L’une des choses les plus agréables qui m’est arrivée depuis que j’ai écrit mon livre sur les relations d’Israël avec l’Europe, c’est d’avoir été invité à intervenir dans différentes universités. Aussi, quand une invitation est arrivée dans ma boîte e-mail pour me rendre au King’s College de Londres (KCL), aussitôt, j’ai accepté. Grosse erreur.
La demande émanait du Centre international pour l’étude de la radicalisation (ICSR), un partenariat entre le KCL et le Centre interdisciplinaire (IDC) d’Herzliya, en Israël. Je n’ai eu connaissance de ce partenariat que la veille du jour où je prenais la parole dans un séminaire de l’ICSR en janvier. Après avoir rapidement consulté quelques amis du mouvement solidarité Palestine, je me suis retiré du séminaire, informant ses organisateurs que je soutenais totalement la campagne de boycott des institutions et des produits israéliens.
Avec le recul, je me sens soulagé d’avoir pris cette décision. Créé en 2008, le Centre international pour l’étude de la radicalisation se vante sur son site d’être la première initiative du genre où des institutions universitaires arabes et israéliennes peuvent travailler ensemble. Cela paraît faire allusion au fait que l’Institut jordanien de la diplomatie est lui aussi impliqué dans sa recherche sur la violence politique. Sauf que la participation d’un organisme universitaire d’un État arabe ne disculpe pas pour autant l’ICSR de s’être engagé avec le Centre d’Herzliya, qui a longtemps essayé de cacher l’apartheid israélien avec des envergures intellectuelles.
Chaque année, l’IDC accueille la conférence d’Herzliya sur la sécurité, qui attire l’élite politique, militaire et affairiste d’Israël, autant que d’illustres invités étrangers. Les orateurs à cette conférence peuvent débiter toutes les invectives racistes possibles sans craindre d’y être contestés ; en 2003, Yitzhak Ravid, un important chercheur de Rafael, l’autorité israélienne pour le développement des armes, a demandé que soient prises des mesures coercitives pour juguler le taux de natalité chez les Palestiniens. Les salles d’accouchements de l’hôpital Soroka à Beersheba, dit-il, se sont transformées en « une usine de production d’une population arriérée », faisant allusion à une région avec un nombre considérable d’habitants bédouins.
En outre, l’IDC exprime sa fierté pour ses liens avec l’armée israélienne, malgré le rôle de l’armée dans la mise en ?uvre de l’occupation, et notamment le siège brutal de la bande de Gaza. Les représentants des plus grands fabricants d’armes d’Israël siègent fréquemment au comité de gestion de l’IDC, alors que 10 % de ses places d’étudiants sont réservés aux vétérans des unités combattantes d’élite de l’armée israélienne.
John Bew, directeur de l’ICSR, m’a dit, « Il n’y a aucun lien financier entre notre centre et Herzilya ». Il a ajouté, « Vous verrez que nous avons aussi des contacts avec des universités à travers le monde, et notamment en Jordanie. Il ne s’agit pas de manifester un soutien à la moindre position politique d’un quelconque État - Israël, Pakistan, Inde, ou autre. Cela fait partie de notre conviction que les institutions universitaires doivent être une source de dialogue et de discussions, et la première escale pour débattre entre peuples divisés. Ayant grandi à Belfast, je me suis engagé personnellement dans cette sorte de dialogue. Je ne pense pas que diaboliser ou boycotter un côté ou un autre puissent avoir un impact constructif. »
Les propos de Bew ne disent pas toute la vérité. S’il s’oppose au boycott d’Israël, il est ravi de mettre son nom dans des brochures qui soutiennent le boycott du Hamas par les gouvernements occidentaux. Dans un document de 2008, rédigé avec son collègue chercheur, Martyn Frampton, Bew exhorte l’Occident à se montrer circonspect sur les négociations avec le Hamas, de peur que cela ne conforte la position de celui-ci au détriment d’alternatives plus modérés (Parler aux terroristes... - Centre des Affaires publiques de Jérusalem). Dans son texte, il attribue au Hamas le label de terroriste, sans appliquer ce terme à l’État d’Israël, un tueur de civils autrement plus prolifique que le Hamas. En outre, il semble peu enthousiaste à tirer les leçons de la situation dans sa Belfast natale, où un accord de paix n’a pu être conclu qu’après que le gouvernement britannique ait accepté d’engager des pourparlers avec les Républicains irlandais.
L’analyse fallacieuse de Bew va de pair avec la position des administrateurs principaux du King’s College. En novembre 2008, le KCL a décerné un doctorat honorifique au Président israélien Shimon Peres, un fauteur de guerre invétéré (en dépit de son statut de lauréat du Prix Nobel de la Paix). La récompense avait suscité des protestations chez les militants étudiants, sympathisants de la cause palestinienne.
En plus de son poste à l’ICSR, Bew est vice-président de la société Henry Jackson, un think tank qui défend les machinations impériales de l’Amérique. Les principes fondateurs de la société l’engagent à promouvoir le maintien par les USA et la Grande-Bretagne d’une forte armée avec l’assistance expéditionnaire mondiale.
Un militant de la solidarité Palestine, étudiant au KCL, qui demande à ne pas être nommé dit : « Que le Centre international pour l’étude de la radicalisation soit là pour combattre la radicalisation est une idée complètement absurde. S’il voulait suivre l’exemple de l’Irlande du Nord (pour la résolution du conflit), il n’exhorterait pas secrètement à l’exclusion du Hamas du prétendu processus de paix ».
Les arguments pour un boycott universitaire d’Israël se sont trouvés renforcés par un document de 2009 du Centre d’information alternative (AIC), une organisation qui associe les chercheurs et militants israéliens et palestiniens.
Ce document stipule que toutes les grandes institutions universitaires israéliennes, et certainement celles qui ont les liens internationaux les plus forts, ont fourni un soutien incontestable à l’occupation israélienne. Un tel soutien va de la conception par Technion à Haïfa d’un bulldozer télécommandé pour la démolition des maisons palestiniennes à l’accueil par l’université de Tel Aviv de fabricants d’armes pour un recueil sur la robotique et l’électro-optique.
Selon Uri Yacobi Keller, l’auteur du document d’AIC, ce que recherche le mouvement solidarité Palestine n’est pas que les universitaires européens arrêtent de parler à leurs homologues israéliens. Au contraire, le mouvement incite à un boycott des universités israéliennes en tant qu’institutions, pour que les flux de capitaux à leur intention soient coupés jusqu’à ce qu’elles rompent leurs liens avec l’occupation. Keller écrit : « Cela amènerait les universités israéliennes à comprendre que leurs contacts (internationaux) sont en danger si elles continuent de coopérer avec les services de sécurité et le projet colonial israéliens (dans les territoires occupés) ».
La coopération universitaire entre l’Europe et Israël a été encouragée par les gouvernements des deux côtés. En juillet 2008, le Britain-Israel Research and Academic Exchange Partnership (BIRAX) a été lancé par les deux Premiers ministres alors en fonction, Gordon Brown et Ehud Olmert. Ce projet de 1,6 million de dollars, qui implique l’allocation de subventions à des chercheurs scientifiques, est principalement financé par la fondation Pears, qui se présente elle-même comme un organisme philanthropique. Toutes les universités israéliennes qui y participent ont des liens avec l’armée israélienne, d’après le document de l’AIC.
Mike Cushman, du Comité britannique pour les universités de Palestine (BRICUP), qui a appelé au boycott universitaire d’Israël, note que certaines des activités parrainées par BIRAX excluent les instituts palestiniens. Cushman : « BIRAX finance la recherche sur l’écologie de la mer Morte sans faire participer les universités palestiniennes alors que la mer Morte est une ressource vitale pour les Palestiniens.
« Les universités israéliennes développent des armes et des technologies de contrôle qui soutiennent directement l’occupation de la Cisjordanie et le blocus de Gaza », ajoute Cushman. « D’anciens magazines se flattent fièrement de leurs liens avec l’armée et les services sécurité israéliens. Les Israéliens qui ont fait leur service militaire sont privilégiés pour entrer dans les universités - l’une des nombreuses manières pour les universités de discriminer directement et indirectement les citoyens palestiniens d’Israël ».
La Commission européenne, quant à elle, est un fournisseur important de subventions aux universités et aux entreprises privées israéliennes, y compris aux fabricants d’armes. Israël est le principal participant étranger dans le programme cadre multiannuel de l’UE pour la recherche scientifique, qui aura reçu un budget global de 53 milliards d’euros (73,5 milliards de dollars) entre 2007 et 2013. Israël entre dans 800 projets de recherches financés par l’UE, pour un total de 4,3 milliards d’euros. Les officiels israéliens m’ont dit qu’ils espéraient tirer directement plus de 500 millions d’euros de subventions au titre des sciences d’ici le terme du programme de l’UE, en 2013.
Cordis, une base consultable de données sur le programme de l’UE, est une source utile pour les militants qui souhaitent trouver des cas concrets d’universités européennes liées à des institutions et au secteur privé israéliens.
Quand j’ai pris la parole à l’université de Limerick, en Irlande, vers la fin de l’année dernière, un membre du personnel m’a dit qu’elle avait été choquée de découvrir l’étendue de sa coopération avec Israël. En tapant Cordis, j’ai trouvé cinq exemples rattachant Limerick à Israël ; plusieurs des bénéficiaires profitent directement de l’occupation israélienne. Parmi ces projets, il y en a un dont le titre encombrant est Innovative and Novel First Responders Applications (INFRA), et dont le but est de développer des services de communication dans les tunnels et autres lieux où les téléphones portables s’avèrent peu fiables. Athena GS3, une entreprise fondée par Shabtai Shavit, ancien directeur du Mossad, les services secrets israéliens, est impliqué dans ce projet ; l’entreprise appartient au groupe Mer, lequel fournit des équipements de surveillance aux colonies illégales à Jérusalem-Est et aux bases et check-points militaires plus largement en Cisjordanie. Un autre profiteur israélien de ce projet est Opgal, fabricant de caméras infrarouges. Opgal est en partie détenu par Elbit, l’un des principaux fournisseurs d’avions de l’armée de l’air israélienne.
Contrairement aux allégations d’Israël qui se prétend la seule démocratie du Moyen-Orient, ses autorités universitaires recherchent activement à étouffer la moindre dissidence. Après l’agression d’Israël contre la Flottille de la liberté pour Gaza, tuant neuf militants, le 31 mai 2010, l’université de Haïfa a interdit à ses étudiants de manifester. L’université Ben Gourion du Néguev a également engagé une procédure disciplinaire contre les étudiants qui avaient manifesté contre le massacre de la Flottille ou pour l’amélioration des conditions des travailleurs embauchés pour nettoyer le campus.
Avec les fortes réductions imposées aux dépenses d’enseignement dans de nombreux pays, il est compréhensible que les syndicats étudiants et universitaires se préoccupent des questions économiques pour le moment. Mais ces réductions sont décidées dans le cadre d’un plus grand effort idéologique pour rendre les universités plus dépendantes du secteur privé et limiter l’enseignement de troisième niveau pour les personnes issues de familles aisées. C’est dans ce contexte qu’il faut examiner la coopération avec les universités israéliennes.
En effet, le cas d’Israël devrait être un réveil téléphoné pour quiconque se soucie de justice sociale. La plupart des pays industrialisés dépensent environ 8000 dollars pour chaque étudiant en école ou université par an, mais Israël dépense 6000 dollars. Par contre, Israël consacre 8 % de son produit intérieur brut aux dépenses militaires, près de six fois la moyenne pour les pays industrialisés (voir Réforme de l’enseignement et développement de l’emploi, clé de la croissance économique à long terme d’Israël - Organisation pour la coopération et le développement économiques, 20 janvier 2010).
L’élite politique d’Israël est nettement plus intéressée à développer son industrie d’armement et à resserrer son emprise sur la terre palestinienne, qu’à s’assurer que l’enseignement permette aux personnes de réaliser leur potentiel.
C’est l’une des nombreuses raisons pour lesquelles un boycott universitaire d’Israël est si important.
Né à Dublin en 1971, David Cronin est le correspondant à Bruxelles de l’agence de presse Inter Press Service. Il a d’abord occupé cette fonction pour le quotidien irlandais The Sunday Tribune après avoir travaillé comme chargé de recherches et attaché de presse auprès du Parlement européen. Entre 2001 et 2006, il a collaboré à European Voice, hebdomadaire du groupe The Economist.
Son livre, L’alliance de l’Europe avec Israël : une aide à l’occupation est publié chez Pluto Press.
Du même auteur :
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L’alliance de l’Europe avec Israël
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10 mars 2011 - The Electronic Intifada - traduction : JPP