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« Les Arabes vivent mieux en Israël que partout ailleurs ? » Une contrevérité
vendredi 3 juin 2011 - Yaniv Reich - Hybrid States
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Les communautés bédouines, qui comptent plus de 80 000 citoyens arabes d’Israël, ne reçoivent aucun service public (ni enseignement, ni santé, ni eau, ni assainissement, ni électricité, ni collecte des ordures ménagères)




Je viens juste de regarder l’excellente série d’interviews enregistrées de Max Blumenthal et les commentaires des participants à l’AIPAC 2011. En tant que juif, que dis-je, en tant qu’être humain, il est déchirant de voir des créatures apparemment dotées de sensibilité limiter leur esprit critique d’une façon aussi évidente, dégradante, dans le but de servir un projet colonial du XXIè siècle. « Vous rejetez constamment la paix », affirme l’un. « Nous avons gagné la guerre. Vous êtes battus. C’est "notre terre" », affirme l’autre.

Outre un déni récurrent, éhonté de l’occupation militaire israélienne, l’une des affirmations reprises le plus fréquemment, c’est que les citoyens palestiniens d’Israël vivraient mieux que les Arabes des pays voisins. Les sionistes adorent dire cela (tout en écartant délibérément les inégalités endémiques, la plupart sur une base ethnique, qui balayent de tels arguments). Par exemple, il y a des jeunes hommes, tout excités mais incohérents, qui disent « Je suis un juif israélien et j’ai des amis arabes israéliens, en Israël, et ils sont tout à fait à l’aise... en Israël. Je les ai comme amis sur Facebook. » Attendez là, voudriez-vous dire que les Palestiniens d’Israël sont autorisés à utiliser Facebook ?

Si j’essayais de concevoir des sujets de discussions sionistes (ce que, par bonheur, je ne suis pas !), je ne suivrais certainement pas cette voie-là. On ne peut pas comparer de façon pertinente un groupe de citoyens d’un pays à un autre groupe de la même ethnie vivant dans d’autres pays. On ne peut pas par exemple décider que la ségrégation Jim Crow aux États-Unis a été un système séduisant de discrimination ethnique en comparant ses implications socio-économiques sur les Afro-Américains à la situation des Nigériens ou des Libériens. Si des juifs vivaient dans des ghettos en deux pays différents, que les ghettos de l’un de ces pays étaient plus salubres et avaient un niveau de vie plus élevé que les ghettos de l’autre pays, les conditions dans ce dernier pays ne pourraient justifier les conditions de l’autre. Pour une juste comparaison, il faut comparer avec les autres citoyens du même pays. Les Arabes palestiniens ne doivent pas être comparés aux Arabes des autres pays ; ils doivent être comparés au groupe ethnique dominant du pays, dont les privilèges et les ressources démontrent ce qui peut être fait pour cette population spécifique. Ce n’est pas difficile à saisir.

Mais, pour l’instant, laissons cela et voyons tout de même s’il est vrai que la situation des Arabes palestiniens est meilleure que celles des autres Arabes.

Les citoyens palestiniens d’Israël sont-ils mieux lotis que les Arabes des autres pays ?

D’une certaine façon, oui. Mais à bien des égards, non. Il est vrai, par exemple, qu’il y a plus de garanties d’expressions et de communications médiatiques que dans de nombreux pays arabes très répressifs. Mais les Palestiniens sont extrêmement sous-représentés dans les institutions politiques en Israël en comparaison des autres pays arabes ayant des gouvernements démocratiques et des parlements (les partis arabes détiennent actuellement seulement 14 des 120 sièges (11 %) à la Knesset israélienne, alors qu’ils représentent 20 % de la population). Ils occupent moins d’emplois dans la fonction publique (seulement 6,1 %, et cela malgré des décisions de justices qui exigent que ce taux augmente). Cette discrimination s’étend au secteur privé. Il y a moins de femmes arabes à travailler en Israël, du fait de la discrimination, que de femmes en Arabie Saoudite, ce bastion d’une ségrégation sexiste extrême, et à Oman. Le taux de la population active féminine arabe en Israël est inférieur de moitié à celui existant au Maroc et en Mauritanie.

Les villes arabes en Israël ont des services publics pires que dans bien des villes des pays arabes. Ce n’est qu’en 2010 qu’elles purent accéder, pour la première fois, à un système de bus publics, une évolution que le ministère des Transports israélien a annoncé en grande pompe. Et il faut ajouter qu’aucune des communautés bédouines, qu’on appelle les communautés non reconnues et qui comptent plus de 80 000 citoyens arabes d’Israël, aucune ne reçoit le moindre service public (ni enseignement, ni santé, ni eau, ni assainissement, ni électricité, ni collecte des ordures ménagères). Il nous faudrait examiner avec beaucoup de minutie les groupes les plus défavorisés dans les autres pays arabes pour trouver une misère et une carence du service public d’État à un degré aussi élevé.

Comparaison des Israéliens palestiniens avec les Israéliens juifs

Évidemment, tous ces éléments sont à mettre en rapport avec les privilèges et la richesse extraordinaires d’Israël, qui est un pays de l’OCDE. Comment comparer les situations de la population palestinienne avec celles des juifs ?

Je mets en avant quelques points simplement :

  • les Israéliens palestiniens vivent sur seulement 7 % du territoire avec donc une forte densité de population, en vertu d’une discrimination, de par la loi, faite au sein des autorités territoriales d’Israël ;
  • 55 % des familles qui vivent sous le seuil de pauvreté en Israël sont arabes palestiniennes ;
  • en moyenne, les salaires des Arabes sont de 30 % inférieurs à ceux des juifs, selon la Banque centrale d’Israël ;
  • en moyenne, les crédits alloués par élèves dans les écoles arabes représentent le 1/5 de la moyenne pour les juifs, selon le Comité de suivi de l’enseignement arabe d’Israël ;
  • malgré leur triste situation dans le domaine de la santé, le ministère de la Santé israélien a attribué aux communautés arabes en 2002 moins de 0,6 % de ses 277 millions de shekels, comme budget pour le développement des établissements de santé dans les localités arabes (soit moins de 337 000 ? sur 56 millions d’ ?, pour 20% de la population - ndt) ;
  • sur les 55 000 personnes qui travaillent dans les entreprises de l’État, 1 % sont des Arabes ;
  • de 1952 à 1972, la part du budget gouvernemental total allouée au secteur arabe varie de 0,2 à 1,5 % - elle est montée à 4 % en 2008 ;
  • depuis 1948, il a été construit environ 600 nouvelles municipalités juives, et pas une seule municipalité arabe.

Ces chiffres montrent que les situations comparées des citoyens arabes d’Israël, soit à celles des Arabes des autres pays, soit à celles du groupe approprié, les juifs d’Israël, montrent un dénuement méthodiquement institutionnalisé.

Comme le Département d’État américain l’a écrit dans un récent rapport sur les droits de l’homme en Israël : « Les principaux problèmes des droits de l’homme sont une discrimination institutionnelle, juridique et sociétale à l’encontre des citoyens arabes, (et) des habitants palestiniens de la Cisjordanie et de la bande de Gaza ».

Pas étonnant que les défenseurs d’Israël tentent de détourner l’attention loin de la conduite lamentable de leur propre État.

25 mai 2011 - Hybrid States - traduction : JPP