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« L’Apartheid israélien dans la rue »

vendredi 16 juillet 2010 - 07h:27

Mya Guarnieri - Al Jazeera

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Le département des sports de Jérusalem offre l’exemple le plus clair du système d’Apartheid qui prévaut : seulement 5% des fonds sont attribués aux quartiers palestiniens, les 99,5 autres pour cent vont à des quartiers juifs, écrit Mya Guarnieri.

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Les contrastes entre quartiers juifs et arabes sont les plus criants à Jérusalem - Photo : GETTY

Mahmour Alami, qui est chauffeur de taxi à Jérusalem connaît la ville comme sa poche. Il connaît tous les quartiers et toutes les rues. Et il connaît les feux de circulation.

Il y en a un qui le perturbe, non pas professionnellement mais personnellement. C’est celui qui se trouve entre Beit Hanina, un quartier palestinien et Pisgaat Ze’ev une colonie juive.

"Il reste vert [pour les colons] pendant cinq minutes. Mais pour ceux qui doivent rentrer et sortir de Beit Hanina il est trop court. Il n’y a que 2 ou 3 voitures qui peuvent passer à chaque fois, cela cause pleins d’embouteillages".

Al Jazeera a constaté que les feux de circulation qui mènent aux colonies et aux quartiers juifs restent verts environ une minute et demi. Dans les secteurs palestiniens c’est 20 secondes. Il y a un feu de Jérusalem Est dans la partie palestinienne de Jérusalem, qui reste vert moins de 10 secondes.

"Les Palestiniens sont coincés" dit Amir Daud, un autre chauffeur de taxi. "C’est un gros problème pour les gens".

La discrimination budgétaire

Les embouteillages ne sont qu’un des nombreux problèmes dont souffrent les infrastructures et les services dans les secteurs palestiniens de Jérusalem. Les routes sont en mauvais état. Elles sont étroites et pleines des bosses, de trous et de fissures. Il n’y a pratiquement pas de signaux routiers ni de trottoirs.

Les poubelles sont généralement municipales et il n’y en a pas assez pour le quartier. Les piétons, qui sont obligés de marcher sur le bas côté de la route marchent dans les ordures.

Les quartiers juifs en revanche sont propres et nets. Des trottoirs et des feux de circulation permettent aux piétons de circuler en toute sécurité, la signalisation est impeccable, il y a même des signaux lumineux. La plupart des bâtiments ont des containers à ordure et il n’y a pas d’ordures dans les rues.

Dans une avenue d’un secteur juif, la bande de gazon centrale est décorée d’un ensemble de sculptures en forme d’arc en ciel : ce sont des enfants en métal qui jouent au foot ou qui font de la bicyclette.

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Les routes sont mal entretenues dans de nombreuses zones palestiniennes - Photo : Getty

Quand Al Jazeera a présenté à la municipalité de Jérusalem une liste détaillée des différences entre les quartiers juifs et arabes, le porte parole a nié les faits.

Mais sous couvert de l’anonymat un ancien employé de la municipalité de Jérusalem a confirmé qu’il existe une discrimination au niveau budgétaire. Le département des sports offre l’exemple le plus clair : seulement 5% des fonds sont attribués aux quartiers palestiniens. Les 99,5 autres pour cent vont à des quartiers juifs.

La qualité de la vie

Nisreen Alyan, avocat à l’association pour des Droits Civils en Israël (ACRI) a remis dernièrement une pétition à la municipalité qui proteste contre le manque de ramassage des ordures dans les quartier palestinien de Tsur Baher à Jérusalem Est. Bien que sa population s’élève à 20 000 personnes il n’y a que 12 rues qui bénéficient de ce service.

D’après Alyan cette situation compromet à la fois la santé et la qualité de la vie des habitants. les monceaux d’ordures attirent les chiens errants dont certains ont la rage. Des habitants ont été attaqués par ces animaux, et maintenant les enfants ont peur de sortir.

"Il n’y a pas de jardins publics pour eux, il n’y a rien pour eux" dit Alyan " alors les rues sont le seul endroit où se retrouvent les voitures, les enfants, les ordures, les chiens, c’est à dire tout".

La pétition de l’ACRI demande que la municipalité remplisse ses obligations légales "rien de plus, rien de moins" dit Alyan. "[Cela] signifie qu’elle doit satisfaire aux normes de salubrité auxquelles [les habitants] ont droit".

Ce n’est pas la première fois que Alyan a informé la municipalité des problèmes de Tsur Baher. Mais la ville prétend qu’elle ne peut pas desservir tout le quartier parce que les bennes à ordure ne peuvent pas manoeuvrer dans les ruelles étroites. Alyan leur a fait remarquer que cela ne devrait pas être un obstacle. la municipalité ayant solutionné le problème très habilement dans d’autres secteurs de Jérusalem.

Le problème de Tsur Baher est qu’il n’y a pas assez de routes, nous a expliqué un résident.

Contrairement à la plupart des quartiers palestiniens où la construction fait l’objet de restrictions, Tsur Baher est un des rares quartiers où l’on a le droit de construire. La plus grosse partie de sa terre a été expropriée pour construire la colonie voisine d’Har Homa ; une partie de Tsur Baher se trouve de l’autre côté du Mur de séparation israélien et il n’y a pas de route pour passer d’un côté à l’autre.

Le manque de routes signifie aussi que les secours ne peuvent atteindre tous les endroits du quartiers. Des enfants sont morts dans des incendies. Et comme il y a un ordre de la police interdisant aux ambulances de se rendre dans les quartiers palestiniens sans escorte de la police des habitants sont morts faute de soins médicaux.

"Le problème est que les policiers n’arrivent pas à temps, dit un résident. "L’ambulance doit s’arrêter et attendre une demi-heure à l’entrée du quartier... Des gens sont morts à cause de ça".

"L’ACRI est en train de rédiger une pétition sur ce sujet-là en ce moment" a ajouté Alyan.

Le règlement des impôts

Quant aux feux de circulation, Alyan dit qu’il n’y en a pas à Tsur Baher.

Pour protéger les enfants les habitants du quartier se sont cotisés pour construire des dos d’ânes sur la route pour forcer les automobilistes à réduire la vitesse.

Dans d’autres quartiers les Palestiniens ont rassemblé des fonds pour ramasser les ordures et nettoyer les rues.

Et tout cela après avoir payé leurs impôts.

Le fait que 90 pour cent des Palestiniens israéliens vivent dans des villes arabes, séparés de la population juive, sert d’excuse à beaucoup de Juifs israéliens pour balayer ces différences au prétexte qu’elles sont la conséquence de la pauvreté des municipalités arabes.

Ils sont pauvres, leurs villes sont pauvres. Les Arabes ne paient pas beaucoup d’impôts ou ne payent pas assez d’impôts ou ne payent pas d’impôts du tout et donc leurs villages ne peuvent se payer les services que eux les Juifs peuvent se payer.

Mais ce raisonnement ne tient pas debout à Jérusalem, une ville où les quartiers juifs et arables se mélangent. Entre Nof Tzion (la vue de Sion) et le quartier palestinien de Jabel Mukhaber en plein coeur duquel se trouve cette colonie juive, les différences sautent aux yeux.

"Cela faisait des années que [Jabel Mukhaber] n’avait plus de rue principale" relate Alyan. "Lorsqu’elle a construit la colonie de Nof Tsion [la municipalité] a construit une superbe route avec des trottoirs et des lampadaires". Mais cette route s’arrête brutalement à la sortie de Nof Tsion et les Palestiniens eux, après quelques bosses, roulent un moment sur de la caillasse avant de se retrouver sur une piste de terre.

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Le manque d’infrastructures fait que les Palestiniens se sentent marginalisés - Photo : EPA

Il y a une autre raison pour laquelle l’argument de la pauvreté des municipalités arabes ne tient la route. C’est que payer des impôts revêt une importance capitale pour tous les Palestiniens de Jérusalem qui n’ont pas la nationalité israélienne et qui ont seulement une carte de résident.

"Payer des impôts est la seule manière de prouver que Jérusalem est le centre de votre vie, et si on ne peut pas le prouver, on perd son statut de résident" explique Alyan. Cela signifie qu’on devient un réfugié qui n’a plus de pays.

"La première chose que [les Palestiniens résidents à Jérusalem] font, avant même d’acheter de la nourriture à leurs enfants, c’est de payer leurs impôts" affirme Alyan.

Tsur Baher, comme son voisin Umm Tuba paie environ 7 millions de dollars de taxes annuelles à une municipalité qu’ils ne peuvent pas élire. Les habitants de Jérusalem Est ont dit à Alyan que tout ce qu’ils demandent est que le gouvernement investisse dans le quartier au moins ce qu’ils ont versé en impôts.

"La guerre psychologique"

Youssef Jabareen, le directeur de Dirasat, le Centre Arabe de Loi et de Politique, explique que les services publiques reçoivent aussi un financement de l’état. C’est un autre domaine où la discrimination règne.

Jabareen évoque le programme appelé "Priorité Nationale" qui a permis d’octroyer des subventions pour le développement économique à des agglomérations choisies par le gouvernement. Quand le programme a vu le jour en 1998, 500 villes juives ont reçu le statut de Priorité Nationale. Mais seulement 4 villages arabes ont été choisis alors que les Palestiniens représentent 20 pour cent de la population d’Israël et 50 pour cent des pauvres du pays.

"C’est un exemple classique de l’affectation discriminative des ressources gouvernementales" selon Jabareen qui ajoute qu’il y a aussi de graves inégalités dans le système éducatif financé par l’état.

Tout cela, de l’état désastreux des infrastructures au manque de services publiques, ajoute au sentiment qu’ont les Palestiniens d’être rejetés et déconnectés, selon Jabareen.

"C’est un sentiment de frustration et de non appartenance... le sentiment que l’état et le gouvernement vous rejettent et que vous n’êtes pas considéré comme un égal".

Peut-on dire que les disparités entre les quartiers de Jérusalem et les écarts de financement qu’on constate dans tout le pays s’apparentent à de l’apartheid ?

"Il y a des signes caractéristiques d’apartheid dans certains endroits et cela devrait susciter une grande inquiétude pour l’avenir" affirme Jabareen.

Un jeune Juif israélien, qui vient de finir son service militaire, le dit clairement : "C’est une sorte de guerre psychologique. Le but est de faire partir [les Palestiniens]".

13 juillet 2010 - Al Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.aljazeera.net/focus/...
Traduction de l’anglais : Dominique Muselet


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