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Retour à Nuseirat
samedi 4 juin 2011 - Ramzy Baroud
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Enfants de Nuseirat - Photo : John Harvey

« Oui, bien sûr que je m’en souviens, » lui répondis-je. Je m’en souvenais comme d’un autre enfant parmi les petits bagarreurs du camp de réfugiés de Nuseirat. Il se remarquait par une coulée de morve qui semblait ne jamais devoir sécher. Bien que pénible à certains moments, il avait toujours été serviable et agréable. Mais maintenant, contrairement à tant d’autres qui sont sortis par les portes rouillées du camp et de ses ruelles pour me saluer après ma longue absence, Mahmoud ne se voyait nulle part.

« Il est au ciel », dit Abou Nidal. Sa voix, si gaie lors de mon arrivée, est soudain devenue sourde. Les années de souffrance après la perte de son fils s’étaient accumulées en un instant. Il se tut et essuya ses larmes. Une affiche sur le mur montrait le visage d’un bel homme portant la barbe. Il avait été tué lors d’un raid de l’armée israélienne dans la bande de Gaza il y a quelques années. L’affiche disait : « Le grand martyr Mahmoud Faiq Al-Hajj. »

J’ai mis ma main droite sur l’épaule d’Abu Nidal et lui ai dit, comme c’est l’habitude dans ces situations : « Nous sommes tous tes enfants. » Abou Nidal hocha la tête avec reconnaissance, et les voisins ont commencé à énumérer les noms des autres martyrs. Bientôt, nous avons commencé à lire Al-Fatiha [première sourate du Coran, dite de l’ouverture], demandant à Dieu de bénir les âmes de tous ceux qui avaient péri dans la bande de Gaza.

Il y a de nombreuses années que je n’avais pas pris la parole ici, sur la Place Rouge. Nommé ainsi à cause des nombreuses personnes qui y ont été assassinées par les soldats israéliens au cours de la première Intifada de 1987, cet espace alors si large s’est depuis rétréci, comme beaucoup d’autres espaces dans et autour du camp de réfugiés. La population de la bande de Gaza a augmenté de façon significative, comme la pauvreté. Encerclés et assiégés par Israël, 1,6 million de personnes vivant dans 360 kilomètres carrés sont tenus à présent d’exploiter chaque centimètre carré de cet espace minuscule et en perpétuelle réduction. Pourtant, la bande de Gaza ne plie pas.

J’ai entamé mon voyage dans Nuseirat en me rendant chez ma vieille tante. Elle me regarda avec incrédulité et elle a pleuré par intermittence tout au long de ma visite. « Ô Allah, George est de retour », répétait-elle, en parlant de moi avec mon ancien nom. Quand il a été temps de partir, elle a couru après moi dans la rue pour un dernier baiser, une dernière étreinte, et elle a versé encore plus de larmes.

Le cimetière des martyrs est maintenant totalement plein. La place fait cruellement défaut, et certaines personnes ont été obligées d’enterrer leurs proches sur d’autres dépouilles, jusqu’à ce que la pratique a été interdite par le gouvernement.

Mon père a été enterré dans un lieu appelé Zawydeh. En 2008, on m’a dit qu’il avait été enterré dans un petit cimetière, ce qui m’a encouragé à tenter de trouver la tombe par moi-même. Toutefois, le cimetière n’est plus petit et j’ai passé plus d’une heure à essayer de trouver sa tombe. Dans le même temps j’ai constaté que certains de mes amis et parents étaient également décédés. Parmi eux : mon professeur de géographie, mon professeur d’arabe et de religion, le brave homme avec un seul oeil qui vendait le plus étrange mélange d’objets sur une charrette tirée par un âne, et une jeune fille de 13 ans du nom de Fida, ce qui veut dir sacrifice.

J’ai fini par trouver la tombe de mon père. Mon père, Mohamed, un homme merveilleux, affectueux, plein de ressources, colérique, formidable et chaleureux. Il n’avait jamais imaginé être un jour enterré dans la bande de Gaza. Il voulait rentrer chez lui, à Beit Daras, son village il y a longtemps détruit en Palestine. « Je te reverrai bientôt, mon fils, » m’avait-il dit il y a plusieurs années, la dernière fois que je le voyais. Je lui ai maintenant écrit une petite lettre et je l’ai enfouie dans la terre de Gaza, sous sa pierre tombale.

« O âme paisible et entièrement comblée, retourne à ton Seigneur » dit un verset du Coran sur la tombe blanche. Aucune opération Plomb durci, aucun massacre ne pourra interrompre le paisible repos de la mort - pas même dans la bande de Gaza.

La tombe de ma mère Zarefah se trouve dans un autre cimetière. Elle parait maintenant beaucoup plus ancienne que dans mes souvenirs, et elle se trouve près de la tombe de mes grands-parents et près de la minuscule tombe de mon frère Anwar, mort à l’âge de deux ans.

Mon ancienne maison qui paraissait relativement grande parmi les autres maisons pauvres de mon quartier, est maintenant presque cachée à la vue. Ses murs blancs ont été salis par des années de mauvais entretien. Abu Abdullah, le nouveau propriétaire, m’a accueilli à l’intérieur. Un homme avec une attitude humble et un visage amical, mais triste... Il m’a accompagné à travers la maison. Bien que très peu de choses aient changé après toutes ces années, le panier de basket-ball que mes frères et moi-même avions fabriqué avec des tuyaux de caoutchouc et fixé en haut du mur a disparu. Je pouvais presque entendre ma mère crier après ses cinq garçons qui couraient comme des sauvages dans ce petit espace. « Puisse Allah m’aider à supporter tout cela », suppliait-elle, tandis qu’elle tentait désespérément de remettre en place tout ce que nous avions impitoyablement renversé.

Je n’ai pas vérifié si les trous de balles laissés par les invasions des troupes israéliennes étaient toujours là où je les ai vus la dernière fois. Alors que je rêvais de revoir cet endroit depuis de nombreuses années, il est désormais trop lourd à porter. Je l’ai quitté à la hâte, en dépit des sollicitations répétées d’Abou Abdallah pour que je reste plus longtemps.

Mon professeur d’anglais, Mohamed Nofal, est comme je l’avais laissé, drôle et accueillant. Quelques-uns de mes amis ont été tués mais beaucoup d’autres sont restées fermes, construisant, réparant, éduquant et survivant. L’étonnante détermination qui a toujours caractérisée la bande de Gaza est encore plus forte que dans mes souvenirs. Ici, personne ne sollicite de pitié.

« Il y avait un grand bâtiment ici », dis-je avec curiosité à un cousin, à un moment dans mes visites. Il a répondu sans y attacher plus d’importance que cela : « il a été détruit dans la dernière guerre, mais les gens ont pilé les décombres, en ont refait du béton et le bâtiment est maintenant de l’autre côté de la rue. » Dans la bande de Gaza, quelques uns parlent de ce qui a été détruit, mais beaucoup parlent de reconstruction.

Alors que j’attendais un taxi pour me conduire à la ville de Khan Younis, j’ai repéré le stand de falafel d’Akel. Ici nous dépensions la petite monnaie de mon père dans les sandwiches falafel et les barrad parfumés de glace pilée jaune.

J’ai tenu ma tasse en plastique remplie de barrad sur la route vers Khan Younis dans le sud de Gaza, en prenant soin de le savourer à gorgées lentes. Cela avait exactement le même goût de lorsque j’avais six ans. Depuis lors, rien au monde n’a pour moi un meilleur goût.

« Maintenant, la frontière entre l’Egypte sera ouverte pour de bon, vous devriez revenir à Nuseirat pour plus de barrad », m’a dit un ami. « Inch’Allah » - si Dieu le veut - lui ai-je répondu. « Inch’Allah ».

Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire vraie de Gaza (Pluto Press, London), peut être acheté sur Amazon.com.

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2 juin 2011 - Communiqué par l’auteur - Traduction : Claude Zurbach