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« Le blocus de Gaza est un crime dirigé contre les civils »
samedi 25 juin 2011 - Raji Sourani - Le Monde
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Raji Sourani

Pierre : Quelle est la réalité du blocus israélien à Gaza ?

Raji Sourani : En réalité, il n’y a pas eu de changement fondamental sur le fond depuis que le gouvernement israélien a déclaré un plan pour alléger le blocus sur la bande de Gaza. Peut-être avons-nous plus de mayonnaise ou de ketchup, mais il n’y a pas eu de changement sur le fond. La réalité de Gaza, c’est que c’est une ferme d’animaux avec un taux de chômage de près de 60 % et 90 % de la population sous le seuil de pauvreté. Et la communauté internationale leur jette un peu de nourriture et un peu de médicaments.

Chatnoir : Quels sont les produits soumis au blocus israélien ? Une liste d’articles tels que confiture, chocolat ou papier A4 circule sur le Net mais sans réelle confirmation.

Ce blocus est une atteinte à la dignité humaine, c’est une humiliation, il est inhumain et illégal, c’est un crime de guerre, une punition collective de première classe. Le Comité international de la Croix-Rouge a dit que l’allègement ou la levée partielle du blocus ne veut rien dire. Ce blocus doit être levé intégralement.

Il n’y a actuellement pas de menace à Gaza d’une vraie famine, mais ce qu’il y a à Gaza, ce blocus, a détruit la vie, a détruit l’industrie, l’agriculture, le développement, l’éducation, la santé. Il y a une catastrophe humanitaire. Tout cela est fait par l’occupation israélienne contre les civils palestiniens. Il ne s’agit pas de savoir quels produits sont autorisés ou non.

Le blocus est en soi un crime. Il y a 180 médicaments interdits, il n’y a pas de liberté de circulation, ni pour les individus ni pour les produits. Gaza a été détruite il y a deux ans, et malgré cela, il n’y a même pas un sac de ciment qui entre légalement. De façon globale, c’est un crime, un blocus dirigé principalement contre les civils. Ensuite, il y a les détails qui concernent principalement des produits très basiques pour la survie.

Elo : Le Hamas et les groupes armés de Gaza n’ont jamais cessé les actions violentes contre Israël, que ce soit avant ou après le retrait des colonies en 2005. Le blocus ne paraît-il pas justifié pour cette raison ?

Le Hamas est un groupe armé, résistant à l’occupation. Nous, en tant que défenseurs des droits de l’homme, nous ne sommes pas là pour défendre le Hamas ou le Fatah, nous sommes là pour défendre les civils. Et le blocus vise les civils et constitue un crime, un crime de guerre contre les civils.

Ce n’est pas moi qui l’ai dit, c’est Human Rights Watch ou Amnesty International par exemple. Et les organisations israéliennes comme B’Tselem.

Il n’y a pas une seule organisation israélienne pour les droits de l’homme qui n’a pas décrit le blocus comme un crime de guerre. Et avant toutes ces organisations-là, la Croix-Rouge l’a dit également, sur la base de la 4e convention de Genève. Elle a dit que le blocus est un crime de guerre contre les civils. Si les Israéliens veulent assassiner le Hamas, nous n’avons pas de problème, là nous parlons de 1,8 millions de civils.

Roger : Pensez-vous que la flotille pour Gaza est une bonne idée ?

Ceux qui sont venus avec la flottille de la liberté représentent un état avancé de conscience de la communauté internationale civile. Ils sont venus en sacrifiant leurs congés, leur travail et leur argent pour mettre fin à un complot de silence vis-à-vis d’un crime et d’une punition collective contre les civils palestiniens dans la bande de Gaza.

Ils veulent dire tout simplement : nous sommes contre ce crime exercé à travers le blocus. Ils veulent présenter leurs excuses au nom de la communauté internationale et inciter celle-ci à lever le blocus. Ils veulent mettre fin à ce crime et à cette punition collective.

Les Palestiniens sont forts, ils tiendront bon face à ce blocus injuste. Mais ils sont encore plus forts avec la solidarité de la communauté internationale et avec ce geste de conscience.

Romaindu26 : L’Egypte a annoncé la réouverture du terminal de Rafah après la chute de Moubarak. Que peuvent attendre les Palestiniens de la part des Egyptiens ? Enfin la fin réelle du blocus de ce côté-là ou simplement une légère amélioration ?

Gaza est toujours une zone occupée et Israël reste toujours le pays de l’occupation militaire. C’est lui qui a annoncé le blocus et c’est lui qui exerce le blocus. C’est lui qui commet ce crime inhumain. C’est lui qui en est responsable.

Et il fait la guerre contre tous ceux qui tentent de faire autrement. Israël, jusqu’à aujourd’hui, envoie ses missiles pour frapper les tunnels et les points de passage. C’est en Israël qu’a été dit devant la Cour suprême que les produits qui seront permis seront définis par le nombre de calories nécessaires pour chaque citoyen.

Cela est de la responsabilité humaine et légale d’Israël, ce n’est pas ce que nous disons, c’est ce que dit la communauté internationale tout entière.

L’apport de l’Egypte dans cette histoire, c’est que c’est un pays voisin et arabe, signataire de la 4e convention de Genève. Je me souviens des déclarations de Nabil Arabi, le ministre des affaires étrangères de l’Egypte : "Le blocus constitue une humiliation et un crime de guerre."

De la bande de Gaza, il y a environ 200 à 250 Palestiniens par jour qui peuvent se rendre en Egypte, il y a également des Israéliens qui se rendent dans les villes égyptiennes telles que Taba ou Dahab [sur la mer Rouge], 140 000 à 160 000 juifs israéliens qui s’y rendent chaque week-end avec leur carte d’identité.

Je reprendrai une image : les pyramides ont bougé au bout de 7 000 ans en Egypte, mais les frontières, elles, n’ont pas bougé.

Frédéric : Considérez-vous le Hamas comme un mouvement terroriste, un mouvement de résistance ou un mouvement démocrate ?

Le Hamas est une partie du peuple palestinien, et c’est un des mouvements relativement récents à rejoindre la révolution palestinienne. Jusqu’à l’apparition du Hamas, il y avait, parmi les quatorze groupes palestiniens, un seul qui était un groupe religieux.

Le Hamas est le premier mouvement religieux, tous les mouvements précédents étaient laïques, de gauche, marxistes et nationalistes.

Le Hamas fait partie du peuple palestinien, de l’alchimie politique palestinienne, il a participé à des élections démocratiques et a gagné. Par conséquent, oui, le Hamas fait partie de la démocratie palestinienne.

Amil : Le Hamas travaille-t-il à l’amélioration des conditions de vie des Palestiniens de Gaza ? Est-ce une priorité pour lui ?

Je ne vois pas à quel point le Hamas pourrait aider dans ces conditions de blocus, dans ces conditions économiques destructrices, dans l’atmosphère d’un blocus sans précédent et sur un terrain de la bande de Gaza après une guerre pendant laquelle 20 000 habitations ont été détruites, des universités, des hôpitaux, des écoles et des milliers d’hectares de terres agricoles ont été détruits.

Mais le Hamas assure un minimum de sécurité à Gaza, où l’on peut, dans des conditions de chômage et de pauvreté extrêmes, dormir chez soi sans crainte. Les conditions de sécurité sont bonnes dans un climat où le taux de chômage est de 60 % et le taux de pauvreté de 90 %.

Salah : Pensez-vous que le rapprochement du Hamas et du Fatah a des chances d’aboutir à la création d’un seul et unique parti au pouvoir en territoire palestinien ?

Sans parler des détails, la division est un état de suicide d’un point de vue politique. Et peut-être que certains, en dehors des rangs palestiniens, ont un rôle dans cette division et dans la continuité de la division.

J’estime que les deux parties sont arrivées à la conclusion que cette division doit s’arrêter, et ce suicide politique également. Et j’estime également qu’il y a une volonté politique d’arrêter cette division.

Je suis optimiste, je pense que cette action va aboutir et s’approfondir, et cela malgré les tentatives sérieuses pour la détruire.

Zorro : Quel est votre avis au sujet de l’enlèvement et la séquestration d’un jeune soldat israélien Gilad Shalit depuis cinq ans aujourd’hui ?

Gilad Shalit est un soldat qui a été capturé alors qu’il était à l’intérieur de son char, dans la bande de Gaza [en réalité, il se trouvait en territoire israélien].

C’est une chose qui arrive dans les guerres. Mais cela ne constitue pas une autorisation pour le priver de ses droits fondamentaux, son droit à la visite par la Croix-Rouge, son droit à être visité par ses parents, pour que ses parents se sentent rassurés à son sujet. Nous n’avons pas d’information sur les détails de sa détention et sur la façon dont il est traité.

Mais chaque détenu doit avoir ses droits, nous insistons là-dessus, et si ces droits ne sont pas respectés, cela constitue une violation. Chaque détenu est un être humain, son humanité doit être respectée, ses droits doivent être respectés. Les droits et les sentiments de ses parents doivent être respectés également. Indépendamment de ce qu’il aurait fait.

Nous avons dit tout cela à Gaza, et nous, en tant qu’organisation et militants des droits de l’homme, nous l’avons communiqué au Hamas. Notre position sur ce sujet est connue de tous.

Mais ce que je voudrais affirmer, encore une fois, c’est qu’il y a 9 000 prisonniers palestiniens sans nom, sans photo, qui sont torturés et qui sont détenus administrativement. Ils subissent un traitement dégradant et humiliant. Ils sont torturés systématiquement.

Ils ne sont pas autorisés à recevoir des visites de leurs parents pendant des années. Pour certains, cela dure depuis douze ans. En termes de souffrance humaine, il n’y a pas de souffrances sacrées et d’autres non sacrées.

J’espère que tous ceux qui parlent des droits et de l’humanité de Shalit parlent également des droits des 9 000 prisonniers palestiniens.

Romaindu26 : Une reconnaissance de l’Etat palestinien à l’ONU en septembre permettrait-elle de changer la situation humanitaire en Palestine ?

Nous sommes en l’an 63 de la Nakba [la "Catastrophe", manière dont les Palestiniens désignent leur défaite lors de la première guerre israélo-arabe en 1948] et en l’an 44 [la guerre de 1967] de l’occupation, et nous sommes dans l’année la pire et la plus noire de l’histoire du peuple palestinien.

Nous ne parlons plus de droit à l’autodétermination ni d’indépendance, c’est un luxe intellectuel. Nous parlons de droit à la vie, de droit à l’éducation, de droit aux médicaments, de droit à la santé, de droit à la libre circulation.

Le plafond de nos aspirations est descendu énormément. Nous avons revu nos ambitions à la baisse. Au lieu de parler de fin de l’occupation, nous parlons de droits de base.

C’est une honte pour Israël et pour la communauté internationale.

Salah : Que pensent les habitants de la bande de Gaza de Mahmoud Abbas ? Pensent-ils encore qu’une solution diplomatique est envisageable ?

Je ne représente pas les habitants de Gaza. Mahmoud Abbas a été élu, il est le président.

Meno : Certains évoquent la solution d’un seul Etat regroupant les deux peuples, avec des droits égalitaires... Cette proposition est-elle envisageable ?

Les intellectuels Edward Saïd et Noam Chomsky ont parlé de la solution d’un seul Etat, et ce que beaucoup ne savent pas, c’est que la convention de l’OLP de 1964 parlait d’un Etat palestinien démocratique, laïque. Olof Palme, ancien premier ministre suédois, a demandé à Yasser Arafat de parler de deux Etats et de reconnaître Israël. Olof Palme a été assassiné, et Yasser Arafat a reconnu les deux Etats.

Si nous parlons aujourd’hui de la solution d’un seul Etat, Israël nous dira : vous visez à détruire l’Etat d’Israël. Mon avis personnel, c’est que Nétanyahou et la droite en Israël construisent de facto un seul Etat, à travers leur politique : la judaïsation de Jérusalem et la construction du mur, l’extension verticale et horizontale des colonies.

Et pendant des années, ils ont créé sur la "West Bank" [la Cisjordanie], de facto, un système d’apartheid. Israël a annexé de fait la "West Bank" en l’appelant Judée-Samarie. Les Palestiniens font partie de cette terre, ils ne vont pas disparaître. Et c’est ce que ni Nétanyahou ni la droite ne comprennent.

Nous sommes à un moment où nous sommes le plus loin possible de la paix. Nous souffrons et nous souffrons en vivant dans la pire situation depuis la Nakba. Cette réalité misérable peut pousser soit à la soumission, au laisser-aller, soit à la mobilisation.

Chat modéré par Gilles Paris et Caroline Monnot

24 juin 2011 - Le Monde - Vous pouvez consulter cet article à :
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