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L’hypocrisie française dévoilée
lundi 11 avril 2011 - Mohammed Khan
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L’époque où Khadafi était un chouette type à qui on pouvait vendre les armes les plus sophistiquées et les plus meurtrières pour le plus grand bénéfice de nos marchands de canons...

Dans un de mes premiers articles sur les révolutions arabes (Une marée de défiance en Tunisie), j’appelai tous ces braves - qui risquaient leur vie pour la cause de la liberté dans le monde arabe - « à se méfier des Français » et à rester vigilants contre « leurs machinations et man ?uvres en coulisses ».

Remarquablement, ma crainte des tromperies françaises s’est trouvée confirmée beaucoup plus rapidement que ce que j’imaginais. Après avoir d’abord colonisé la région, puis ensuite soutenu pendant des décennies un des pires despotes en Afrique du Nord en octroyant soutien économique, financier et politique, le gouvernement français s’est trouvé pris à contre-pied par le renversement du vieil autocrate tunisien Zine El Abidine Ben Ali.

N’oublions pas que quelques jours seulement avant que Ben Ali soit chassé du pouvoir en janvier, les responsables français - sous la forme de l’ancienne ministre des Affaires étrangères, totalement discréditée aujourd’hui, Mme Michèle Alliot-Marie - avaient proposé une assistance policière au régime tunisien pour réprimer les manifestations tandis que les mêmes officiels jouissaient en Tunisie de vacances privées payées par les copains de Ben Ali.

Pour citer encore une fois mon article précédent : « Combien de fois les Français n’ont-ils pas proclamé que la liberté, l’égalité, et la fraternité étaient leurs valeurs les plus fondamentales ? En ce qui concerne la politique française en Afrique du Nord, on peut ajouter une autre valeur : le sophisme. » Mais au vu des événements récents, j’avoue que j’ai commis une erreur en sous-estimant un trait français très officiel : l’hypocrisie.

Dans un effort pour ne pas se trouver complètement dépassé par les importantes convulsions politiques qui secouent aujourd’hui la région du Moyen-Orient, la ruse politique française a été amplement démontrée récemment sous le couvert d’offrir un appui aux populations arabes opprimées. La cible de la colère français sont cette fois-ci les forces du libyen Mouammar Kadhafi. Les dirigeants politiques et militaires français ont voulu désespérément se racheter de leur débâcle tunisienne en tentant de prendre la tête des forces qui bombardent les partisans de Kadhafi, mais en vertu d’un mandat des Nations Unies, se faisant ainsi de la publicité pour leur humanité supposée.

Mais l’ironie de voir les prestigieux avions de combat Rafale lancés sur les forces de Kadhafi - les avions même que la France a cherché à vendre à Libye dans le cadre d’un contrat d’armements en 2007 pour une valeur de 6,5 milliards de dollars - est tout à fait flagrante. À l’époque, Kadhafi était évidemment un chouette type et lui vendre des armes sophistiquées était une noble entreprise, en particulier lorsque de telles affaires étaient en jeu. D’ailleurs, il n’était pas question que Kadhafi aille utiliser ses avions contre son propre peuple, non ?

Un faux pas (si c’est bien ce dont il s’agit) du ministre français de l’Intérieur, Claude Guéant, n’a pas servi la cause des Français : il a courageusement qualifié l’action militaire de son pays en Libye de « croisade », un choix dans les termes qui ne passera pas inaperçu pour les Libyens et les Arabes plus largement. Les Français et autres Européens ont mené plus d’une « croisade » contre le Moyen-Orient à travers l’histoire, causant la mort de millions de personnes. Ce n’est pas pour rien que l’Algérie moderne est connu comme le pays du million de martyrs en l’honneur de tous ceux qui sont morts aux mains des Français pendant la guerre d’indépendance de 1954 à 1962.

Étant donné le penchant de la France pour la sélectivité, était-ce alors vraiment une surprise lorsque le premier ministre polonais, Donald Tusk, a condamné comme « une hypocrisie » la participation de l’Europe dans le bombardement de la Libye ? Tusk a déclaré que de telles initiative donnaient l’impression que l’Europe n’intervenait que lorsque des intérêts pétroliers étaient en jeu. Peut-être que l’etablishment français serait d’accord.

Et qu’en est-il de la liberté à domicile ?

Mais on pourrait s’imaginer que, compte tenu de cette initiative même tardive de la France pour sauver l’Afrique du Nord majoritairement musulmane, la vie dans ce pays devait être un modèle de stabilité et de solidité dans les relations sociales. Supposons que les civils libyens qui fuient les attaques quotidiennes des tanks de Kadhafi aient fui vers la France... Ils jouiraient d’un avenir pacifique, exempt de stigmatisation et d’isolement social, n’est-il pas vrai ? Eh bien, non. Les hommes peuvent s’en sortir mais les femmes, si elles choisissaient de porter le niqab, feraient mieux de rester en Libye.

À compter d’aujourd’hui, l’Etat français va interdire les vêtements couvrant le visage en public, une mesure qui, tout en étant rédigée au milieu de généralisations, vise précisément à mettre hors la loi quelque 2000 femmes musulmanes en intervenant sur leur façon de s’habiller et de se conformer à leur religion.

Le gouvernement du président Nicolas Sarkozy a promis l’usage de la pleine force de la loi pour faire appliquer ces mesures. En outre, dans le but de surpasser les tendances fascisantes qui sont celles du pays en ce moment, le parti de Nicolas Sarkozy, l’UMP, est allé jusqu’aux extrêmes en questionnant le rôle de l’Islam dans la France républicaine. Apparemment, les valeurs islamiques et leurs pratiques ne seraient pas compatibles avec le mode de vie français.

Méfiez-vous !... les Libyens, Tunisiens, Egyptiens et pléthores d’autres réfugiés politiques actuellement aux prises avec la répression. Si vous envisagez de vous réfugier en France, sachez que vos valeurs « si exotiques » peuvent ne pas être les bienvenues.

La chose vraiment étonnante concernant ces initiatives en France, n’est pas seulement l’audace avec laquelle ces politiques sont poursuivies mais aussi la conviction que ces mesures n’ont aucune incidence sur les relations extérieures.

Alors que les deux visages de la France sont maintenant exposés au grand jour, cette hypocrisie ne semble soulever guère de questions à domicile.

Les marchand d’armes et les relations d’affaires de Sarkozy vont se précipiter au Moyen-Orient, dans le Golfe, en Afrique du Nord, et ce dès la prochaine occasion pour signer des contrats d’armements ou autres de plusieurs milliards d’euros. Ici, ils se mélangent avec les Musulmans, hommes et femmes (oui les femmes aussi sortent de leurs maisons dans le monde arabe) lesquelles, ô surprise, peuvent être voilées.

Pourquoi sont-elles voilées ? Non pas parce que leurs maris les battent pour qu’elles se couvrent la tête et le visage, mais parce qu’elles ont choisi de le faire. (Est-ce vraiment si difficile de croire qu’ils peuvent en décider elles-mêmes ?) Aujourd’hui la France peut très bien avoir un problème avec un tel choix. Il conviendrait alors [pour la France] de couper toutes ses relations avec cette région du monde, de sorte que le reste de la planète sache ce que les Français pensent de la pratique du niqab, de la nourriture halal et de la finance islamique. Et, pour faire bonne mesure, peut-être aussi ce qu’elle pense de la circoncision masculine... Il est toujours bon de savoir quelle est la position des peuples et de leurs gouvernements sur certaines questions.

Sarkozy et son entourage devraient avoir le courage de déclarer publiquement leur animosité à l’égard des pratiques islamiques, si elles sont bien ce pour quoi on les dénonce.

La politique du gouvernement français ne va pas créer une certaine forme « d’islam modéré » en obligeant les femmes à garder le visage à découvert. Si cette politique réussit quelque chose, c’est à dévoiler l’hypocrisie française et le sectarisme envers les Musulmans. Les peuples du Moyen-Orient ne sont pas dupes des tactiques de diversion de la France qui prétend soutenir les droits de l’Homme en Libye.

Le point de discorde n’est pas de se demander comment quelqu’un de la brutalité d’un Kadhafi doit être traité, si ce n’est militairement. Le gang Kadhafi doit à juste titre être battu avec l’appui des organisations internationales et un soutien militaire, y compris arabe. Qu’il suffise de dire que la France n’a pas à s’immiscer dans cette entreprise étant donné la faillite de ses récentes politiques. Un pouvoir aussi décevant et hypocrite ne pourra plus de si tôt prétendre à jouer un rôle mondial.

* Mohammed Khan est un analyste et commentateur qui réside aux Emirats Arabes Unis.

11 avril 2011 - Al Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.aljazeera.net/indept...
Traduction : al-Mokhtar