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Après les « documents palestiniens », l’Autorité palestinienne peut-elle continuer d’exister ?
jeudi 3 février 2011 - Jonathan Cook - EI
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Le Président de l’AP, Mahmoud Abbas, va-t-il prendre le même chemin que le Président tunisien destitué, Zine El Abidine Ben Ali ?
(Thaer Ganaim/MaanImages)

Avec un processus de paix au Moyen-Orient qui dura 18 ans et qui, au bout du compte, est déclaré mort, l’Autorité palestinienne en a-t-elle aussi terminé ?

C’est la question que se posent les Palestiniens à la suite d’une semaine de révélations très dommageables montrant que les négociateurs palestiniens avaient secrètement fait des concessions majeures à Israël dans les discussions, sur Jérusalem, les réfugiés et les frontières.

L’AP - le gouvernement palestinien en fonction, dirigé par Mahmoud Abbas - était déjà en crise avant même la divulgation de ces documents palestiniens par la télévision Al Jazeera, la semaine dernière.

Maintenant, selon George Giacaman, directeur du Centre de recherches Muwatin, basé à Ramallah, qui préconise une plus grande démocratie palestinienne, l’AP « a le dos au mur ».

La question de la survie de l’AP et de la future orientation de la politique palestinienne revêt une plus grande urgence encore depuis que le Moyen-Orient dans son ensemble est traversé par les troubles, de la Tunisie au Yémen.

Pour Mahdi Abdul Hadi, directeur du groupe de réflexion Passia, de Jérusalem, les Palestiniens sont « à un carrefour ». Même si la rue est restée largement silencieuse jusqu’à maintenant, pour lui ce n’est qu’une question de temps avant que les Palestiniens ne commencent à manifester clairement leur dégoût de leur direction.

« Maintenant, il est encore plus évident pour nous, Palestiniens, que nous vivons dans une prison et que les dirigeants de l’AP ne sont là que pour négocier les termes de notre emprisonnement, » dit-il.

Lui et de nombreux autres analystes palestiniens considèrent comme terminées les négociations pour une solution à deux États.

Ce sentiment semble être partagé par une majorité de Palestiniens. Une enquête menée en décembre, donc avant la fuite des 1600 documents officiels, par le Centre palestinien de recherche et d’étude politique, montre que 71 % des Palestiniens pensent qu’ils n’auront pas d’État dans les cinq ans. Et ce pourcentage pourrait bien avoir depuis fortement augmenté.

Signe d’une panique grandissante à Ramallah, les dirigeants palestiniens ont désespérément lancé une action d’arrière-garde la semaine dernière. Au début, ils faisaient valoir que les documents étaient falsifiés, et ils suggéraient qu’Al Jazeera avait pris le parti du rival politique d’Abbas, le parti islamique Hamas, pour renverser l’AP.

Mais plusieurs officiels ont confirmé l’authenticité des documents et l’AP s’est principalement attachée depuis à découvrir qui était derrière la fuite.

Pour Abdul Hadi, les Palestiniens devraient arriver de plus en plus à la conclusion que l’avenir qui leur est promis consistera à vivre dans un « État binational sous un régime d’apartheid » administré par Israël.

«  A l’heure actuelle, les partisans d’Abbas tiennent la rue, mais le peuple palestinien s’éveille à la réalité de sa situation, » dit-il.

Samir Awad, professeur de sciences politiques à l’université de Birzeit, près de Ramallah, pense qu’Israël est en train d’imposer une solution, de facto, pour un État unique. « La lutte pour l’indépendance nationale est terminée, et si l’AP veut survivre, elle doit très vite se réinventer un rôle. Les Palestiniens sont maintenant partis pour un long chemin : le combat pour leurs droits civils et politiques à l’intérieur d’une État unique, » dit-il.

Asad Ghanem, professeur de sciences politiques à l’université de Haïfa, en Israël, et spécialiste en politique palestinienne, a toutefois mis en garde car maintenant qu’aujourd’hui l’AP chancèle, Israël et les États-Unis vont intensifier leurs efforts pour renforcer les forces de sécurité de l’Autorité et son rôle répressif.

Avec une politique étouffée à l’intérieur des territoires occupés, dit Ghanem, il est crucial que les dirigeants palestiniens de l’extérieur interviennent pour redéfinir le mouvement national palestinien, notamment avec les Palestiniens comme lui qui vivent à l’intérieur d’Israël et les organisations de la diaspora.

Pour Giacaman, l’AP a depuis longtemps dépassé le temps de son objectif officiel.

Elle a été créée par les accords d’Oslo (1993) en tant qu’administration provisoire, comme transition vers un État palestinien, prévue pour une période de cinq ans au cours de laquelle Israël était censé se retirer par étapes de Cisjordanie et de la bande de Gaza.

Depuis, les négociations de Camp David ont abouti à une impasse en 2000, l’AP s’est cramponnée au pouvoir avec un contrôle limité sur moins de 40 % de la Cisjordanie, pendant qu’Israël a continué de construire ses colonies illégales dans les zones sous son contrôle.

Abbas a menacé à plusieurs occasions de dissoudre l’AP, la plus récente étant en décembre dernier, quand il a averti : « je ne peux accepter de rester le Président d’une Autorité qui n’existe pas ».

Mais pour Giacaman, ces menaces étaient creuses, ne visant qu’à mettre la pression pour qu’Israël reprenne les négociations de peur d’avoir à supporter le lourd poids financier d’une réoccupation militaire directe.

L’AP, toutefois, se trouve confrontée à des problèmes beaucoup plus graves depuis la fuite des documents, selon Giacaman. « Sans processus de paix, elle doit justifier la poursuite de son existence ».

Le point central le plus immédiat, dit-il, a été de renforcer l’action internationale via les Nations-Unies, en faisant pression pour une résolution au Conseil de Sécurité contre les colonies.

Giacaman pense aussi que l’AP va reconsidérer sa position et défendre activement le rapport Goldstone, les conclusions de la commission des Nations-Unies qui laissent entendre qu’Israël a commis des crimes de guerre durant son agression contre la bande de Gaza fin 2008, début 2009.

L’un des documents fuités révèle qu’Abbas avait accepté, sous la pression des États-Unis, d’écarter le rapport au lieu de le mettre à l’ordre du jour de l’Assemblée générale des Nations-Unies.

« Le problème pour l’AP, c’est qu’elle a besoin de générer des crises diplomatiques pour obtenir l’intervention de la communauté internationale. Mais cela la place en confrontation avec Israël et les États-Unis. Israël peut toujours menacer de garder les 60 millions de dollars de revenus fiscaux qu’il doit lui remettre chaque mois à l’AP, » dit Giacaman.

La menace de l’AP de déclarer unilatéralement un État et d’en rechercher la reconnaissance aux Nations-Unies, ajoute-t-il, ne change rien à la réalité sur le terrain. « Même si la plupart des pays reconnaissaient l’État, ce serait toujours un État sous occupation, » poursuit Giacaman.

En attendant, le vide diplomatique est susceptible d’être comblé par Israël. Il pourrait promouvoir un plan semblable à celui avancé par Avigdor Lieberman, le ministre d’extrême droite des Affaires étrangères, pour la reconnaissance d’un État palestinien à l’intérieur de frontières provisoires. Il pourrait aussi poursuivre sa politique de séparation, se retirer plus de la Cisjordanie et encourager les Palestiniens à prendre ce qu’il en reste.

Selon Awad, l’effondrement de l’AP peut cacher de nombreux dangers pour les Palestiniens. L’un étant la possibilité d’une guerre civile convulsive entre le parti Fatah d’Abbas et le Hamas. Un autre, dit-il, étant « l’afghanisation » de la Cisjordanie et de la bande de Gaza occupées, avec des seigneurs de la guerre tribaux prenant le contrôle d’enclaves territoriales qui n’intéressent pas Israël.


Jonathan Cook est écrivain et journaliste, basé à Nazareth, Israël. Ses derniers livres : Israël et le clash des civilisations : Iraq, Iran et le projet de remodeler le Moyen-Orient (Pluto Press) et La disparition de la Palestine : les expériences d’Israël dans le désespoir humain (Zed Books).

Son site : http://www.jkcook.net

Cet article a initialement été publié par The National, à Abu Dhabi


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1er février 2011 - The Electronic Intifada - traduction : JPP