Révélations WikiLeaks : comment les Etats-Unis couvrent l’usage de la torture en Irak
dimanche 24 octobre 2010 - 07h:35
Gregg Carlstrom - Al Jazeera
Un militant présumé identifié seulement comme « DAT 326 » a été arrêté par l’armée irakienne le 7 Juillet 2006, à un poste de contrôle dans la ville de Tarmiya, au nord de Bagdad. Lorsque les forces américaines l’ont interrogé plus tard dans la nuit, il a décrit les heures de violence brutale aux mains des soldats irakiens, une accusation apparemment confirmée par les résultats d’un examen médical.
DAT 326 raconte qu’on lui a dit de s’allonger sur le ventre avec ses mains attachées derrière son dos, après quoi les soldats irakiens lui auraient marché et sauté dessus, auraient uriné et craché sur lui.
[...] DAT 326 a été ausculté et traité pour ses blessures à Cobra Clinic. Les blessures ont pour conséquence une vision floue, une perte d’audition dans l’oreille gauche, des saignements dans les oreilles, des ecchymoses sur le front, le cou, la poitrine, le dos, les épaules, les bras, les mains et les cuisses, des coupures sur l’ ?il gauche et sur les lèvres supérieure et inférieure, une hémorragie aux yeux, du sang dans les cavités nasales, et les mains et poignets gonflés.
Devant les accusations de torture commises par les forces irakiennes, les Etats-Unis ont rapidement écarté la question : « En raison d’aucune allégation ou preuve d’implication des États-Unis, une enquête des Etats-Unis n’est pas engagée », indique le rapport.
Un examen des documents divulgués révèle plus de 1000 accusations d’abus commis par les forces de sécurité irakiennes. Certaines d’entre elles ne sont pas crédibles, car certains détenus n’ont montré aucun trace physique de ces abus, tandis que d’autres ont modifié leur récit au cours des multiples interrogatoires.
Mais des centaines d’accusations - comme « DAT 326 » - sont corroborées par des auscultations médicales et autres preuves. Ces rapports montrent une tendance claire d’abus et de tortures dans les prisons irakiennes, et qu’une directive de haut niveau venue du Pentagone interdit aux forces américaines de procéder à des enquêtes.
« Seul un rapport initial sera effectué »
L’instruction de ne pas enquêter apparaît dans la directive fragmentaire [FRAGO] 242, avec une première mention dans un rapport déposé le 16 mai 2005.
Si le rapport initial confirme que les forces américaines n’ont pas été impliquées dans les mauvais traitements de détenus, aucune investigation complémentaire ne sera effectuée sauf si commandée par le HHQ.
L’ordre est à nouveau mentionné dans un rapport de juin 19, qui dit que « seul un rapport initial sera fait pour des violations apparentes [aux les lois de la lutte armée]... n’impliquant pas les forces américaines. » Ces premiers rapports ont été suffisamment fréquents pour établir que la torture a été utilisée, et les résultats des entrevues et des examens médicaux ont été rapportés dans un détail macabre, comme un rapport de juillet 2006 au sujet d’un détenu à Bagdad soupçonné d’être un combattant étranger.
Tout complément d’enquête, cependant, demande l’approbation des supérieurs et une telle approbation a été rarement donnée. Ainsi, les États-Unis n’ont guère contribué à répondre des abus commis par des soldats et des policiers irakiens. Des centaines de rapports sur la torture se concluent avec la phrase : « l’accusation est transmise au commandant [de l’armée irakienne] aux fins d’enquête ».
Le département d’État américain, en effet, a souligné à maintes reprises que le gouvernement irakien ne tient pas compte des rapports de tortures et mauvais traitements. « Il y a peu d’indications que des mesures disciplinaires aient été prises contre les forces de sécurité accusées de violations des droits de l’homme », écrit le ministère dans son rapport de 2007 sur la situation des droits de l’homme en Irak.
Cela a lentement commencé à changer - en 2009, le ministère de l’intérieur en Irak a ouvert 55 enquêtes sur les violations des droits de l’homme - mais des rapports du département d’État des États-Unis montrent que les abus signalés au ministère irakien de l’intérieur ont été ignorés pendant des années.
Violation des obligations liées à la Convention des Nations Unies contre la torture
Le droit international n’exige pas des États-Unis d’enquêter sur ces accusations d’abus à l’encontre de détenus irakiens, parce que toutes ont été rapportées après le 30 Juin 2004 - quand l’Irak est redevenu un « pays souverain », selon la résolution 1546 des Nations Unies [on s’étonnera ensuite que les Nations Unies puissent être prises pour cible par la résistance irakienne... N.d.T]. Les États-Unis ne contrôlait plus directement les services de sécurité d’Irak, et donc, il n’était plus obligés de gérer ce qui s’y faisait.
On pourrait argumenter, bien sûr, que la décision de regarder ailleurs représente une faute morale claire - et une décision délibérée de saper le but affiché des États-Unis de construire une nation. Les États-Unis ont dépensé des dizaines de millions de dollars pour développer les prisons, les tribunaux et la « règle de droit » en Irak. Mais la divulgation de ces documents montrent que les forces de sécurité irakiennes ont systématiquement violé les droits les plus élémentaires des détenus sous leur garde, les agressant, menaçant leurs familles, allant jusqu’à les enlever ou les assassiner.
Plus important encore, de nombreux récits de tortures donnent à penser que les États-Unis ont sciemment contrevenu à la Convention des Nations Unies contre la torture.
La convention - ratifiée par les États-Unis en 1994 - interdit aux signataires de transférer un détenu dans d’autres pays « où il y a des motifs sérieux de croire qu’il serait en danger d’être soumis à la torture ».
Parmi les plus de 1000 accusations de torture dans les prisons irakiennes, beaucoup d’entre elles sont étayées par des preuves médicales et paraissent bien constituer des « motifs sérieux » de croire que les prisonniers remis aux autorités irakiennes pourraient être torturés. Pourtant, les États-Unis ont transféré des milliers de prisonniers aux autorités irakiennes ces dernières années, dont près de 2000 ont été remis aux Irakiens en juillet 2010.
« Preuve de tortures »
Les tortures dénoncées par les détenus sont souvent presque identiques à celles utilisées par le régime déchu de Saddam Hussein. Certains détenus ont été fouettés sur les pieds avec de lourds câbles, une forme de torture atrocement douloureuse mais qui ne laisse que quelques traces sur les victimes. D’autres ont déclaré avoir été suspendu à des crochets fixés au plafond ou d’avoir subis des chocs électriques sur leur corps.
Le détenu 1x dit qu’il a été enlevé à son domicile par l’IA [service de renseignement de l’armée irakienne] dans le district de Khalis dans la province de Diyala. Il a ensuite été détenu dans des bunkers souterrains pendant environ deux mois jusqu’en août 2005 et soumis à la torture par des membres de l’IA 2/5. Parmi les allégations de tortures [sic] on trouve entre autres, la strapado stress position, où le détenu avait les mains liées et était suspendu au plafond, l’utilisation d’objets contondants (comme des tuyaux) pour le battre sur le dos et les jambes, et l’utilisation de perceuses électriques pour perforer les jambes.
L’agression sexuelle, ou la menace d’y recourir, est une tactique habituelle pour les interrogateurs. Un détenu a déclaré avoir été sodomisé avec une bouteille d’eau ; un autre, avec un tuyau.
Un certain nombre de rapports parlent de l’existence « de salles de torture » dans les commissariats et installations de l’armée à travers le pays.
Une preuve que la torture n’est pas interdite a été notée dans la station de la police irakienne dans Husaybah, IZ. De grandes quantités de sang sur le sol, un fil utilisé pour les chocs électriques et un tuyau de caoutchouc se trouvaient dans la cellule de détention.
Les forces américaines ont occasionnellement agit pour faire cesser les abus commis par les forces de sécurité irakiennes : en août 2005, par exemple, une patrouille de l’armée américaine a arrêté un groupe de soldats irakiens qui battaient à coups de poing un détenu sous leur garde.
Une telle intervention est plus une exception que la règle. Un rapport d’août 2006 cite le sergent Andrew Spade, de la 300e compagnie de la police militaire, qui voit des policiers irakiens fouetter et bourrer de coups de pied des détenus. Mais l’armée ne fait rien pour soustraire [ces détenus] à la violence des agents : « Les deux [les détenus] sont encore à la station de police d’Al Huryia », note le rapport.
[173:060] - Les forces US cèdent trop facilement à l’usage de la torture. Le cas plus célèbre est bien sûr celui du recours systématique à la torture prison d’Abou Ghraib, à l’ouest de Bagdad.
Mais les documents divulgués rendent compte d’un certain nombre d’abus à plus petite échelle. En Octobre 2006, par exemple, les membres d’un bataillon Stryker ont parlé des abus commis sur des détenus par leur unité, un rapport qui a été transmis à un commandant de niveau supérieur.
Ils ont dit que lorsque des personnes étaient arrêtées, le conducteur avertissait les soldats qu’il était sur le point de s’arrêter brusquement. Les soldats s’accrochaient, tandis que le détenu était projeté vers l’avant. PFC Palmer et un SPC non identifié ont également expliqué comment les soldats [...] battaient à tour de rôle les détenus [...].
Il existe de nombreuses autres mentions de cas où des troupes américaines auraient tabassé des détenus ou menacé de tuer leurs familles.
Pourtant, la grande majorité des accusations concernent des tortures appliquées par les forces de sécurité irakiennes - des abus qui continuent, disent les groupes de défense des droits humains. En effet, Amnesty International a révélé en septembre dernier que les détenus récemment remis aux autorités irakiennes - et d’autres qui pourraient bientôt être remis - « restent exposés au risque de torture et d’autres formes de mauvais traitements ».
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Traduction : Info-Palestine.net