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Pourquoi il n’y a aucun « Israélien » dans l’Etat juif

samedi 10 avril 2010 - 17h:23

Jonathan Cook
Dissident Voice

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« Imaginez le tollé dans les communautés juives aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou en France, si les autorités essayaient de classer leurs citoyens en tant que "juifs" ou "chrétiens" ».

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L’inscription de la nationalité (juive, arabe, bouddhiste...) sur la carte d’identité des Israéliens facilite la discrimination à l’encontre des citoyens arabes




Des citoyens classés comme nationaux juifs ou nationaux arabes

Un groupe de juifs et d’arabes se bat devant les tribunaux israéliens pour que chacun soit reconnu en tant qu’ « Israélien », une nationalité qui leur est aujourd’hui refusée dans un dossier que les officiels voient comme une menace pour leur statut autoproclamé d’Etat juif.

Israël a refusé de reconnaître une nationalité israélienne à l’instauration du pays en 1948, faisant ainsi une distinction inaccoutumée entre « citoyenneté » et « nationalité ». Même si tous les Israéliens sont qualifiés « citoyens d’Israël », l’Etat, lui, est défini comme appartenant à la « nation juive », c’est-à-dire non seulement aux 5,6 millions de juifs israéliens mais encore aux plus de 7 millions de juifs de la diaspora.

Selon certains critiques, le statut spécial de nationalité juive est un moyen pour saper les droits de citoyenneté des non juifs en Israël, spécialement pour le cinquième de la population qui est arabe. Quelque 30 lois en Israël privilégient spécifiquement les juifs, notamment dans les domaines des droits relatifs à l’immigration, à la naturalisation, à l’accès à la terre et à l’emploi.

Les dirigeants arabes dénoncent aussi depuis longtemps le fait que l’indication de la nationalité « arabe » sur les cartes d’identité facilite le ciblage par la police et les fonctionnaires des citoyens arabes pour leur imposer un traitement plus sévère.

Le ministère de l’Intérieur a adopté plus de 130 nationalités possibles pour les citoyens israéliens, la plupart d’entre elles étant définies en des termes religieux ou ethniques, « juif » et « arabe » étant les principales.

Le dossier juridique du groupe est arrivé devant la Cour suprême après qu’ils aient été déboutés par un juge de district il y a deux ans, lequel a suivi la position de l’Etat à savoir qu’il n’existe pas de nation israélienne.

Pour le dirigeant de la campagne pour la nationalité israélienne, Uzi Ornan, professeur de linguistique en retraite, « Il est absurde qu’Israël, qui reconnaît des dizaines de nationalités différentes, refuse de reconnaître celle-là même que le pays est censé représenter. »

Le gouvernement est opposé aux demandes dans ce dossier, prétendant que le véritable objectif de la campagne serait de « miner l’infrastructure de l’Etat » (référence supposée aux lois et institutions officielles qui assurent aux citoyens juifs de profiter d’un statut privilégié en Israël).

Pour Mr Ornan, 86 ans, le refus d’une nationalité israélienne commune constitue le pilier pour une discrimination autorisée par l’Etat envers la population arabe.

« Il y a même deux lois - la loi du Retour pour les juifs et celle sur la Citoyenneté pour les Arabes - qui déterminent de quelle façon vous faites partie de l’Etat, » dit-il. «  Quelle est cette sorte de démocratie qui divise ses citoyens en deux catégories ? ».

Yoel Harshefi, l’avocat qui assiste Mr Ornan, dit que le ministère de l’Intérieur a recours à la création de groupes nationaux non reconnus juridiquement en dehors d’Israël, tels que « Arabes », ou « Inconnus », pour éviter d’avoir à reconnaître une nationalité israélienne.

Dans les documents officiels, la plupart des Israéliens sont répertoriés comme « juifs » ou « arabes », mais les immigrants dont le statut de juif pose question aux yeux du rabbinat israélien, qui sont plus de 300 000 à être arrivés d’Union soviétique, sont habituellement enregistrés d’après leur pays d’origine.

« Imaginez le tollé dans les communautés juives aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou en France, si les autorités essayaient de classer leurs citoyens en tant que "juifs" ou "chrétiens" », dit Mr Ornan.

Le professeur, qui vit près de Haïfa, a engagé son action en justice quand le ministère de l’Intérieur lui a refusé de modifier sa propre nationalité et de l’indiquer comme « Israélien », en 2000. Une pétition sur Internet déclarant « Je suis un Israélien » a suscité plusieurs milliers de signatures.

Mr Ornan a été rejoint dans son action par 20 autres personnalités publiques, dont l’ancien ministre Shulamit Aloni. Plusieurs membres du groupe ont été enregistrés avec des nationalités inhabituelles telles que « Russe », « Bouddhiste », Georgien » et « Birman ».

Deux Arabes sont demandeurs dans le dossier, dont Adel Kadaan qui a déjà porté le différend devant les tribunaux dans les années 1990, se lançant dans une procédure judiciaire de longue durée afin d’être autorisé à vivre dans l’une des quelques centaines de communautés en Israël ouvertes seulement aux juifs.

Uri Avnery, activiste pour la paix et ancien membre du parlement, dit que le système de nationalité actuel offre aux juifs qui vivent à l’étranger une plus grande implication en Israël qu’au un million trois cent mille citoyens arabes qui sont en Israël.

« L’Etat d’Israël ne peut reconnaître une nation "israélienne" parce que c’est l’Etat de la nation "juive"... Il appartient aux juifs de Brooklyn, de Budapest et de Buenos Aires, même si ceux-ci se considèrent comme appartenant aux nations états-unienne, hongroise ou argentine. »

Des organisations sionistes internationales représentant la diaspora, tels que le Fonds national juif et l’Agence juive, se voient attribuer dans la législation israélienne un rôle particulier, quasi-gouvernemental, spécialement en matière d’immigration et de contrôle, sur de vastes territoires israéliens, uniquement pour favoriser les juifs.

Mr Ornan considère que l’absence de nationalité commune est une violation de la Déclaration d’Indépendance d’Israël, laquelle stipule que l’Etat « respectera une totale égalité sociale et politique pour tous ses citoyens, sans distinction de religion, de race ou de sexe ».

L’inscription de la nationalité sur la carte d’identité des Israéliens facilite la discrimination par les fonctionnaires à l’encontre des citoyens arabes, ajoute-t-il.

Le gouvernement objecte que la partie nationalité sur les cartes d’identité a été supprimée peu à peu à partir de 2000 - après que le ministère de l’Intérieur, tenu par un parti religieux à l’époque, se soit opposé à une décision de tribunal qui demandait que les juifs non orthodoxes soit identifiés comme « juifs » sur les cartes.

Cependant, selon Mr Orman, tout fonctionnaire peut instantanément savoir s’il a en main une carte de juif ou une carte d’Arabe, parce que la date de naissance sur les cartes d’identité des juifs est indiquée selon le calendrier hébreu. De plus, la carte d’identité d’un Arabe, contrairement à celle d’un juif, indique le nom du grand-père.

« Un simple coup d’ ?il sur votre carte d’identité et quel que soit le commis du gouvernement qui est assis en face de vous, il sait à quel "clan" vous appartenez, et il peut vous déférer devant ceux qui sont les mieux préparés à "traiter votre catégorie" », dit Mr Ornan.

La distinction entre nationalité juive et nationalité arabe est également visible sur les documents que le ministère de l’Intérieur utilise pour prendre des décisions importantes sur le statut des personnes, tels que pour un mariage, un divorce ou un décès, qui sont traités en des termes absolument sectaires.

Seuls, les Israéliens de la même communauté religieuse, par exemple, sont autorisés à se marier à l’intérieur d’Israël, sinon il leur faut se marier à l’étranger, et les cimetières sont séparés selon l’appartenance religieuse.

Certains de ceux qui se sont joints à la campagne se plaignent d’avoir été pénalisés dans leurs intérêts professionnels. Un Druze, Carmel Wahaba, dit par exemple qu’il a raté l’occasion de créer une société import-export en France parce les fonctionnaires français avaient refusé les documents qui le déclaraient de nationalité « druze » et non « israélienne ».

Le groupe indique aussi qu’il espère se livrer à un tour de passe verbal en traduisant délibérément de façon erronée l’expression hébraïque « citoyenneté israélienne » sur les passeports du pays, par « nationalité israélienne » en anglais, pour éviter les problèmes avec les services frontaliers étrangers.

B. Michael, journaliste au Yedioth Aharonoth, le plus populaire des journaux israéliens, fait observer : « Nous sommes tous des nationaux israéliens, mais seulement à l’étranger ».

La campagne, cependant, va devoir mener un combat acharné devant les tribunaux.

Une procédure judiciaire semblable à l’initiative d’un psychologue de Tel-Aviv, George Tamrin, a échoué en 1970. Shimon Agranat, président de la Cour suprême à l’époque, avait notamment indiqué dans sa décision : « Il n’y a pas de nation israélienne distincte du peuple juif... Le peuple juif est composé non seulement des juifs qui résident en Israël mais également de la communauté juive de la diaspora. »

Cette opinion a été suivie par le tribunal de district en 2008, après avoir entendu Mr Ornan.

Les juges de la Cour suprême qui ont assuré la première audience en appel le mois dernier ont indiqué qu’ils ne se laisseraient probablement pas convaincre eux non plus. Le juge de la Cour suprême, Uzi Fogelman, a dit : « La question est de savoir si oui ou non la Cour est le bon endroit pour résoudre ce problème ».

Jonathan Cook est écrivain et journaliste basé à Nazareth, Israël. Il est membre du comité de parrainage du Tribunal Russell sur la Palestine dont les travaux ont été présentés le 4 mars 2009.

Son site : http://www.jkcook.net/
Son courriel : jcook@thenational.ae

Du même auteur :

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6 avril 2010 - Jonathan Cook - Dissident Voice- traduction : JPP


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