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Les droits d’Israël
mardi 10 mai 2011 - Joseph Massad - Al Jazeera
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La base d’Israël pour débuter des négociations repose entièrement sur la fausse prémisse qu’il a un « droit » à exister - Photo : Gallo/Getty

Les négociations israélo-palestiniennes, qui entrent dans leur 20e année, avaient été saluées dès le début comme historiques, inaugurant un « processus de paix » qui résoudrait ce qu’on appelle habituellement le « conflit palestino-israélien ». Pour les Palestiniens et la communauté internationale, représentée par les Nations unies et par la myriade de résolutions que son Conseil de sécurité et l’Assemblée générale ont proclamé depuis 1948, ce qui devait être négocié était la colonisation de la terre, l’occupation du territoire et de la population, et les lois qui stipulent une discrimination ethnique et religieuse en Israël, qui, entre autres choses, interdisent aux réfugiés palestiniens de revenir sur leur terre et confisquent leurs propriétés. Dans leur lutte contre ces pratiques israéliennes, les leaders palestiniens, que ce soit en Israël, dans les territoires occupés et dans la diaspora, ont toujours invoqué ces droits basés sur le droit international et les résolutions de l’ONU, qu’Israël a refusé en permanence d’appliquer ou de se conformer depuis 1948. Aussi, pour les Palestiniens, armés par le droit international et de l’ONU, les négociations étaient précisément destinées à mettre fin à la colonisation, à l’occupation et à la discrimination.

De l’autre côté, un des arguments les plus forts et les plus persistants que le mouvement sioniste et Israël aient déployés depuis 1948 en défense de l’établissement d’Israël et de sa politique ultérieure est l’invocation des droits d’Israël, qui ne sont pas basés sur le droit international ou les résolutions de l’ONU. C’est une distinction cruciale entre les revendications palestiniennes et israéliennes à la possession de « droits ». Alors que les Palestiniens invoquent des droits internationalement reconnus, Israël invoque des droits qui ne sont reconnus qu’au niveau national par l’État israélien lui-même. Pour le sionisme, c’était un nouveau mode d’argumentation car, en le déployant, Israël invoque des principes non seulement juridiques mais aussi moraux.

Dans ce domaine, Israël a argumenté au cours des années que les juifs ont un droit à établir un Etat en Palestine, qu’ils ont un droit à établir un État « juif » en Palestine, que cet Etat à un « droit à exister », et qu’il a un « droit à se défendre », qui inclue le droit subsidiaire d’être le seul pays de la région à posséder l’arme nucléaire, qu’il a le « droit » à hériter de toute la terre biblique que le dieu juif lui a promis, et un « droit » à promulguer des lois qui sont discriminatoires racialement et religieusement pour préserver le caractère juif de l’État, articulé par ailleurs dans la formule plus récente d’« un État juif et démocratique ». Israël a aussi insisté pour que ses ennemis, incluant le peuple palestinien, qu’il dépossède, colonise, occupe et discrimine, doivent reconnaître tous ces droits, et en premier lieu son « droit à exister comme État juif », comme condition pour et précurseur de la paix.

Les droits ne sont pas négociables

Israël a commencé à invoquer ce droit avec véhémence dans la première décennie après que l’Organisation de libération de la Palestine ait satisfait sa demande antérieure des années 1970 et 80 que les Palestiniens reconnaissent son « droit à exister ». En droit international, des pays sont reconnus comme existant de facto et de jure, mais il n’y a aucune notion qu’aucun pays ait un « droit à exister », encore moins que d’autres pays devraient reconnaître un tel droit. Néanmoins, la modification par Israël de sa demande, de reconnaissance de son « droit à exister » en reconnaissance de « son droit à exister comme État juif » est exprimée fortement à présent, car elle va au c ?ur du sujet de ce que le projet sioniste a été depuis son origine, et elle traite du désaccord existant entre la compréhension qu’Israël a de ses droits à réaliser ses objectifs sionistes et la compréhension différente que la communauté internationale à d’eux. C’est une question cruciale, car tous ces droits qu’Israël affirme posséder, mais qui ne sont pas reconnus internationalement, se traduisent en droit à coloniser la terre palestinienne, à l’occuper et à discriminer contre le peuple palestinien non-juif.

Israël soutient que ces droits ne sont pas négociables et que ce qu’il négocie concerne une chose entièrement différente, à savoir que ses ennemis doivent accepter sans équivoque les droits qu’il proclame, comme base pour établir la paix dans la région et terminer l’état de guerre. Cependant, les droits qu’Israël affirme pour lui-même sont centraux pour ce que les Palestiniens et la communauté internationale disent être en négociation - c’est-à-dire la colonisation, l’occupation, et la discrimination raciale et religieuse. Mais ces trois pratiques, comme Israël l’a amplement fait comprendre, sont protégées comme des droits autoproclamés et ne sont pas ouvertes à négociation. Effectivement elles sont au centre de la réalisation de ce qu’est fondamentalement Israël. Négocier sur elles signifierait annuler la notion d’« État juif ». Comme c’est le cas, alors qu’est-ce qu’Israël pense sur ce que les négociations entre lui et les Palestiniens ont été depuis leur inauguration par la conférence de paix de Madrid en 1991 ? Permettez-moi de revoir l’histoire de ces revendications pour comprendre le point de vue d’Israël et établir clairement quelles sont les bases des négociations.

Les droits d’Israël, un rappel historique

Le mouvement sioniste a souvent argumenté que l’établissement d’un État juif pour les juifs du monde était une nécessité morale et historique qui doit être protégée et consacrée par la loi, une chose qu’il a poursuivi sans relâche des décennies durant. Cependant ceci ne voulait pas dire que ses textes fondateurs procédèrent de ce principe juridique ou moral. En réalité, dans ses deux écrits fondateurs, l’État des juifs et Le Pays ancien-nouveau, Théodore Herzl, le « père » du sionisme, n’invoque jamais la notion de « droit » des juifs pour argumenter pour un État de et pour les juifs, que ce soit en Palestine ou en Argentine, l’autre localisation qu’il proposa. Herzl parle d’une « solution » à la question juive mais pas d’un « droit ». Et ni le premier congrès sioniste convoqué par Herzl en 1897 ni le programme de Bâle qui en a résulté ne parlent d’un tel « droit ». Ceci s’applique aussi aux trois textes internationaux fondateurs que le sionisme mit tant d’efforts à faire naître. Le premier de ces textes, la déclaration Balfour, publiée le 2 novembre 1917 par le gouvernement britannique, plutôt que d’utiliser le langage du droit, utilise le langage de l’émotion, promettant que le gouvernement britannique « voit favorablement » l’établissement en Palestine d’un « foyer national juif », et que sa déclaration était une « déclaration de sympathie avec les aspirations sionistes juives ».

Ceci fut suivi par le mandat pour la Palestine, publié en 1922 par le Conseil de la Société des nations, qui se basait sur la déclaration Balfour, et qui ne reconnaissait aucun droit juif à un État où même à la Palestine. Ce qu’il reconnaissait, c’était « le lien historique du peuple juif avec la Palestine » comme « base pour reconstituer leur foyer national dans ce pays », réitérant comme la déclaration Balfour auparavant que ceci ne devrait pas porter préjudice aux « droits » des non-juifs. Le troisième texte, et le plus important, la résolution du plan de partage de novembre 1947 déclaré par l’Assemblée générale de l’ONU procédait d’un préambule moral, à savoir, que l’assemblée générale considérait « que la situation actuelle de la Palestine est de nature à nuire au bien général et aux relations amicales entre les nations », d’où le besoin de fournir une « solution » ou « problème de la Palestine ».

Revendications d’Israël

Contrairement à ces documents sionistes et de fondation internationale qui n’employaient pas le langage du droit, qu’ils soient internationalement reconnus ou autoproclamés, le mouvement sioniste a insisté sur son usage dans son propre document fondateur de l’État, la soi-disant « déclaration d’indépendance » d’Israël, formellement intitulée « La déclaration de l’établissement de l’État d’Israël ». La déclaration, signée par 37 leaders juifs dont 35 étaient des colonialistes européens et dont un seul d’entre eux était né en Palestine, nous désinforme que « En 1897, inspiré par la vision de l’Etat juif qu’avait eue Théodore Herzl, le premier congrès sioniste proclama le droit du peuple juif à la renaissance nationale dans son propre pays ». Comme le montrent les données historiques, ni Herzl ni le congrès sioniste ne proclamèrent du tout un tel droit. Pourtant, la « déclaration d’indépendance » poursuit en nous disant que :

« Ce droit fut reconnu par la Déclaration Balfour du 2 novembre 1917 et réaffirmé par le mandat de la Société des nations qui accordait une reconnaissance internationale formelle des liens du peuple juif avec la terre d’Israël, ainsi que de son droit d’y reconstituer son foyer national....Le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale des Nations unies adopta une résolution prévoyant la création d’un Etat juif indépendant dans le pays d’Israël et invita les habitants du pays à prendre les mesures nécessaires pour appliquer ce plan. La reconnaissance par les Nations unies du droit du peuple juif à établir son Etat indépendant ne saurait être révoquée ».

Comme aucun de ces documents n’a affirmé en rien un tel droit, leur imputer ce droit entrait plutôt dans le champ d’un investissement sioniste dans le nouveau langage des relations internationales, dans lequel la notion de droit a été consacrée après la deuxième guerre mondiale, en premier lieu dans la déclaration universelle des droits de l’homme. Ceci coïncidait aussi avec l’apparition dans la même période du discours sur les droits comme mode hégémonique de présentation des revendications. Effectivement, la « déclaration d’indépendance » d’Israël est tellement pleine de ce type d’argumentation qu’elle invoque la notion de droit « naturel » issue des Lumières européennes quand elle affirme dans son préambule que « Ce droit [à un Etat juif] est le droit naturel du peuple juif d’être une nation comme les autres nations et de devenir maître de son destin dans son propre Etat souverain ». Les rédacteurs de la « déclaration » concluent qu’« en vertu des droits naturels et historiques du peuple juif, ainsi que de la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies, proclame la fondation de l’État juif dans le pays Israël, qui portera le nom d’État d’Israël ».

Il est important d’indiquer ici que la logique de ce document est son insistance sur l’invocation que le droit des juifs à établir un État juif en Palestine dispose d’une généalogie juridique et morale claire dont il n’est que la conclusion, et qu’un tel droit a été finalement accordé « irrévocable[ment] » par le plan de partage. Que rien de ceci ne soit vrai n’a pas empêché les rédacteurs qui, en affirmant un droit qu’ils s’arrogeaient pour eux-mêmes, instituaient maintenant un mode d’argumentation qui allait devenir la rhétorique la plus puissante pour établir sur le terrain les réalités israéliennes.

La signification de « État juif »

Le plan de partage des Nations unies était une proposition non contraignante qui ne fut jamais ratifiée ou adoptée par le Conseil de sécurité, et qui n’a par conséquent jamais acquis un statut légal comme l’exigent les règlements de l’ONU (quoique en ce qui concerne les Palestiniens, les Nations Unies n’avaient de toute façon aucun droit à partager ce qu’il ne leur revenait pas de partager, encore moins de le faire sans consultation du peuple palestinien lui-même, lui refusant ainsi le droit à l’autodétermination). Cependant, il est important de considérer ce que le plan entendait par « État juif » et « Etat arabe » en raison du fait que le gouvernement israélien présente ce document comme autorisant son propre établissement et ses politiques ultérieures. Pour qu’Israël puisse s’appuyer sur le plan [de partage] pour son établissement et sa politique, il faudrait établir si le plan proposait que les deux Etats résultant du partage seraient exclusivement juifs et arabes démographiquement, ou que leurs lois devraient donner des droits inégaux et discriminants aux juifs ou aux Arabes contre les non-juifs ou les non-Arabes. Comme on peut s’y attendre, ce ne fut pas le cas.

Alors qu’Israël a procédé à instituer une batterie de lois de discrimination raciale et religieuse contre ses citoyens Palestiniens arabes (près de 30 lois de ce type existent à présent) et s’est lancé dans l’expropriation de la grande majorité des terres du pays possédées par les Palestiniens arabes, le plan de partage ne l’a jamais proposé ni autorisé à le faire. Par contre, le plan déclarait clairement qu’ « il ne sera fait aucune discrimination, quelle qu’elle soit, entre les habitants, du fait des différences de race, de religion, de langue ou de sexe » (Chapitre 2, article 2) et qu’ « aucune expropriation d’un terrain possédé par un Arabe dans l’État juif (par un juif dans l’État arabe) ne sera autorisée, sauf pour cause d’utilité publique. Dans tous les cas d’expropriation, le propriétaire sera entièrement et préalablement indemnisé, au taux fixé par la Cour suprême ». (Chapitre 2, article 8). Quand la « déclaration d’indépendance » israélienne fut publiée le 14 mai 1948, les forces sionistes avaient déjà expulsé près de 400.000 Palestiniens de leurs terres et allait en expulser 350.000 autres dans les mois suivants. De ceci ressort clairement que non seulement la prétention d’Israël d’établir un État juif qui a réalisé une majorité démographique par nettoyage ethnique n’était pas autorisé par le plan de partage, mais que sa prétention à être un État juif ne l’était pas non plus, au sens d’un État qui privilégie les citoyens juifs sur les citoyens non-juifs par des voies légales et institutionnelles.

Le plan de partage proposé sur lequel Israël base son établissement envisageait initialement un État juif avec une majorité arabe, qui fut modifié ensuite légèrement pour inclure 45 % de population arabe et par conséquent il ne l’a jamais envisagé vide d’Arabes ou « Arabrein », comme l’avait souhaité l’État israélien et comme l’envisagent de nombreux Israéliens juifs à présent. En réalité, comme la Palestine était divisée en 16 districts, dont 9 seraient localisés dans l’État juif proposé, les Palestiniens arabes étaient en majorité dans 8 des 9 districts. Nulle part dans le plan de partage l’utilisation du terme « État juif » n’autorise un nettoyage ethnique ou la colonisation par un groupe ethnique des terres confisquées à un autre, particulièrement du fait que le plan envisageait que les Arabes dans l’État juif seraient une « minorité » perpétuellement grande et stipulait par conséquent les droits qui devaient être accordés aux minorités dans chaque État. Mais le fait que les Arabes étaient une grande minorité et qu’il était envisageable qu’ils dépassent la population juive dans l’État juif en quelques années n’est pas considéré par le plan. Par exemple, le plan ne considéra pas les conséquences du fait que si le nationalisme juif définissait l’État juif, alors comment pourrait-il accommoder presque la moitié de sa population ayant une notion très différent du nationalisme et qu’il exclurait a priori de son nationalisme d’État ? Et même si les Palestiniens arabes dans l’État juif n’adhéraient pas au nationalisme palestinien, ils ne pouvaient pas devenir, même s’ils le souhaitaient, des nationalistes juifs car ils sont exclus du nationalisme juif ipso facto. Aussi comment l’État juif pouvait-il ne pas les discriminer ?

Cette situation démographique n’aurait pas été un problème pour l’État arabe, car le plan de partage envisageait que l’État arabe aurait seulement 1,36 % de population juive. Alors que le mouvement sioniste comprenait les contradictions du plan de partage et, se basant sur cette compréhension, entreprit d’expulser la majorité de la population arabe de l’État juif prévu, il fut incapable de rendre cet État ?Arabrein’, ce qui a compliqué les choses pour lui au fil du temps. Aujourd’hui, plus de 22 % de la population israélienne est constituée de Palestiniens arabes qui sont interdits d’inclusion dans le nationalisme juif et qui souffrent d’une discrimination institutionnalisée contre eux en tant que non-juifs. Bien sûr, si l’État avait été ?Arabrein’, il n’y aurait pas eu besoin de lois israéliennes pour discriminer entre juifs et non-juifs, dont : la loi du retour (1950), la loi de la propriété des absents (1950), la loi sur la propriété d’État (1951), la loi de la citoyenneté (1952), la loi sur le statut (1952), la loi sur l’administration des terres d’Israël (1960), la loi sur les constructions (1965) et la loi temporaire de 2002 interdisant le mariage entre Israéliens et Palestiniens des territoires occupés. Ici, les sionistes, y compris le grand historien israélien Benny Morris, ont argumenté que c’est la présence même d’Arabes dans l’État juif qui pousse l’État juif a consacrer son racisme dans toutes ces lois. Sinon, si Israël avait réussi à expulser tous les Palestiniens, la seule loi dont il aurait eu besoin pour préserver son statut juif ?Arabrein- aurait été une loi d’immigration qui le stipule.

Ainsi au final, le droit proclamé par Israël d’établir un Etat juif se traduit immédiatement par le droit des juifs à coloniser les terres des Palestiniens, ce qui nécessite la confiscation antérieure de leurs terres pour qu’elles puissent être colonisées par des juifs, la réduction du nombre de Palestiniens par expulsion, la promulgation de lois empêchant leur rapatriement, et la neutralisation des droits de ceux qui ne sont pas expulsés, par une discrimination institutionnelle et légale.

Ici, il est important de souligner que pour les architectes du plan de partage, un « État juif » signifiait un Etat dirigé par des nationalistes juifs adhérant au sionisme, mais dont la population est presque pour moitié des Palestiniens arabes dont les terres ne peuvent pas être confisquées pour la colonisation juive et qui auront des droits égaux à ceux des juifs et ne souffriront d’aucune discrimination raciale ou religieuse. Pour Israël, la signification d’un « État juif » est toute différente car elle semble signifier l’expulsion d’une majorité de la population arabe, le refus de les rapatrier, la confiscation de leurs terres pour la colonisation exclusive des juifs et la promulgation de lois discriminatoires contre les Palestiniens arabes restés dans le pays. Quand Israël insiste aujourd’hui pour que l’Autorité palestinienne et les autres Etats arabes reconnaissent son droit d’être un État juif, il ne veut pas dire qu’ils devraient reconnaître sa judaïté de la manière envisagée par le plan de partage, mais plutôt de la manière dont Israël le comprend et l’exerce sur le terrain. Il est important de noter à cet égard que le sens donné à « juif » par le président Obama (et par le président Bush avant lui) n’est toujours pas claire quand il demande que les Arabes et les Palestiniens doivent reconnaître le droit d’Israël à être un État juif - le sens du plan de partage ou le sens israélien ?

Les droits des Palestiniens

Par opposition à l’invocation israélienne de droits non reconnus internationalement, les Palestiniens invoquent un certain nombre de droits internationaux reconnus qui s’opposent aux droits autoproclamés d’Israël. Par exemple, les Palestiniens affirment leur droit à vivre dans l’État juif d’où ils ont été expulsés, un droit soutenu par la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 qui déclarait sans équivoque que « Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays » — article 13(2), et par la quatrième Convention de Genève passée en 1949. De plus, la résolution 194 de l’Assemblée générale des Nations Unies décida en 1949 « qu’il y a lieu de permettre aux réfugiés [palestiniens] qui le désirent, de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins, et que des indemnités doivent être payées à titre de compensation pour les biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans leurs foyers et pour tout bien perdu ou endommagé lorsque, en vertu des principes du droit international ou en équité, cette perte ou ce dommage doit être réparé par les Gouvernements ou autorités responsables ».

En 1974, la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU 3236, passée le 22 novembre, déclarait que le droit palestinien au retour est un « droit inaliénable ». Le droit au retour des réfugiés fut aussi consacré en 1976 dans la Convention internationale sur les droits politiques et civils quand elle déclarait que « nul ne sera privé arbitrairement du droit d’entrer dans son propre pays » (article 12). De plus, les Palestiniens citent le plan de partage contre la confiscation par Israël de leurs terres pour l’usage exclusif de la colonisation juive ainsi que la résolution 194, parmi d’autres dispositions de l’ONU, contre une confiscation d’État de la terre d’un peuple sur la base de l’ethnicité. En réalité, beaucoup de Palestiniens invoquent les mêmes instruments légaux qu’utilise Israël pour récupérer les biens des juifs européens volés et confisqués avant la deuxième guerre mondiale. De plus, les groupes de la société civile palestinienne en Israël continuent de s’opposer en permanence aux lois racialement discriminatoires d’Israël devant les tribunaux israéliens, jusqu’à présent avec peu de succès.

Les droits auxquels prétend Israël n’affectent pas seulement la population palestinienne et les réfugiés palestiniens vivant en exil. Même s’il est dit que les négociations israéliennes avec l’autorité palestinienne ne concernent que la Cisjordanie et la bande de Gaza occupées (et pas Jérusalem-Est), il semble que ces droits proclamés par les Israéliens s’appliquent là aussi. Pour commencer, Israël a répété depuis 1967 que les juifs ont le droit de coloniser la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est, et que ce droit n’est pas négociable. Effectivement, pour faire passer ce point et assurer qu’il est bien compris, depuis la signature des accords d’Oslo en 1993 Israël a plus que triplé sa population coloniale juive en Cisjordanie et l’a plus que doublé dans les territoires occupés, Jérusalem-Est compris, avec un total de près d’un demi-million de colons. Israël continue de confisquer les terres palestiniennes de Cisjordanie pour la colonisation et supprime toute résistance palestinienne à cette colonisation. De plus, et en plus de la confiscation continue de terres palestiniennes à l’intérieur d’Israël, à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, Israël a étendu ses lois discriminatoires et promulgué de nouvelles pour privilégier la population coloniale juive de Cisjordanie et de Jérusalem-Est sur les Palestiniens arabes. Ceci inclut une séparation de type apartheid entre Arabes et juifs, dont la construction du mur d’apartheid, la construction de routes pour juifs seulement en Cisjordanie, et l’accès inégal aux ressources en eau, sans parler de la confiscation des terres pour les colons juifs. Les Nations Unies ont invoqué la quatrième Convention de Genève et passé de nombreuses résolutions (la plus connue est la résolution 446 du conseil de sécurité de l’ONU passée en mars 1979) appelant Israël à démanteler les colonies juives et à annuler ses confiscations de terre, mais en vain.

Les leaders israéliens ont maintenu que leurs efforts de colonisation ne portaient pas atteinte à leur engagement moral pour la paix. Au conntraire, Israël dit clairement que l’Autorité palestinienne est à blâmer pour l’arrêt des négociations. Le premier ministre israélien actuel Benyamin Netanyahou n’est pas seulement engagé pour des négociations, mais, comme ses prédécesseurs, il insiste pour dire que les protestations de l’Autorité palestinienne demandant que la colonisation juive stoppe pour que des négociations commencent n’est rien d’autre qu’un empiétement sur les droits d’Israël et une imposition de « pré-conditions » aux négociations, qu’il ne peut pas accepter.

Sur la question de l’occupation et de savoir si les négociations sont supposées y mettre fin, Israël a maintenu que son occupation de Jérusalem-Est, qu’il a d’abord agrandi 12 fois (de 6 à 70 km²) au détriment des terres de Cisjordanie (et qui a été plus récemment agrandi à 300 km², couvrant 10 % de la Cisjordanie) est permanente et que son occupation de la vallée du Jourdain et de 10 autres pour cents de la Cisjordanie situés maintenant à l’ouest du mur d’apartheid sont aussi permanentes. Israël insiste que les négociations concernent un réaménagement de la nature de l’occupation de ce qui reste de la Cisjordanie, qui pourrait faciliter une forme d’autonomie pour les Palestiniens sans souveraineté mais qu’il pourrait bien vouloir appeler « État palestinien ».

Les Palestine Papers récemment fuités via Al Jazeera ont montré que les négociateurs de l’Autorité palestinienne ont offert plus de concessions sur tous ces fronts, et que malgré une telle « flexibilité », les négociateurs israéliens ont rejeté toutes ces sortes d’offres. En réalité, Netanyahou a répété depuis la fin des années 1990 que la base de négociation ne devrait plus être la formule « la terre pour la paix » mais plutôt « la paix pour la paix », en affirmant le refus d’Israël de mettre fin à sa colonisation, à l’occupation ou à la discrimination. Plus récemment, il a proposé que les négociations soient sur la « paix économique » par laquelle son engagement pour la paix est présenté comme une posture morale prévenant tous les droits juridiques autoproclamés d’Israël d’être sujets à négociations.

Comme je l’ai argumenté auparavant, le sionisme et Israël prennent soin de ne pas généraliser les principes qui justifient le droit d’Israël à coloniser, occuper et discriminer, mais sont plutôt véhéments à les faire respecter comme des sous-ensembles d’un principe moral exceptionnel. Ce n’est pas qu’aucun autre peuple n’ait été historiquement opprimé, c’est que les juifs ont été plus opprimés. Ce n’est pas que l’existence culturelle et physique d’aucun autre peuple n’a été menacée ; c’est que l’existence culturelle et physique des juifs est plus menacée. De cette équation quantitative, il dépend que le monde, et spécialement les Palestiniens, devraient reconnaître qu’Israël a besoin et mérite les droits de coloniser, d’occuper et de discriminer. Si les Palestiniens, ou tous autres, rejettent cela, alors ils sont certainement voués à l’annihilation physique et culturelle du peuple juif, sans oublier qu’ils se dresseraient contre le Dieu juif.

Négocier le non négociable

Le droit d’Israël à se défendre signifie son droit à maintenir ses droits (à coloniser les terres palestiniennes, à les occuper et à discriminer contre les non-juifs) contre toute menace qui pourrait mettre en danger ces droits, en premier lieu contre la menace de négociations. Son droit à se défendre est un droit à maintenir ces droits par conséquent c’est un droit subsidiaire, quoiqu’essentiel, dérivant de son droit à être un État juif. La logique procède ainsi : Israël a le droit de coloniser et d’occuper la terre palestinienne et de discriminer contre les Palestiniens, tant en Israël dans les frontières d’avant 1967 que dans les territoires occupés en 1967, et si cette population résiste à ces mesures et qu’Israël répond par la violence militaire, causant des pertes civiles massives, Israël se « défendrait » simplement comme il le doit.

Eduqué par la conception des droits des Lumières européennes - particulièrement par la discussion de John Locke sur les droits aliénables vs. inaliénables, pour lesquels, d’après lui, les populations indigènes, par opposition aux colonialistes européens, non pas de tels droits car ils vivent en parasites sur la terre et ne l’améliorent pas - l’usurpation par Israël de ces droits pour lui-même implique son insistance pour que les Palestiniens, en accord avec les assertions de Locke, n’aient aucun droit à y résister. Ainsi, dans ce contexte les défenses morales et juridiques d’Israël se combinent, par lesquelles Israël a le droit de coloniser et d’occuper les terres des Palestiniens, et de les discriminer sur la base du principe de l’exceptionnalisme et de la suprématie coloniale européenne, mais par lesquelles les Palestiniens n’ont pas le droit de se défendre contre l’exercice par Israël de ces droits autoproclamés, et s’il le faisait, Israël aurait alors le droit de se défendre contre leur autodéfense illégitime opposée à l’exercice légitime et moral de ses propres droits.

Mais si Israël n’a aucun droit juridique internationalement reconnu de coloniser, d’occuper ou de discriminer, ni n’a aucun droit moral ou juridique universellement reconnu à l’exceptionnalisme, alors le seul mécanisme par lequel il peut faire de telles revendications est l’absence de responsabilité internationale, ou plus exactement son refus d’être responsable devant le droit et les conventions légales internationales. Ce refus d’être responsable est protégé par son alliance avec les Etats-Unis, qui met son veto à toute résolution du Conseil de sécurité appelant Israël à être responsable devant le droit international, ce qui rend le droit international inapplicable. Le véto le plus récent a été celui du 11 février 2011, quand l’administration Obama a mis son veto à la résolution soutenue par les 14 autres membres du conseil de sécurité, appelant Israël à cesser sa colonisation des terres de Cisjordanie et de Jérusalem-Est.

C’est dans ce contexte qu’Israël et le département d’État américain (sous Bush et Obama) sont passés ces dernières années à la vitesse supérieure en qualifiant le recours des Palestiniens aux procédures légales et au droit international pour s’opposer ou soi-disant droits d’Israël de « guerre juridique » [lawfare], qu’ils demandent d’arrêter immédiatement. Ceci inclut un rejet par Israël de la décision de 2004 par la Cour internationale de justice sur l’illégalité du mur d’apartheid qu’il a construit en Cisjordanie, ou des accusations de crimes de guerre portées contre Israël par le rapport Goldstone de l’ONU à propos de sa guerre contre Gaza en 2008 - 2009. Il est significatif que le terme « lawfare », apparu il y a une décennie, est utilisé habituellement pour signifier « les efforts pour conquérir et contrôler les peuples indigènes par l’usage coercitif de moyens légaux ». Qu’Israël et les USA assimilent les Palestiniens colonisés à une puissance conquérante et les juifs et Israéliens colonisateurs à des indigènes témoigne de la sérieuse inquiétude sur le danger que constituent les procédures d’opposition légale pour les soi-disant droits d’Israël.

Le discours sur les droits, lui-même variable est guère consensuel, n’a pas de juridiction ultime, et il prend place - ou non - dans la négociation - où la non-dénonciation - sur le pouvoir politique. Ceci se manifeste clairement dans l’insistance permanente d’Israël que ses « droits » ne sont pas négociables. Avec la chute récente du régime égyptien et la réconciliation plus récente entre Hamas et Fatah, la façon dont l’autorité palestinienne (AP) va procéder n’est toujours pas claire. Le plan de L’AP pour avoir une nouvelle reconnaissance de l’État palestinien par l’Assemblée générale en septembre prochain, même s’il réussit, aura très peu de résultats positifs substantiels et pourrait bien en avoir des négatifs. À moins que l’AP suspendre toute négociation et recherche une réparation légale internationale en montant la pression diplomatique (spécialement des Etats européens et arabes) sur le gouvernement US pour rejoindre le consensus international et cesser son veto sur les décisions internationales, les droits d’Israël continueront d’être préservés.

Ce qu’Israël a négocié avec les Palestiniens, c’est la forme, les termes et l’étendue par laquelle les Palestiniens doivent reconnaître ses droits sans équivoque. C’est cette réalité qui a caractérisé les deux dernières décennies de négociations avec les Palestiniens. Des négociations ne restaureront jamais les droits internationalement reconnus des Palestiniens ; au contraire, les négociations dans lesquelles les Palestiniens sont entrés avec Israël il y a deux décennies sont celles dans lesquelles un parti, les Palestiniens, doit abandonner tous ses droits internationalement reconnus et reconnaître à la place les droits autoproclamés d’Israël, qui ne sont pas reconnus par le droit international ou par un quelconque autre pays. 63 ans après l’établissement de la colonie de peuplements juive, cet acte palestinien non seulement conférerait la première légitimité internationale aux prétentions israéliennes, il constituerait en effet rien de moins que la première reconnaissance internationale des droits autoproclamés d’Israël. Israël n’a besoin de rien donner en retour.

* Joseph Massad est professeur associé de politique arabe moderne et d’histoire intellectuelle à l’université Columbia de New York.

6 mai 2011 - Al Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.aljazeera.net/indept...
Traduction : JBP - CCIPPP