Fermer la page
www.info-palestine.net
Au Caire, Place Tahrir, au mépris du danger
vendredi 4 février 2011 - Mathieu Cassel
JPEG - 14.4 ko
Les manifestants n’ont jamais cédé et se sont maintenus place Tahrir - Photo : M. Cassel

Je me trouvais hier au Caire au milieu de plus d ?un million de personnes. Ils étaient arrivés à la place Tahrir dans la matinée, et même des jours avant pour certains, et ils n’avaient pas quitté les lieux, et tout au long de la journée ils avaient appelé de toute leur énergie à la démission du président Hosni Moubarak. « Dégage ! » criaient - ils. Un mannequin à son effigie pendait à un réverbère et quelqu’un portait un panneau en forme d’âne dont la tête était celle du président.

Dans la soirée, les millions de manifestants du pays regardèrent et écoutèrent le discours du vieux président (82 ans), espérant qu’il accéderait à leur demande. Au lieu de cela Moubarak mit ses pas dans ceux de Zine El Abidine Ben Ali, le président tunisien déchu, qui de prime abord tenta d’apaiser des manifestants qui finiraient par le pousser à la démission en promettant de ne pas se représenter. Ne cédant sur rien, un Moubarak sans le moindre remords accusa les manifestants d’être à l’origine de la violence et du chaos, menaçant même de les punir, sans un mot de consolation pour les familles des centaines de manifestants tués par les forces de sécurité depuis le début du mouvement de protestation, le 25 janvier.
A chacun d’essayer de deviner si Moubarak ignore comment les choses finirent en Tunisie ou s’il pense pouvoir écrire une fin différente de l’histoire.

J’ai photographié dans les faubourgs du Caire un groupe d’hommes en train d’écouter ce discours.Ils étaient assis sur des chaises en plastique, à l’extérieur d’un café, à la manière habituelle des spectateurs d’un match de foot. Mais, ce soir, ni narghilés, ni cafés - l’atmosphère était bien plus sérieuse. Dès qu’il fut clair que Moubarak ne démissionnerait pas, les patrons de café se levèrent comme un seul homme en scandant des slogans contre le président. « Mish ayzino ! » - « on ne veut plus de lui ! » - s’écriaient - ils tout en partant pour la place Tahrir .

Après les violents affrontements de vendredi dernier entre les manifestants et la police, celle - ci avait quasiment disparu des rues du Caire. Sur ce, des pillards envahirent les rues mais des volontaires civils du voisinage les empêchèrent rapidement de commettre de grands dommages. Nombreux sont ceux qui pensent que le retrait de la police, combiné à l’arrivée des pillards, a été orchestré par le régime, dans le but de créer une atmosphère de chaos et d’insécurité, de telle sorte que les Egyptiens ressentiraient le besoin d’un dictateur qui leur garantisse sécurité et stabilité.

Manipulation ou pas, de toute façon ça n’a pas marché. Les groupes de vigilance du voisinage se sont montrés très efficaces, et, ne serait - ce que pour entrer d’un demi - mile dans n’importe quel pâté de maisons, on pouvait s’attendre à franchir au moins dix checkpoints gardés par des hommes, jeunes comme vieux.

Un programme d’autodéfense du même type a été installé autour de la place Tahrir. Lorsque des rumeurs se mirent à circuler, selon lesquelles les cortèges pouvaient être infiltrés par des casseurs à la solde de Moubarak, les manifestants se mirent à organiser des chaines humaines, sans armes, pour contrôler les identités et fouiller rapidement toute personne entrant sur la place.

Lorsque l’intifada spontanée ou le soulèvement du faubourg se déclencha la nuit dernière, après l’intervention de Moubarak, plusieurs centaines de manifestants gagnèrent aussi vite que possible la place. La nervosité des volontaires de sécurité augmentait au fur et à mesure de leur rapide approche et ils tentaient de leur mieux d’arrêter l’arrivée de cette masse de gens. Se tenant par les bras, ils formèrent une chaine humaine qui interdit immédiatement à la foule en colère tout accès à la place. Certains des manifestants s’en prirent verbalement aux volontaires, et il y eut des bousculades. L’émotion passée, les deux « côtés » fraternisèrent. Un des manifestant fondit en larmes pour s’être battu avec un camarade.

Finalement ils furent autorisés à entrer, un par un, de façon ordonnée, se joignant ainsi à l’immense foule toute vibrante du square. Des slogans retentirent à nouveau appelant au départ de Moubarak. La foule qui défilait autour de la place était déchainée, certains portaient des mégaphones, certains des tambours, d’autres enlevaient leurs chaussures et les tendaient en silence vers le mannequin à l’effigie de Moubarak, toujours pendu au réverbère.

A ce moment de la soirée il était clair que bien des manifestants étaient épuisés et aphones d’avoir tant crié, mais ils n’avaient nullement l’intention de renoncer. Avec des pancartes, des cris, des chansons, avec tous les moyens disponibles, le peuple égyptien avait parlé, et n’avait pas l’intention de se taire de sitôt. Trente ans de colère retenue se libérait dans des flots de protestations dans tout le pays.

Mais, semble - t -il, Moubarak ne cèderait pas sans se battre. Au moment où j’écris, des centaines de soi - disant partisans de Moubarak descendent dans les rues pour défier les manifestants du Caire et d’Alexandrie. J’ai déjà vu ces « supporters ». On le sait de notoriété publique, on les voit au cours des manifestations, ils se cachent derrière les policiers en uniforme avant de surgir finalement pour faire un très sale boulot : casser la tête des manifestants.

Des heures après l’intervention de Moubarak, le président américain Barak Obama, qui le soutenait résolument, s’adressa au monde. Il n’était pas, selon lui, du rôle des Etats Unis de choisir les dirigeants d’un autre pays. Cependant ce sont bien les milliards de dollars d’aide américaine qui aidèrent la dictature à bâtir cet appareil d’état répressif qui interdit au peuple égyptien d’exercer son droit à l’autodétermination.

Les Etats Unis semblent vouloir jouer au courtier : trop tard ! Et Moubarak veut se maintenir au pouvoir : trop tard ! L’issue du combat est entre les mains du peuple égyptien , et ce qu’on voit des rues du Caire, c’est que le combat va continuer.

* Mathieu Cassel (Beyrouth), est rédacteur-assistant de « The Electronic Intifada ». Son site internet est : http://www.justimage.org (http://twitter.com/justimage)

2 février 2011 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/v2/ar...
Traduction de l’anglais : Mikâ’il