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Leçons syriennes de démocratie
jeudi 23 juin 2011 - Abdel Bari Atwan
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Rassemblement à Amman, aux cris de "Dieu, Syrie, Liberté" de Syriens vivant en Jordanie - Photo : Reuters

Nous espérons que dans les prochains mois, nous aurons un événement encore plus heureux : le président libanais félicitant son homologue syrien de la formation d’un nouveau gouvernement en Syrie. Un nouveau gouvernement syrien issu de l’avènement d’une véritable démocratie à la suite d’élections libres et équitables dans un contexte politique multipartite.

Est-ce que je prends mes rêves pour des réalités... ? Oui je l’admets, ce souhait est dicté par une grande amertume. Ce qui se produit sur la terre syrienne - soldats tirant sur les manifestants depuis des tanks, des avions et des hélicoptères, ou forces de sécurité tirant pour tuer - ne donne pas à penser qu’un changement démocratique soit proche, voire possible.

Les seules nouvelles qui filtrent de Syrie ces jours-ci font état de morts et de blessés dont le nombre augmente chaque vendredi, de mouvements de tanks qui prennent le contrôle d’une ville ou d’une autre, de charniers que l’on découvre ici ou là, de réfugiés en nombre estimatif fuyant la mort et la destruction et arrivant sans rien en Turquie.

Le docteur Farouk Abu Shami, président de la commission de la loi sur le statut des partis politiques dans le pays, admet lors d’une interview avec le journal « Revolution » qu’il n’y a pas de culture politique ni de participation des citoyens à la vie politique. La mission du comité est de « promouvoir les partis, de devenir un puissant levier capable de mobiliser les efforts et les éléments de la société afin de relever les défis intérieurs et extérieurs, et de rédiger un nouveau projet de loi portant création des partis politiques et contribuant à la consolidation du processus national de réforme politique tout en renforçant l’édifice de la démocratie et du pluralisme politique. »

J’ai lu les déclarations du docteur Abu Shami plus d’une fois, mais tout ce que j’y trouve, c’est une tentative de gagner du temps en donnant l’impression qu’il y a un mouvement vers une réforme démocratique.

Le docteur Abu Shami a raison de dire qu’il n’y a pas de culture politique ou d’infrastructures pour une démocratie pluraliste en Syrie. Comment peut-il y en avoir une alors que la population a vécu sous le régime d’un parti unique pendant plus de 40 ans ; alors que toute activité politique a été interdite sous peine d’arrestation et d’inculpation de trahison ou de collaboration avec une puissance étrangère dans le but de saper la sécurité de la nation ainsi que sa stabilité ?

Il est étonnant que le docteur Abu Shami prétende que les fonctions les plus importantes du comité, selon son exposé, soient de donner au peuple une culture de démocratie et de pluralisme politique afin d’asseoir sa réputation en la matière pour pouvoir ensuite introduire des réformes et élaborer une législation garantissant le pluralisme politique et les mécanismes nécessaires à des élections démocratiques.

Le problème est de savoir qui leur enseignera cette culture ? Il n’y a pas eu de parti politique actif en Syrie depuis la guerre froide ; ceux qui existaient - par exemple le Front national progressiste -étaient infectés de népotisme, leur leadership avait été hérité des générations précédentes ou, dans certains cas, le leadership passait du mari à l’épouse.

La démocratie n’est pas un sujet académique qui peut être enseigné à l’université ou dans une école. C’est un désir véritable émanant du peuple ; c’est le pain, l’eau et l’air de la vie civile. Aucune des nations qui ont rejeté le joug de la dictature et de l’oppression l’ont fait comme suite à des cours que l’État leur aurait organisés.

Nous aspirons à voir la fin du bain de sang en Syrie, mais nous ne pensons par que le changement proviendra de la formation de comités « politiques » - ceux-ci engendrant très probablement de nombreux sous-comités et d’interminables cascades de réunions.

Le président Assad fait montre d’un entêtement sans précédent ; il refuse de faire toute concession pour une véritable démocratie sous la pression des manifestants afin de ne pas témoigner de faiblesse. C’est une énorme erreur qui pourrait avoir des conséquences désastreuses à long terme.

La répression brutale contre des protestations légitimes peut temporairement en atténuer l’ampleur, mais elle n’affaiblira jamais la force de cet élan qui vient de naître, vers la liberté et les réformes.

Le leadership syrien peut se sentir rassuré du fait qu’il n’y a pas d’intervention militaire internationale du type que nous avons vu en Libye ou en Irak. En fait, le peuple syrien est pour la plupart opposé à une telle ingérence et insiste sur le caractère pacifique du soulèvement ; il est prêt à faire des sacrifices pour obtenir sa liberté et ses droits, et en dernière analyse, la stabilité et l’unité nationales.

L’Occident n’ose pas non plus intervenir militairement en Syrie : d’une part, la Russie et la Chine utiliseraient leur droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unies ; en outre, l’échec des interventions en Irak et en Afghanistan a de quoi le décourager ; et enfin, la majorité des Syriens eux-mêmes opposeraient une résistance farouche qui entraînerait des milliers de morts.

Ce que nous craignons et nous avons averti le leadership syrien : il se trompe en pensant si fermement - sur la foi de petites victoires - que les actions de fermeté donneront des solutions permanentes aux troubles. Nous ne voulons pas que la Syrie devienne la Birmanie ou la Corée-du-Nord, mais un État moderne, un projet de la renaissance arabe.

Il est douloureux que le régime syrien, entièrement tributaire de solutions de sécurité, évite les solutions politiques et lance des attaques si violentes contre quiconque ose le critiquer. Récemment, ce fut le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, qui a été violemment attaqué au niveau le plus personnel, alors qu’il y a quelques mois à peine, il était l’ami et l’allié le plus proche de la Syrie.

La Syrie est entraînée par ses dirigeants irresponsables et égoïstes vers l’inconnu. Une guerre civile est vraiment possible étant donné les tensions sectaires dans les rues et les interventions étrangères clandestines de la part de ceux qui ne veulent pas le bien de la Syrie et de la nation arabe dans son ensemble.

Tout ce que nous voulons c’est que le Président syrien Bachar donne au peuple ce dont jouissent ses alliés au Liban - les libertés de la démocratie, les droits humains et la participation à la gestion des affaires du pays par l’intermédiaire d’un parlement et d’institutions élus dans le contexte d’une rivalité juste entre le gouvernement et l’opposition. L’on peut aussi adopter le changement démocratique sur le modèle turc, grâce auquel la Turquie a pu rejoindre les rangs des pays les plus avancés du monde, puisque son économie est la sixième la plus importante d’Europe.

* Abdel Bari Atwan est palestinien et rédacteur en chef du quotidien al-Quds al-Arabi, grand quotidien en langue arabe édité à Londres. Abdel Bari Atwan est considéré comme l’un des analystes les plus pertinents de toute la presse arabe.

Du même auteur :

- L’hypocrisie occidentale face aux soulèvements populaires dans le monde arabe - 1° juin 2011
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15 juin 2011 - Cet article peut être consulté ici :
http://www.bariatwan.com/index.asp?...
Traduction : Anne-Marie Goossens