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La droite israélienne embrasse-t-elle la solution à un État ?

lundi 26 juillet 2010 - 07h:01

Ali Abunimah

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Au milieu des années 80, le pouvoir blanc d’Afrique du Sud, soumis à de fortes pressions internes et externes, avait commencé à considérer la possibilité de réformer son système de domination basé sur l’Apartheid. Israël va-t-il adopter la même démarche, interroge Ali Abunimah ?

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Des Palestiniens accrochent leur drapeau sur une clôture entourant une colonie israélienne en Cisjordanie occupée - Photo : Luay Sababa/MaanImages

Ces dernières années les Palestiniens ont recommencé à soutenir la solution à un État leur garantissant, ainsi qu’aux juifs israéliens, des droits égaux dans toute la Palestine historique.

On pourrait escompter que parmi les juifs israéliens, la solution à un seul État émanerait de l’extrême gauche et, en fait, c’est là que l’on trouve les partisans les plus éminents de cette idée, mais en petit nombre.

Les propositions récentes sur l’octroi de la citoyenneté israélienne aux Palestiniens de Cisjordanie, notamment le droit de voter lors des élections pour la Knesset, sont provenues d’une origine surprenante : de partisans de droite tels que le speaker de la Knesset, Reuven Rivlin, et de l’ancien ministre de la défense, Moshé Arens, l’un et l’autre membres du Likoud, parti du premier ministre, Benjamin Netanyahou.

Chose plus surprenante encore, l’idée a été poussée par d’importants militants du mouvement des colons israéliens de Cisjordanie qui ont fait l’objet d’un article incontournable rédigé par Noam Sheizaf dans le journal Haaretz.

Des avocats peu plausibles

Ce qu’ils envisagent est encore très éloigné de ce que tout partisan palestinien d’un État unique jugerait équitable. Les propositions israéliennes insistent sur le maintien du caractère de l’État - du moins symboliquement « un État juif » - excluant la Bande de Gaza - et elles ne traitent pas des droits des réfugiés palestiniens.

A première vue, les colons installés sur des terres palestiniennes, souvent expropriées par la violence, n’ont guère le profil de partisans des droits humains et politiques pour les Palestiniens.

Bien que les propositions varient dans leurs détails, et qu’elles soient dans certains cas inacceptables pour les Palestiniens, ce qui est plus révélateur est que le débat se déroule ouvertement et dans les cercles où on s’y attendrait le moins.

Les Likudniks et les colons qui préconisent une solution à un État octroyant la citoyenneté aux Palestiniens se rendent compte qu’Israël a perdu l’argument d’une souveraineté juive maintenue à tout jamais et à n’importe quel prix. Un statu quo dans lequel des millions de Palestiniens vivent sans aucun droit, exposés à un contrôle israélien de plus en plus violent, est intenable même pour eux.

En même temps, la division de la Palestine historique - ce qu’ils appellent Eretz Yisrael - en deux États est inacceptable et s’est révélée irréalisable - à tout le moins à cause du mouvement des colons lui-même.

Certains éléments de la droite israélienne reconnaissent ce que le géographe israélien Meron Benvenisti dit depuis des années : la Palestine historique est déjà un « État binational de facto » indivisible, si ce n’est à un coût que ni les Israéliens ni les Palestiniens ne sont disposés à payer.

" Le cheval et le cavalier »

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La manière dont la droite israélienne envisage la solution à un État est loin de répondre aux aspirations palestiniennes[EPA]

Il n’y a pas d’égalité dans les relations entre Palestiniens et Israéliens ; « elles s’apparentent à celles entre le cheval et son cavalier » dit un colon de manière imagée dans le journal Haaretz.

Pour les colons, la division déracinerait au moins des dizaines de milliers d’entre eux sur les 500 000 actuellement installés en Cisjordanie sans même résoudre la question nationale.

Les colons restant en Cisjordanie (soit la vaste majorité d’entre eux d’après toutes les actuelles propositions à deux États) relèveraient-ils de la souveraineté palestinienne ou Israël continuerait-il à exercer son contrôle sur un réseau de colonies sillonnant l’éventuel État palestinien ?

Comment un État palestinien véritablement indépendant pourrait-il exister dans de telles conditions ?

Un danger plus grand menace : la Cisjordanie se transformerait en une douzaine de Bandes de Gaza coinçant une importante population civile israélienne entre des ghettos palestiniens surpeuplés, misérables, enfermés dans des murs.

L’État palestinien morcelé n’aurait que le droit d’administrer sa propre pauvreté et subirait régulièrement des flambées de massacres.

Même un retrait complet des Israéliens de la Cisjordanie - éventualité qui ne figure pas, même de loin, à l’ordre du jour du processus de paix - laisserait 1,5 million de Palestiniens dans les frontières israéliennes. Cette population est déjà confrontée à une discrimination croissante, à des provocations, et est soumise à des critères de loyauté.

Dans un Israël haineux, ultra-nationaliste, rétréci du fait de l’abandon des colonies cisjordaniennes, ces citoyens non juifs pourraient souffrir encore davantage et être victimes d’un nettoyage ethnique déclaré.

Comme aucun progrès n’a été réalisé vers la solution à deux États malgré les décennies d’efforts, la seule solution de rechange sioniste serait d’expulser carrément les Palestiniens - programme défendu depuis longtemps par le parti Yisrael Beitenu du ministre des affaires étrangères, Avigdor Lieberman, programme qui reçoit de plus en plus de soutien.

Israël est arrivé au stade où il doit se regarder dans le miroir, et même des Likudniks purs et durs comme Arens n’aiment pas ce qu’ils voient. Le programme d’Yisrael Beitenu n’a pas de sens à dit Arens à Haaretz ; il n’est simplement pas faisable.

Si Israël se sent un paria maintenant, que se passerait-il s’il procédait à une autre expulsion en masse des Palestiniens ?

Les leçons de l’Afrique du Sud

Devant ces réalités, « la pire solution... est probablement la bonne : un État binational, une annexion complète, la pleine citoyenneté » selon Uri Elitzur, colon militant, ancien adjoint de Netanyahou,.

Ce réveil peut être comparé à celui des Sud-Africains blancs pendant les années 80. Les efforts du gouvernement de la minorité blanche, qui avait essayé de « résoudre » le problème de l’absence de droits pour les noirs en créant dès foyers prétendument indépendants - les bantoustans - avaient manifestement échoué.

La pression augmentait du fait de la résistance intérieure et de la campagne internationale de boycott, de désinvestissement et de sanctions. Vers 1985, les blancs avaient compris en grande majorité que le régime d’apartheid était intenable et ils ont commencé à envisager des propositions de « réforme » bien éloignées du suffrage universel - une personne, une voix dans une Afrique du sud non raciale - demandé par le Congrès national africain.

Les réformes ont commencé en 1984 avec l’introduction d’un parlement à trois chambres - respectivement pour les blancs, les gens de couleur et les Indiens (aucune pour les noirs) - sur lesquelles les blancs maintenaient le contrôle.

Pratiquement jusqu’à la fin du système d’apartheid, les sondages ont montré que la vaste majorité des blancs rejetaient le suffrage universel, mais qu’ils étaient disposés à partager dans une certaine mesure le pouvoir avec la majorité noire à condition que les blancs gardent un droit de veto sur les décisions clés.

Comme je l’ai dit antérieurement, ce qui est important est que personne ne pouvait prévoir l’issue des négociations qui ont finalement abouti à une Afrique du Sud pleinement démocratique en 1994, malgré ce que les élites et le public blancs s’étaient dit disposés à accepter.

Une fois que les juifs israéliens reconnaîtront que les Palestiniens doivent disposer de droits égaux, ils ne seront pas à même d’imposer unilatéralement un système maintenant des privilèges abusifs.

Un État commun répondrait aux intérêts collectifs légitimes des juifs israéliens, mais cela devrait également valoir pour tout le monde.

Dévaluation du crédit moral

L’aspect même de la solution à un État proposée par la droite donne à penser qu’Israël se sent sous pression et subit une perte de pouvoir relative.

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Ce changement de position pourrait provoquer une confrontation inattendue entre la droite et la gauche israéliennes [EPA]

Si les partisans de cette solution pensaient qu’Israël pouvait « gagner » à long terme, ils ne jugeraient pas nécessaire de trouver le moyen de prendre en compte les droits des Palestiniens.

Mais les juifs israéliens voient leur position morale et leur légitimité se dégrader fortement dans le monde entier tandis que sur le plan démographique les Palestiniens sont sur le point de devenir majoritaires une fois de plus dans la Palestine historique.

Bien entendu, les juifs israéliens resteront beaucoup plus puissants que les Palestiniens pendant un certain temps, même si cette puissance ira s’érodant.

Le principal avantage d’Israël est son quasi-monopole sur les moyens de violence garantis par les USA.

Toutefois, la légitimité et la stabilité ne peuvent pas être acquis par la force brutale - leçon que certains Israéliens commencent à comprendre à mesure que le pays est de plus en plus isolé après ses attaques contre Gaza et contre la Flottille de la liberté.

La légitimité ne proviendra que d’un règlement politique juste et équitable.

Les partisans de droite de la solution à un seul État reconnaissent que le meilleur moment pour négocier une transition garantissant les intérêts collectifs légitimes des juifs israéliens coïncide avec celui où leur position est encore relativement forte.

Transformation des rapports

Les propositions de la droite israélienne relatives à un État unique ne devraient pas surprendre compte tenu de ce qui s’est passé dans des situations comparables.

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Certains activistes éminents du mouvement des colons de Cisjordanie proposent d’octroyer la citoyenneté israélienne aux Palestiniens cisjordaniens.[GALLO/GETTY]

En Afrique du Sud, ce ne furent pas les critiques des libéraux blancs traditionnels de l’apartheid qui ont supervisé le démantèlement du système, mais bien le Parti national qui l’avait initialement édifié. En Irlande du Nord, ce ne furent pas les unionistes ni les nationalistes « modérés », comme David Trimble et John Hume, qui ont finalement partagé le pouvoir en vertu de l’accord de Belfast de 1998, mais bien plutôt les « rejectionnistes » du parti unioniste démocratique de Ian Paisley et les nationalistes du Sinn Fein dont les dirigeants avaient des rapports étroits avec l’IRA.

L’expérience de l’Afrique du Sud et de l’Irlande du Nord montre que la tâche est très difficile, incertaine et de longue haleine pour transformer les rapports entre le colon et l’autochtone, entre le maître et l’esclave ou entre le « cheval et son cavalier » et arriver à des rapports entre citoyens égaux.

Le chemin est semé d’embûches et de détours et il n’y a pas de garantie de succès. Il faut plus qu’une nouvelle constitution ; il est essentiel de redistribuer l’économie, de mettre en ?uvre une justice de restitution et de réparation, initiatives qui se heurteront à une résistance importante.

Une telle transformation n’est pas, contrairement à ce que disent les critiques de la solution à un État « impossible ». En fait, l’ espoir trouve maintenant à se loger entre ce qui est « très difficile » et ce qui est considéré comme « impossible ».

Les propositions de la droite israélienne, tout insuffisantes et en fait insultantes qu’elle puissent paraître à beaucoup d’égards, renforcent un peu cet espoir. Elles suggèrent que même ceux que les Palestiniens considèrent évidemment comme leurs ennemis les plus implacables sont capables de regarder dans l’abîme et de décider qu’il y a une manière radicalement différente de procéder.

Nous devrions suivre l’évolution de ce débat et l’encourager prudemment. En dernière analyse ce qui compte n’est pas le nom donné à la solution, mais l’octroi des droits fondamentaux et inaliénables à tous les Palestiniens.

* Ali Abunimah est l’auteur de One Country, A Bold Proposal to End the Israeli-Palestinian Impasse et le cofondateur de The Electronic Intifada.
Les vues exprimées dans cet article appartiennent à l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Al Jazeera.

Du même auteur :

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- Le jour où le monde s’est identifié à Gaza - 5 juin 2010
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- Israël ressemble à un Etat raté - 31 décembre 2009

20 juillet 2010 - Al Jazeera - Cet article peut être consulté ici :
http://english.aljazeera.net/focus/...
Traduction Anne-Marie Goossens


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