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Palestine : de la guerre civile à l’entente nationale

vendredi 16 février 2007 - 15h:34

Jean-François Legrain

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L’accord que viennent de signer Fath et Hamas à La Mecque sur la constitution d’un gouvernement d’unité nationale débouchera peut-être sur une fin des combats interpalestiniens. Il ne saurait en être capable à lui seul. Depuis plusieurs années déjà et encore plus aujourd’hui, les Palestiniens se trouvent, en effet, confrontés à une crise de leur mouvement national tout entier, bien au-delà de la simple question de distribution de portefeuilles. C’est donc vers une refondation inévitable de la dynamique nationale que les Palestiniens sont maintenant entrainés. Condition de l’unité nationale, seule capable de mettre un terme aux violences, l’entente nationale avec la refonte commune du leadership et du programme dépasse, et de beaucoup, cette nécessité d’apaisement sur le terrain. La communauté internationale ne saurait s’exonérer une fois encore de toute responsabilité dans son éventuelle réussite comme dans son possible échec.

Il y a plus de treize ans déjà, en échange de sa reconnaissance d’Israël et de sa renonciation au terrorisme (mais pas à son droit à la résistance à l’occupation), l’OLP attendait de la logique d’Oslo la fin de l’occupation militaire, la création d’un Etat sur les territoires occupés en 1967 et la mise en ?uvre du droit des réfugiés au retour ou à compensation conformément à la légalité internationale. Aujourd’hui, l’Etat apparaît plus utopique que jamais ; à l’occupation directe de la bande de Gaza s’est substitué un blocus quasi permanent ; la colonisation de la Cisjordanie, morcelée et ceinte de murs, a plus que doublé tandis que la population connaît une paupérisation qui frise la crise humanitaire. La négociation, et ses inévitables concessions, s’est ainsi montrée incapable d’offrir à la lutte nationale de pouvoir atteindre ses objectifs pourtant alignés depuis les années 1980 sur la légalité internationale.

La communauté internationale s’est ainsi refusé à prendre les moyens de réaliser ses objectifs affichés -la coexistence pacifique entre deux Etats en Palestine-. Ce faisant, son aide financière massive accordée aux Palestiniens n’a servi qu’à libérer de ses devoirs de puissance occupante l’Etat d’Israël, jamais sommé d’honorer les accords signés ni de reconnaître le droit des Palestiniens à un Etat. Avant tout préoccupée de maintenir le conflit à un niveau de basse intensité tout en faisant de la sécurité d’Israël sa préoccupation, elle a instrumentalisé les principes de la démocratie, de la réforme et de la bonne gouvernance tout en se réclamant de la morale.

Ainsi, la victoire de Mahmoud Abbas, « son » candidat à l’élection présidentielle de janvier 2005, avait été saluée comme l’un des témoignages marquants de la pertinence de la politique de « démocratisation du Moyen-Orient ». Un an plus tard, bien que tout aussi exempte de fraudes que la précédente, la victoire de Hamas lui est devenue paradoxalement insupportable.

Décrétant le nouveau cabinet infréquentable, la communauté internationale n’a eu de cesse de rendre inopérant son droit à gouverner. Tentant d’asphyxier le gouvernement par la suppression de ses aides directes, elle a accordé un soutien financier massif au président (en l’absence de tout soutien diplomatique effectif à son désir de rouvrir une négociation directe avec Israël) et à son mouvement Fath. Elle les confortait ainsi tant dans leur refus de reconnaître la sanction populaire que dans leur incapacité à en analyser les causes. Le nouveau mot d’ordre était de casser les mécanismes laborieusement conçus ces dernières années tant pour équilibrer les pouvoirs entre le président et le cabinet que pour centraliser la gestion financière de l’Autorité dans un ministère des Finances libéré des tentations clientélistes. Présidence et « bonnes » ONG devenaient les nouveaux bénéficiaires d’aides globalement accrues mais privées de leur pan destiné au développement.

Les récentes violences partisanes ne sont pas nées de la victoire de Hamas. Corruption, anarchie et chaos sécuritaire alimentaient depuis plusieurs années une dynamique qui risquait de déboucher sur une guerre civile que la population craignait même si elle en condamnait le principe. Le scrutin de janvier 2006 a clairement signifié la volonté de casser ce cycle infernal, Hamas se voyant investi de la confiance populaire pour mener à bien cette tâche.

En empêchant Hamas d’exercer son mandat, le président Abbas, Fath, Israël et la communauté internationale ont permis, chacun à son niveau, la métamorphose du chaos en une guerre civile par groupes armés interposés. Jusqu’en 2006, en effet, les conflits éclataient entre familles et clans, bandes mafieuses ou services de sécurité (alors exclusivement issus de la mouvance Fath). Leur nombre allait croissant mais toutes s’inscrivaient dans les limites du local en ne pénétrant que très rarement le domaine de l’idéologique et du politique organisationnel. Face au refus général de laisser Hamas exercer ses prérogatives en matière de sécurité telles que lui reconnaît la Loi fondamentale, la violence s’est « politisée », s’inscrivant désormais au niveau national dans une bipolarisation d’allégeances idéologiques. Un homicide ne pouvait plus être réglé par le prix du sang négocié entre familles selon les règles de la justice coutumière la plus commune ; il devenait un enjeu politique national, l’identité de la victime et de son meurtrier étant réduite à une appartenance politique, réelle ou supposée ; un événement à Gaza entraînait des représailles à Naplouse.

Dans un contexte d’échec prolongé de la revendication nationale, les Palestiniens se sont retrouvés dépourvus de leadership incontesté comme de programme politique commun. Leurs dirigeants ont du renoncer à ce qui avait constitué l’acquis le plus précieux au sortir de la défaite arabe de 1967 : la palestinisation d’une décision politique jusqu’alors instrumentalisée par les Etats arabes concurrents. Récemment, Egypte, Syrie, Qatar et Arabie saoudite, sans oublier l’Iran, ont tour à tour été mobilisés pour servir de parrain et/ou de médiateur entre frères ennemis. Le risque de faire à nouveau de la question palestinienne la simple caisse de résonance des litiges régionaux et internationaux est donc plus grave que jamais.

La reconquête par les Palestiniens de leur indépendance de décision politique est conditionnée par la fin des combats sur le terrain mais aussi et surtout par la revivification et la réforme de l’OLP. Réclamées par toutes les forces politiques depuis des lustres, ces deux exigences figurent également au c ?ur du « document d’entente nationale » de juin dernier que l’accord de La Mecque et la lettre de mission du président Abbas au Premier ministre reconduit Ismail Haniyya viennent élever au rang de référence du futur gouvernement d’union. L’opération impliquera l’intégration des islamistes à l’organisation et le renouvellement de ses cadres mais également la reformulation des moyens à mettre en ?uvre pour parvenir à ses objectifs. De facto écartée depuis la création de l’Autorité d’autonomie, la diaspora sera appelée à retrouver sa place. Se posera alors très clairement la question de la pertinence du maintien ou non de l’Autorité d’autonomie dès lors qu’elle n’est plus articulée sur l’édification à court terme de l’Etat attendu. A tous les niveaux, nationaux comme internationaux, le retour à la loi s’impose.







Ancien chercheur à l’Institut Français d’Etudes Arabes de Damas (IFEAD) (1976-1977, 1986-1987), au Centre d’Études et de Documentation Économique, Juridique et Sociale (CEDEJ) au Caire (1987-1992) et au Centre d’Études et de Recherches sur le Moyen-Orient Contemporain (CERMOC) à Amman et Jérusalem (1992-1994), Jean-François Legrain est chargé de recherche au CNRS depuis 1990. Il a enseigné à l’Institut catholique de Paris (1979-1986) et à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon (1995-2002). Il a fait partie du comité éditorial puis de la rédaction en chef du trimestriel Maghreb-Makrech (1995-2004).

Jean-François Legrain - Maison de l’Orient et de la Méditerranée-Lyon, le 12 février 2007


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