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Italie : manifestation contre l’extension de la base américaine de Vicenza

lundi 19 février 2007 - 07h:24

il manifesto

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Le dogme atlantiste qui pèse sur l’Europe

Danilo Zolo

La prétention des Etats-Unis de prendre la ville de Vincenza dans la morsure d’une double base militaire soulève en des termes dramatiques un sujet de stratégie politique globale trop longtemps négligé. Ce n’est pas seulement la question de la « souveraineté limitée » de l’Etat italien et de la violation de sa Constitution qui sont en cause : Ederle, comme Aviano, a déjà été utilisée, et le sera de plus en plus, pour soutenir les guerres d’agression des armées étasuniennes.

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Dessin d’Alex Falco - Symbiose UE/USA ?

Il y a un sujet plus général sur lequel il faut réfléchir : c’est le rapport entre l’unification de l’Europe et sa dépendance politique et militaire persistante à l’égard des Etats-Unis.

L’empire soviétique depuis longtemps tombé et le pacte de Varsovie dissous, l’Europe continue à se blottir sous le parapluie nucléaire et satellitaire des Etats-Unis, comme si rien n’avait changé.

Dogmatiquement fidèle à l’Alliance Atlantique, autrefois barrière défensive à l’égard de la menace nucléaire soviétique, l’Europe s’en tient disciplinairement aujourd’hui à la stratégie impériale du new world order et de la global security, lancée par les Etats-Unis au début des années 90, le siècle dernier.

L’Europe unie a aujourd’hui une population qui est plus du double de celle des Etats-Unis et quatre fois celle du Japon. Elle est la première puissance commerciale au monde et son Produit intérieur brut est égal à un quart du P.I.B mondial. Mais sur le plan politique et militaire, l’Europe est simplement la frontière qui sépare l’hémisphère occidental de l’orient asiatique et du monde islamique. L’Europe est un nain politique et militaire, incapable d’exercer un rôle autonome dans un contexte international de plus en plus instable et turbulent : un monde où des grandes puissances régionales comme la Chine, l’Inde et la Russie sont en train d’élaborer de façon conjointe un projet de désaliénation de leur position subalterne vis-à-vis de l’empire atlantique.

Nous avons deux indicateurs empiriques de l’absence d’autonomie de l’Europe : la transformation fonctionnelle de l’Otan et la pression croissante que les Etats-Unis ont exercé ces dernières années, et continuent d’exercer, à l’égard de l’aire européenne et méditerranéenne. L’Alliance atlantique, d’appareil défensif, s’est transformée en instrument militaire offensif. Le nouvel atlantisme se fonde sur des engagements stratégiques « mondiaux » : il est l’expression d’une stratégie de projection, d’expansion, dynamique et flexible, en mesure de permettre des interventions militaires bien au-delà des frontières de la sphère européenne.

Le new strategic concept de l’Otan définit en des termes nouveaux la notion même de « sécurité », et cette mutation conceptuelle a opéré une accélération rapide immédiatement après l’attentat contre les Tours Jumelles, le 11 septembre 2001. La sécurité coïncide avec la « guerre au terrorisme », qui s’exprime surtout en comportements hostiles contre une série de pays musulmans définis parles Etats-Unis comme « états canailles ». Mais l’Otan n’entend pas se limiter à la seule dimension militaire : elle se développe en englobant la politique et l’économie de façon, aussi, à mieux contrôler ainsi les pays arabes de la Méditerranée et du Moyen-Orient.

L’atlantisme contemporain est fils de cette logique impériale : l’Otan est utilisée par les Etats-Unis essentiellement pour trois finalités stratégiques : avant tout encercler la Russie, en enrôlant dans ses rangs un nombre croissant de pays de l’Est européen à raccrocher au rempart atlantique turc. En particulier, la guerre de l’Otan de mars 99 contre la République Fédérale Yougoslave avait pour objectif la stabilisation de la zone euro méditerranéenne et moyen-orientale sous l’hégémonie des Etats-Unis.

Ceux-ci ont réussi à venir à bout de l’obstacle, représenté par la Serbie et son président Slobodan Milosevic, qui s’opposaient au projet de séparation de l’Europe du centre ouest du monde slave orthodoxe, à travers le contrôle par l’Otan de toute la zone qui va de la Baltique à l’Adriatique, à la Méditerranée centrale et orientale.

En second lieu, l’Otan a été utilisée pour décourager les timides tentatives européennes de se doter d’une structure militaire autonome. Les éventuels appareils militaires européens - ont décrété les Etats-Unis après la guerre du Kosovo - seront « séparables » de l’Otan, mais ne pourront jamais en être « séparés » de façon stable. Enfin, l’Otan a permis aux Etats-Unis de garder sous son propre contrôle politique et militaire toute la zone méditerranéenne en excluant l’Europe de ce processus de contrôle.

Que l’on pense aux bases militaires étasuniennes opérationnelles dans des pays méditerranéens comme le Maroc, l’Albanie, la Grèce et la Turquie. Et l’on pensera aussi à l’expansion de la présence militaire des Etats-Unis en Italie - il y a au moins 130 installations militaires étasuniennes sur notre territoire -, avec ou sans couverture Otan, l’Italie étant le pays méditerranéen par excellence à utiliser comme rampe de lancement pour les forces de « déploiement rapide ».

Et l’on n’oubliera pas que la conséquence la plus concrète de la « guerre humanitaire » contre la Serbie a été, au-delà des massacres et dévastations, la construction au Kosovo, aux environs de Urosevac, de Camp Bondsteel, soit l’une des plus grandes bases militaires que les Etats-Unis aient construit après la guerre du Vietnam. Elle peut accueillir cinq mille soldats et a été réalisée en un temps record sur un haut plateau artificiel, obtenu en rasant trois collines entières, autrefois cultivées en champs de blé.

Danilo Zolo est professeur de droit international à Florence, il a été professeur associé d’université anglaises et étasuniennes, et auteur de nombreux ouvrages de droit international ; il est le coordinateur du site Jura Gentium :
(http://www.tsd.unifi.it/juragentium...)

Editorial de vendredi 16 février de Liberazione
http://www.liberazione.it/giornale/...
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

La base Italie, de Vicence à Sigonella

Manlio Dinucci

Le doublement projeté de la base étasunienne de Vicenza entre dans un cadre qui va bien au-delà de l’environnement local : le Pentagone est en fait en train de redéployer troupes et bases depuis le centre et le nord de l’Europe dans sa région méridionale et orientale, pour déployer plus rapidement et efficacement ses propres forces soit au Moyen-Orient et en Afrique, soit en Asie centrale. Dans cette réorientation stratégique, les commandements et les bases étasuniennes en Italie jouent un rôle clé. Cela implique l’augmentation de tout le système militaire étasunien dans notre pays.

La 173ème brigade aéroportée, basée à Vicenza, a été transformée en « unité modulaire » : l’Escadre de combat, formée actuellement de six bataillons, à quoi s’en ajouteront d’autres dans l’avenir.

Elle est en fait « la seule unité aéroportée et force de riposte rapide » du Commandement européen des Etats-Unis, dont la mission est de « promouvoir les intérêts étasuniens en Europe, Afrique et Moyen-Orient », dans une zone de 55 millions de km2, comprenant 90 pays.

L’Escadre de combat, basée à Vicenza, est une des plus grandes unités effectuant la rotation des troupes en Irak et Afghanistan. En même temps, en envoyant aussi des troupes dans les bases étasuniennes en Roumanie et Bulgarie, elle participe aux préparatifs de guerre contre l’Iran.

Le commandement Setaf dont dépend l’Escadre de combat, dont le quartier général est aussi à Vicenza, a été transformé de commandement d’appui logistique en commandement d’opération (de théatre, précisément, en italien, NDT), avec la tâche de recevoir et préparer au combat les forces qui arrivent de bases extérieures pour être projetées depuis le territoire italien dans les divers sites de guerre.

Les armements dont ils ont besoin sont déjà "pré positionnés » en Italie. A Aviano (province du Frioul-Vénétie-Julie, NDT), se trouvent ceux des forces aériennes, dont au moins 50 bombes nucléaires tactiques B-61 ayant une puissance équivalente, chacune, à 13 bombes d’Hiroshima. Elles sont gardées dans des hangars spéciaux avec les avions de chasse F-15 et F-16 prêts à une attaque nucléaire. A Ghedi (province de Brescia) il y en a au moins 40, dont l’utilisation est consentie aussi (bien sûr sous commandement étasunien) à l’aéronautique italienne, violant ainsi le Traité de non prolifération nucléaire.

A Camp Darby, entre Pise et Livourne, se trouve une énorme quantité d’armements pour les forces terrestres : c’est l’unique site de l’armée étasunienne où le matériel prépositionné (tanks M1, Bradleys, Humvees, etc.) est relié à des munitions, comprises celles à l’uranium appauvri et au phosphore utilisées en Irak. A Sigonella (Catane, Sicile) près de la base aéronavale étasunienne, se trouve le Fleet and industrial supply center (Fisc), un des deux uniques centres de réapprovisionnement de la marine hors du territoire étasunien. Il n’est pas exclu qu’il y ait aussi des armes nucléaires à Camp Darby et à Sigonella.

A Naples se trouve le quartier général des forces navales Usa en Europe (qui était avant à Londres), commandé par un amiral qui est en même temps le chef du Joint Force Command de l’Otan, situé lui aussi à Naples. C’est de lui que dépend la Sixième flotte délocalisée à Gaeta, à laquelle vient juste de se joindre un groupe naval d’attaque composé de 7 navires de guerre, avec à leur bord 6 mille marines, guidé par le navire d’assaut amphibie Uss Bataan. Le 30 janvier, le groupe naval d’attaque a traversé le canal de Suez pour effectuer des « opérations de sécurité maritime » dans le Golfe et dans l’Océan Indien, en restant cependant relié au commandement Usa de Naples et aux bases en Italie, surtout à celle de Sigonella.

En plus des bases étasuniennes, le Pentagone dispose en Italie de celles de l’Otan, dont la chaîne de commandement est dirigée au Pentagone : le « Commandant suprême allié en Europe » est de fait toujours, par une sorte de droit héréditaire, un général étasunien nommé par le président des Etats-Unis.

Il y a en outre, sur le territoire italien, des structures militaires étasuniennes secrètes, comme le centre de commandement et d’espionnage du Pentagone C4I (commandement, contrôle, communications, ordinateurs et intelligence), unique dans la zone méditerranéenne, qui relie la base de Taranto au Centre de la marine étasunienne pour l’ « interopérabilité des systèmes tactiques » situé à San Diego en Californie. C’est ainsi que l’Italie, selon le président du Conseil Romano Prodi, effectue « un parcours vers la paix, un parcours pour éteindre, un à un, les trop nombreux foyers belliqueux qui, au cours des dernières années, sont allés se multipliant ».

Edition de samedi 17 février 2007 de il manifesto
http://www.ilmanifesto.it/Quotidian...
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

Un autre langage contre les managers de la peur

Marco Revelli

Ils ont travaillé dur, les managers de la peur. Ils y sont allés très fort pendant plus d’une semaine pour créer un climat d’inquiétude, de soupçon et de menace. Farfouillant dans les plis de la chronique plus ou moins noire, depuis la violence des supporters ultras jusqu’aux repères de Brigades Rouges et aux caillots de ranc ?ur métropolitaine, en amalgamant ce que ne rassemble jamais que l’espace virtuel d’une première page de quotidien, ou le palimpseste d’un journal télé.

Et en le « montant » pour un récit horrifiant - le seul à avoir un « cours légal » dans le circuit politico médiatique dominant - qui n’a qu’un objectif : avertir les gens normaux de se tenir à distance, chez eux, en privé, parce que la participation est un risque. Une gêne pour celui qui fait la manoeuvre, mais surtout un danger pour celui qui s’y risque.

Même le ministre de l’Intérieur - qui, en principe, devrait être quelqu’un qui rassure : le personnage à qui revient le devoir institutionnel d’assurer la coexistence pacifique et l’exercice des droits - s’est dérobé à sa tâche en semant à pleines mains l’inquiétude, faisant allusion à d’obscures menaces, susurrant des prophéties qui ont un peu l’air de pouvoir s’auto accomplir (vous vous souvenez de Gênes ?).

Mais c’est cette logique qui envahit l’univers politique mondial aujourd’hui, et son rapport pervers avec la société dans son ensemble : cette tendance systématique à coter la peur à la bourse de la politique. A faire de la peur un instrument de règne. Un moyen efficace pour obtenir des délégations en blanc. Des légitimations totales et a priori.

Pour obliger les vies nues (les vies dénudées des sujets) à faire confiance à la force cataphracte (protection du genre cuirasse, NDT) d’un pouvoir de moins en moins responsable. C’est la logique de guerre, dans laquelle nous avons coulé lors du dernier quinquennat et à laquelle n’échappe pas, ces derniers temps, même notre « gouvernement ami » : un mécanisme pour lequel ce qui devrait être la ressource salvatrice de notre démocratie, la participation, la mise en jeu de la part des citoyens, de ses propres « vies quotidiennes », dans l’espace public, apparaît au contraire comme un dérangement. Un danger. Une limite au pouvoir décisionnel des oligarchies gouvernantes.

En tout cas un défi.

C’est pour ça aussi que la journée d’aujourd’hui (samedi 17 février, NDT), à Vicenza, est une vérification. Elle nous permettra de contrôler combien ce « grand » (et misérable) discours qui vient d’en haut, est en mesure d’influer sur les choix des personnes. Quel pouvoir il a, ce récit virtuel, de capturer et d’écrire le scénario de nos vies. Et combien, au contraire, y a-t-il, sous jacente, dans les territoires, d’autonomie décisionnelle. Quelle capacité persiste-t-il chez les gens, à s’autodéterminer.

A écrire soi même son propre récit. A faire avoir son propre point de vue sur le destin de son propre habitat. Nous, nous parions sur cette force et sur cette autonomie. Nous savons que plus le nombre de manifestants sera grand, plus le pouvoir obscur de la peur sera faible. Et plus la peur sera faible, plus sera grand le sentiment de sécurité et le caractère pacifique de la manifestation.

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La manifestation du 18 février a rassemblé plusieurs dizaines milliers de militants pacifistes

Nous savons, pour l’avoir éprouvé à maintes reprises, qu’une grande masse de citoyens conscients est en mesure d’imposer ses propres règles à tous ceux qui voudraient en faire partie. D’empêcher des gestes inconsidérés, et déplacés, si quelque pouvoir occulte n’y met pas la patte. Nous savons que la tangibilité des objectifs d’une multitude qui se met en marche pour défendre son propre contexte vital, son propre territoire, son propre système de relations, est un antidote formidable contre toute tentation narcissique de groupuscule, contre tout langage et comportement de secte et de paroisse. Contre cette logique micro-compétitive et spectaculairement expressive qui caractérise par contre l’univers malade de la politique de pouvoir.

Le Président du Conseil a intimé l’ordre aux « gouvernants » (lire ministres et sous ministres jusqu’au dernier sous secrétaire) de rester à distance. Ils ne doivent partager pas même quelques centaines de mètres de chemin avec les « gouvernés ». C’est une infamie sans bornes.

Elle sanctionne une séparation et une distance entre sphère politique (avec ses rites, ses rapports, ses langages frustes, ses tics nerveux et ses tabous) et territoires (avec leurs souffrances, leurs malaises, leurs solitudes) qui est désormais sous les yeux de tout le monde. Et qui constitue le véritable mal obscur dont notre démocratie peut mourir : dans la solitude des lieux et des individus, dans l’autoréférence virtuelle des sujets institutionnels.

Qu’ils restent barricadés dans leurs bunkers romains, à se raconter entre eux (et aux médias qui leur servent de miroir) un récit qu’ils croient plus vrai que le vrai mais qui n’a pas de corps réel. Nous, nous resterons de l’autre côté, à essayer d’ébaucher une autre histoire. Un autre langage. Une autre politique. Et à continuer à parier.

Marco Revelli est professeur de sciences politiques à Turin, à l’Université du Piémont oriental

Edition de samedi 17 février 2007 de il manifesto
http://www.ilmanifesto.it/Quotidian...
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio


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