Au Moyen-Orient, la perception est aussi importante que la réalité.
Dans un article de presse, Richard Goldstone a annoncé qu’il avait sensiblement changé d’avis, lui qui avait dirigé la Commission du Conseil des droits de l’homme des Nations unies qui avait accusé Israël et le Hamas d’avoir commis des crimes de guerre à Gaza.
Bien qu’il soit impossible de connaître les vraies raisons pour lesquelles il a fait cette déclaration publique, celle-ci a laissé une impression très claire.
Les Arabes, les musulmans ainsi que les partisans des droits des Palestiniens sont absolument convaincus que le revirement de Goldstone est dû à l’attaque concertée de sionistes qui n’avaient simplement pas aimé les conclusions de la commission.
La volte-face inattendue du juge Goldstone en a désarçonné plus d’un malgré la publicité qui avait entouré les pressions que subissait le juriste sud-africain.
Certains ont été surpris parce que la déclaration publique de Goldstone n’a absolument aucune valeur juridique. Après tout, le rapport de la commission qu’il a présidée, a été présenté aux Nations unies et par conséquent, ni lui ni aucun des membres de sa commission, n’y ont plus accès.
Il était assez inhabituel et plutôt effrayant de voir un juge très respecté, connaissant l’essentiel du processus judiciaire, communiquer des affirmations qui n’étaient pas partagées par ses collègues de la commission et qui de toute évidence n’avaient pas été discutées à fond.
Les Palestiniens qui - à l’inverse des Israéliens - avaient coopéré avec sa commission n’ont jamais été invités à faire leurs commentaires ou à essayer de réfuter les renseignements anonymes qui ont amené Goldstone à changer brusquement d’avis.
Dans son revirement public, Goldstone met en avant la question de l’intentionnalité et le fait que l’armée israélienne a fait une enquête sur ses propres actions.
Les Palestiniens et la plupart des militants des droits humains ne sont d’accord ni dans un cas ni dans l’autre. L’organisation israélienne de défense des droits humains B’tselem a dit que la question de l’intentionnalité « n’est qu’une partie du tableau ».
Dans sa réponse au revirement de Goldstone B’tselem déclare :
"Il est absolument interdit d’attaquer les civils, mais les lois de la guerre prévoient en outre que les deux parties au conflit doivent éviter autant que possible de faire du mal aux civils".
En outre, il est abondamment prouvé que l’on applique un système juridique différent aux Israéliens et aux Palestiniens.
La petite tape sur la main habituellement faite aux Israéliens qui ont tué des Palestiniens n’est pas comparable à la punition démesurée que subit par exemple un jeune Palestinien jetant des pierres.
En septembre 2010, B’tselem a publié un rapport de 54 pages intitulé (Absence de responsabilité : l’armée israélienne a pour politique de ne pas faire d’enquête sur les assassinats de Palestiniens commis par les soldats)
Le rapport illustre amplement l’indifférence générale dans l’armée israélienne envers les assassinats de Palestiniens commis par les soldats, le système juridique appliqué aux Palestiniens et le peu de sérieux de « l’enquête » que l’armée a faite sur elle-même.
Il est difficile de convaincre les Palestiniens, les Arabes et les musulmans, que ce sont uniquement des faits nouveaux qui ont fait changer Goldstone d’avis. Ils sont plutôt obligés de croire que c’est encore une fois une espèce de conspiration.
Mais le journal israélien le plus lu a expliqué quelle pression Goldstone subissait.
Dans une interview donnée à Aviel Magnezi de Yediot Ahranot, le chef de la fédération sioniste d’Afrique du Sud, Avrom Krengel, a expliqué en détail comment le juge a à été influencé à titre personnel, par sa famille et par la communauté. « Il a beaucoup souffert, spécialement dans sa ville natale. Nous avons pris parti contre lui et nous sommes contents de voir que notre méthode a donné des résultats ».
À l’origine Goldstone s’était vu refuser le droit d’assister à la bar-mitsva de son petit-fils, mais il y a été finalement autorisé.
Selon le site Internet de langue anglaise Ynet « il n’a été autorisé à assister à la fête, selon Krengel, qu’après avoir accepté de rencontrer les dirigeants de la fédération sioniste d’Afrique du Sud ».
Ce que cette candeur a d’effrayant c’est qu’elle influencera beaucoup d’autres personnalités juives qui se trouvent dans une situation délicate par rapport au conflit du Moyen-Orient.
Pendant des années, le principal journal US, le New York Times, n’a pas envoyé de journalistes juifs en Israël pour éviter qu’on ne le soupçonne de parti pris.
Mais une fois qu’il a levé cette limite qu’il s’était imposée, il n’a plus envoyé pratiquement que des journalistes et des chefs de bureau juifs en Israël.
Cela vaut également pour la diplomatie. Tant l’ambassadeur US nommé en poste en Israël, Daniel Shapiro, que le consul général US à Jérusalem, Daniel Rubinstein, sont des Américains fiers d’être juifs.
Donner l’impression (même à tort) que l’on est sensible aux pressions ethniques se répercutera sans aucun doute sur l’attitude des Arabes.
L’attitude du gouvernement israélien jette aussi de l’huile sur le feu. En jubilant et en bombant le torse, le gouvernement israélien s’est à nouveau mépris sur les intentions de la justice internationale.
Lorsque 1500 Palestiniens - civils pour la plupart- ont été tués et que 14 Israéliens - soldats pour la plupart - ont été tués (certains par des tirs amis) dans une guerre inégale contre un peuple assiégé, il ne s’agit pas de marquer des points pour demander justice ni de moraliser à tort.
Si la rétractation de Goldstone donne le feu vert aux armées pour tuer des civils en toute impunité, il sera d’autant plus difficile de faire la paix.
Cela ne veut pas dire que les Américains juifs ne peuvent pas faire des journalistes ou des diplomates neutres et impartiaux, mais ce que l’on sait des pressions exercées à l’encontre de Goldstone (pressions qui n’ont pas été démenties) cadre facilement avec une interprétation qui n’est pas très avantageuse.
La débâcle Goldstone - notamment les pressions exercées sur lui-même et sur sa famille - ainsi que sa rétractation publique, auxquelles il faut ajouter la jubilation outrancière des dirigeants israéliens, feront plus pour alimenter que pour diminuer l’antisémitisme.
Chose plus importante, elles pourraient enhardir ceux qui exécutent - ou justifient - une occupation militaire étrangère de la Palestine qui dure depuis 44 ans.
Daoud Kuttab est un journaliste palestinien primé, ancien professeur de journalisme à l’université de Princeton
17 avril 2011
Cet article peut être consulté ici :
http://english.aljazeera.net/indept...
Traduction : Anne-Marie Goossens