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Iran : Ali Akbar Velayati presse les Européens de « tempérer les Etats-Unis »

vendredi 23 février 2007 - 06h:57

Le Monde

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Ministre des affaires étrangères pendant dix-sept ans, Ali Akbar Velayati a été appelé au côté d’Ali Khamenei, le Guide suprême de la révolution, la plus haute autorité de l’Etat iranien, il y a dix ans, pour être son conseiller diplomatique.

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Ali Akbar Velayati (AFP/Natalia Kolesnokova)

Dans un entretien accordé au Monde, Ali Akbar Velayati affirme la volonté de l’Iran "d’une négociation ouverte sans exclusion" sur le nucléaire tout en suggérant que l’opinion internationale ne doit pas s’arrêter aux slogans agressifs de certains dirigeants : la seule parole qui compte, c’est celle du Guide. Enfin, déplorant que les Européens, notamment la France, "ne jouent aucun rôle au Moyen-Orient", M. Velayati semble miser sur eux pour contrecarrer "l’unilatéralisme" américain.

Quel était le message du négociateur iranien, Ali Larijani, lors de sa rencontre, mardi 20 février, avec Mohamed ElBaradei, le directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) ?

Le message est que nous voulons poursuivre les négociations. Il n’y a aucun contentieux qui ne puisse être résolu par la discussion, mais on ne peut dicter de solution à l’avance.

Ce dossier nucléaire est encadré par deux lignes rouges à ne pas franchir : la première, c’est le droit fondamental de l’Iran à la technologie nucléaire civile dans le cadre du traité de non-prolifération (TNP) ; l’autre, c’est que l’Iran s’engage à donner des garanties que son programme n’aura aucune dérive militaire. Entre les deux, tout est envisageable à la table des négociations.

Même une suspension, provisoire, de l’enrichissement d’uranium ?

M. Larijani est ouvert à toutes les propositions, sans exclusion. Nous avons déjà essayé de suspendre l’enrichissement. On l’a fait pendant deux ans et demi, et ça n’a rien réglé.

Il y a aussi d’autres idées à prendre en compte, comme celle de créer un consortium international d’enrichissement d’uranium sur le sol iranien géré par les Européens et avec toutes les garanties de contrôle de l’AIEA. La France est tout à fait à même de former ce consortium. Après tout, nous avons un passé de coopération et de confiance avec la France qui voulait construire un réacteur nucléaire à usage civil à Darakhoin près d’Ahwaz, dans les années 1970. Nous-mêmes avons été et sommes encore actionnaires d’Eurodif. Tout cela rend plus facile une reprise des discussions sur ce projet avec la France, ce qui répondrait aux inquiétudes de certains pays. Le moment est propice.

L’Iran s’exprime par plusieurs voix sur le dossier nucléaire et cela "brouille" le message, surtout lorsque certains hauts dirigeants lancent des slogans contre l’Occident ou Israël, dont ils prônent la "disparition". Qui décide sur le nucléaire en Iran ?

Qu’il y ait plusieurs tonalités dans le discours de nos dirigeants montre, disons, que nous sommes un pays ouvert à la pluralité, mais il ne faut pas s’arrêter à cela. Sachez que c’est M. Larijani qui est le négociateur en charge du dossier nucléaire et surtout, que le seul qui ait la haute main sur les décisions dans ce domaine, comme dans toutes les grandes décisions stratégiques, en accord avec la Constitution, c’est le Guide suprême, M. Khamenei. Quant à notre position officielle sur la Palestine, au-delà des "slogans", c’est à chaque Palestinien, juif, musulman, chrétien, de se prononcer sur son avenir par voie démocratique. Rien d’autre.

Nous sommes arrivés à la date butoir fixée par le Conseil de sécurité de l’ONU pour que l’Iran mette un terme à ses activités d’enrichissement. On parle d’une nouvelle résolution, peut-être de nouvelles sanctions. Si cela se produit, pour vous ce sera la fin des négociations ?

Je ne pense pas qu’une nouvelle résolution contribuera à régler le problème. Nous nous mettrons au diapason du degré de réalisme dont feront preuve les pays qui décident au sein du Conseil de sécurité. C’est presque une équation mathématique : si l’extrémisme prévaut là-bas, il prévaudra ici. Mais je constate que dans le groupe des 5 + 1, il y a quatre pays qui ont de bonnes relations avec nous : l’Allemagne, la Russie, la Chine et la France. Ne vont-ils rien faire pour tempérer les Etats-Unis ?

Ne faudrait-il pas pour cela un geste de l’Iran ?

Oui, je suis d’accord. On est prêts à faire tout ce qui peut garantir nos droits et la poursuite des discussions...

Un dialogue direct avec les Etats-Unis est impensable ?

On a eu plusieurs fois des discussions avec eux, notamment sur l’Afghanistan, dans le cadre de l’ONU. Mais s’ils veulent juste se comporter en gérants du monde, quel intérêt ?

Croyez-vous à une attaque militaire américaine ou israélienne sur l’Iran ?

Il y a eu des signes avant-coureurs, les Américains ont déjà essayé en Irak, et Israël au Liban : un échec cuisant dans les deux cas ! Les Israéliens se disaient invincibles, après 33 jours de guerre face au peuple libanais, ils ont échoué. Quant aux Américains, c’est leur situation intérieure qui leur interdit de s’aventurer sur un terrain aussi glissant : les élections gagnées par les démocrates d’abord, puis le récent vote au Congrès rejetant la politique belliqueuse de Bush.

Vous savez, l’Iran c’est quatre fois la superficie de l’Irak et trois fois sa population, avec un degré bien supérieur de mobilisation populaire et une armée préparée. Non, je ne les vois pas s’y risquer.

Comment analysez-vous la politique française au Liban ?

La France est en train de gaspiller l’investissement politique et culturel qu’elle avait dans ce pays. Elle s’est jetée dans le puits creusé par les Américains ! Si Paris ne veut pas perdre son crédit, il doit s’abstenir de prendre parti en faveur d’une petite fraction de la population. De plus, il a délaissé d’anciens alliés comme Michel Aoun chef du Courant patriotique libre, chrétien).

Jacques Chirac avait envisagé d’envoyer un émissaire à Téhéran pour discuter du Liban. Qu’en pensez-vous ?

C’est une très bonne idée. Les intérêts communs de la France et de l’Iran font que ces deux pays devraient se donner la main pour défendre le Liban. Des consultations entre nous ne peuvent être que bénéfiques, au-delà du Liban, pour tout le Moyen-Orient et le Golfe. A l’heure actuelle, les Etats-Unis font cavalier seul au Moyen-Orient et cet "unilatéralisme", dénoncé aussi par M. Poutine, est mauvais. Mais force est de constater que l’Europe est absente, elle ne joue plus aucun rôle au Moyen-Orient, je le déplore. Une présence politique européenne dont la France serait le moteur deviendrait un bon moyen de rééquilibrer la situation au Moyen-Orient.

M. Chirac refuse de parler à la Syrie. Quelle est votre opinion ?

Sincèrement, la France a pris une position extrême sur la Syrie qui ne joue pas en sa faveur. Ce sont les pays tiers qui profitent de cette hostilité. Mais l’Iran pourrait jouer un rôle de médiateur entre Damas et Paris.

Les guerres d’Afghanistan, d’Irak et du Liban ont renforcé votre rôle central dans la région. L’Iran prône la stabilité mais dans le même temps aide le Hezbollah libanais et Moqtada Sadr en Irak. Les Américains vous accusent d’armer les insurgés. Pourquoi ne pas faire un geste pour calmer le jeu, en cessant de financer le Hezbollah par exemple ?

Certainement pas ! Ce n’est pas en abandonnant les chiites et le Hezbollah, seuls face à Israël, que nous serons utiles. Pour le reste, l’Iran a besoin de stabilité à ses frontières. Sans notre aide, croyez-vous que les forces de la coalition seraient parvenues à l’époque à mettre en échec les talibans ? En Irak, nous soutenons le gouvernement Maliki et nous travaillons pour assurer la paix. Il n’y a pas d’insurgés mais des résistants face à l’armée d’occupation.


Propos recueillis par Marie-Claude Decamps

Envoyée spéciale à Téhéran - Le Monde, le 21 février 2007

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