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« Du Golfe à l’Océan » le moyen-Orient est en train de changer
vendredi 25 février 2011 - Ramzy Baroud
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Manifestation dans la ville libérée de Benghazi - Photo : Reuters

Même ceux qui se sont au début rangés du côté du régime de Hosni Mubarak ou ont privilégié une position neutre, ont maintenant changé de figure.

« Les Arabes célèbrent du Golfe à l’Océan, » a proclamé un titre sur la chaîne Al Jazeera. L’expression « du Golfe à l’Océan » n’est pas une référence géographique hasardeuse, mais une réelle référence géopolitique. Mais depuis que l’ancien Président égyptien Anwar Saddat avait défié l’opinion arabe et choisi une porte de sortie intéressée (et selon le sentiment arabe populaire, honteuse) pour son pays de ce qui était jusque-là le « conflit israélo-arabe » - l’expression ci-dessus avait seulement servi de slogan vidé de tout son sens. La signature par Saddat du traité de Camp David en 1979 avait effectivement marginalisé le pays arabe le plus impliqué dans un conflit qui était précédemment déterminé par l’engagement de l’Egypte. Ce traité a laissé les pays arabes plus faibles face à Israël et dans la position de cibles faciles pour des guerres totalement asymétriques, dans un état permanent de défaite et d’humiliation.

L’importance de Mubarak pour Israël et les Etats-Unis venait du fait qu’il garantissait les gains israéliens pour le prix minable de 1,8 milliard de dollars par an. L’essentiel de ces sommes servaient à honorer des contrats militaires, à améliorer les équipements de l’armée et à subventionner l’expertise militaire américaine pour la modernisation de l’armée égyptienne. Israël, naturellement, se voyait attribuer presque le double de cette somme et se voyait promettre, par un accord distinct avec les Etats-Unis, la supériorité militaire face à ses adversaires, Egypte incluse.

Mais Mubarak en tirait beaucoup plus que simplement du cash. Ses gains les plus importants étaient liés à la politique étrangère des Etats-Unis dans la région. Tandis que ces derniers violaient la souveraineté de plusieurs pays arabes, le régime de Mubarak était laissé en grande partie indemne. Libéré de n’importe quelle résistance efficace à domicile et exempt de toute critique sérieuse venant de l’étranger, les membres du Parti Démocrate National au pouvoir en Egypte ont profité de l’absence de devoir rendre des comptes pour accumuler des richesses sans précédent, aux dépens des 40% d’Egyptiens sur 84 millions qui vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Le parti au pouvoir était de fait devenu un club pour millionnaires. La classe moyenne à peine existante et encore rétrécie et la classe ouvrière vivaient avec le rêve de trouver une emploi ailleurs, et la population défavorisée - des millions de personnes vivant dans des quartiers « qui n’en ont que le nom », et souvent dans de grands cimetières - subsistait dans une existence des plus humiliantes.

Tout ceci importait peu à Washington, dont les politiques n’ont fait que confirmer l’assertion de Lord Palmerston selon laquelle « il y a aucun allié permanent ... seulement des intérêts permanents ». Henry Kissinger a ensuite complètement extrait l’Egypte de l’équation moyen-orientale, et d’autres ont suivi la même voie, s’assurant que l’Egypte ne pourra jamais agir d’une manière qui gênerait les intérêts Israéliens. Ironiquement, c’est également Washington qui a sauté sur l’occasion de se débarasser de Mubarak - mais non de son régime. Peu après que le vice-président nouvellement désigné par Mubarak ait lu la courte déclaration faisant état du départ du président, Obama a sans retard lu sa propre déclaration. Quand il a annoncé que le peuple égyptien construirait rien de moins qu’une « véritable démocratie », il s’apparentait plus à un des participants de la place Tahrir au Caire qu’au chef du pays même qui avait défendu le règne de Mubarak et avait qualifié l’ancien président de « modéré » et d’ami cher. « Il y a aucun allié permanent , » en effet.

C’était ce même Obama - utilisant aujourd’hui un langage si poétique pour décrire la révolution populaire en Egypte - qui avait choisi l’Egypte en juin 2009 pour tenir son discours de réconciliation avec les Arabes et les Musulmans où qu’ils soient. Le Caire avait été choisi parce que Mubarak avait toujours été un des plus fidèles amis des Etats-Unis et d’Israël. Il avait rassemblé les Arabes contre l’Irak en 1990. Il avait pris position contre la résistance libanaise en 2006. Et il avait avec zèle défendu la « sécurité » d’Israël’ en isolant la frontière de Gaza, avec pour résultat la perte de milliers de vies palestiniennes. Pour justifier le maintien du bouclage de la frontière, Mubarak avait cité l’Accord de Rafah de 2005, prétendant que l’ouverture de la frontière pourrait d’une certaine manière nuire à la souveraineté palestinienne. Dans le même temps, l’Egypte sous Mubarak s’est entièrement impliquée dans les tentatives d’étouffement de la démocratie palestinienne, détruisant toute résistance envers Israël et assurant le succès du blocus israélien.

Selon Wikileaks, Omar Suleiman, jusqu’à récemment chef des services de renseignements d’Egypte, avait en 2005 fait une promesse à Amos Gilad, responsable du Bureau de Sécurité Diplomatique au Ministère de la Défense israélien : « Il n’y aura aucune élection (en Palestine) en janvier. Nous prendrons soin de cela. » Après que cette promesse n’ait pu être tenue et que le Hamas ait gagné les élections, Suleiman a invité l’armée israélienne à entrer sur le territoire égyptien pour imposer le siège sur Gaza. La CIA s’est également vue autorisée de torturer les « suspects de terrorisme » sous la direction des sbires de Mubarak et de Suleiman en particulier. Un fonctionnaire des Etats-Unis s’était félicité de la coopération de Suleiman et du fait qu’il n’était pas « regardant » quant à la torture. Il est important de noter ici que pendant presque trois semaines de manifestations en Égypte, les Etats-Unis poussaient à une transition douce et tranquille entre Mubarak et Suleiman.

Mais la détermination du peuple d’Egypte a balayé tous ces plans. Les mêmes continueront à comploter, naturellement, mais les options à leur disposition diminuent rapidement. Quand les Egyptiens ont dit vouloir changer de « régime », c’est vraiment cela qu’ils voulaient signifier.

Peut-être qu’une des plus grandes réalisations de la révolution égyptienne, c’est d’avoir été le fait exclusif des Egyptiens. Aucune société américaine de communication n’avait été engagée pour organiser l’évènement... Pas besoin d’ex-conseillers de Bill Clinton pour fournir des consultations à une quelconque opposition intéressée. Personne au Caire n’a appelé Washington, Londres, ou même Téhéran pour venir à la rescousse. Et si de tels appels ont été faits, c’est en direction des « peuples arabes » et du « monde libre » pour qu’ils soient solidaires des Egyptiens du peuple tandis que ceux-ci étaient en train de redevenir les propriétaires légitimes de leur propre pays, et les architectes de leur propre destin.

La révolution égyptienne a prouvé au monde que la démocratie et la liberté dans le monde arabe n’ont besoin d’aucun investissement militaire, d’aucune doctrine politique, d’aucun Grand Projet de Démocratie du Moyen-Orient [Cf Georges Bush - N.d.T], et d’aucune invasion étrangère ou coup d’état militaire fomenté depuis l’extérieur. Il suffit que les gens du peuple sortent de terre leur extraordinaire force. La révolution égyptienne a finalement rendu le pouvoir au peuple, une expérience collective que bon nombre d’entre nous se rappelleront toujours, avec orgueil, et que d’autres craindront toujours et pour de bonnes raisons.

Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire vraie de Gaza (Pluto Press, London), peut être acheté sur Amazon.com.

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17 février 2011 - Communiqué par l’auteur
Traduction de l’anglais : Claude Zurbach