’Afrique du Sud, c’est que le moment le plus sombre est celui qui précède l’aube. Ironiquement, cette nouvelle loi israélienne est peut-être le signe avant-coureur de ce plus sombre moment, sans masque ni faux-semblant, et puis nous verrons la lumière de liberté et de la justice.

* Omar Barghouti est un militant des droits humains, membre fondateur du mouvement de boycott mondial contre Israël à direction palestinienne, et auteur de « Boycott, désinvestissement, sanctions. (BDS) contre l’apartheid et l’occupation de la Palestine (eds. La Fabrique).

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3 août 2011 - Al JAzeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.aljazeera.net/indept...
Traduction : JPB - CCIPPP