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Fin d’année en Palestine : tout sauf une ambiance de vacances

lundi 12 février 2007 - 18h:22

Samah Jabr

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« Tout est contrôlé par machine. Il y a la porte tournante qui est ouverte ou fermée par quelqu’un que nous ne voyons pas, mais nous entendons sa voix hurlant en hébreu à des gens parlant arabe, histoire de montrer qui contrôle qui dans cet endroit... »

Rentrant chez moi après trois années passées en France, je retrouve ma Palestine sous occupation - et cette année encore d’avantage que par le passé - dans une humeur très éloignée de celle des vacances.

Ce n’est pas seulement le manque de festivités à l’occasion de Noël et de la prochaine fête de l’Aïd [Eid al-Adha] qui explique cet excédent de tristesse dans mon retour à la maison ; mais c’est également cette pauvreté si répandue, cette tristesse et cette fatigue qui accablent le peuple de cette terre.

Lorsque nous sommes tristes, il est difficile de se sentir en vacances. Survivre jour après jour tandis que d’autres font la fête et partagent de la nourriture, alors que nos pensées sont remplies de soucis et nos c ?urs pleins de chagrin, est une expérience particulièrement dure donnant un pénible sentiment d’abandon. La difficulté de se comporter comme on est censé le faire dans une période qui devrait être celle de la joie et du bonheur, en imitant ce que d’autres font et en se conformant aux rituels traditionnels, alors que nos esprits souffrent, ne fait qu’augmenter la peine et n’apporte qu’un sentiment de vide. Peut-être est-il plus sain de rester seul ou de partager nos sentiments et nos réflexions avec d’autres.

Ces vacances arrivent alors que la grande majorité des foyers palestiniens ont peu d’argent, voire pas du tout. Les niveaux atteints en Palestine par la pauvreté et le chômage sont exceptionnels, et il n’y a pas d’espoir de faire revivre notre économie ou d’alléger les sanctions politiques sans commettre un suicide national.

L’incapacité des parents palestiniens à fournir le nécessaire à leurs enfants, encore moins de satisfaire tous leurs espoirs de cadeaux pour ces vacances, a mis en lambeaux le rôle du père dans la société et ceci aura des conséquences morales définitives dans le futur. La crise financière que nous traversons depuis que ceux qui gagnent leur pain ont cessé de percevoir un salaire [le prix à payer pour leur vote aux élections] n’est pas seulement une des raisons de la déception vécue par nos enfants, mais aussi une cause importante de l’agonie de leurs parents, sans mentionner le fait que c’est une incitation à la division et au désespoir.

Cet endroit du monde est littéralement coupé en morceaux. Chaque matin je prends la route allant de Jérusalem à Ramallah pour aller à mon travail. Durant la période de mon absence de Palestine, le Mur monstrueux a été mis en place pour séparer, tout le long l’axe de la route de Jérusalem à Ramallah, la zone de Beit Hanina à Qalandia, coupant complètement de l’endroit où je travaille la maison où j’ai autrefois vécu avec ma famille, à Dahiet al-Bareed. Ma famille a été obligée de quitter la grande demeure familiale pour aller s’installer dans différents petits appartements séparés les uns des autres dans Jérusalem.

Depuis mon arrivée, j’ai du mal à me faire à cette nouvelle place ; je ne retrouve pas mon chez-moi. Cet effet de séparation et d’éclatement provoqué par le Mur est visible aussi lorsqu’on voit combien passive et recluse est devenue la communauté jérusalémite depuis qu’elle est confinée dans Jérusalem. Beaucoup de gens de Jérusalem trouvent plus facile de faire ses courses à Jérusalem-ouest plutôt que d’aller faire le marché à Ramallah ou Bethlehem.

L’autre jour, alors que mon frère et moi-même roulions près du Mur, un soldat israélien nous arrête.

« Où allez-vous ? », demande le soldat.

Nous répondons : « A Ramallah ».

« Ramallah n’est pas bon pour les israéliens. »

Nous répondons cette fois-ci : « Mais nous travaillons là-bas », tâchant d’ignorer sa tentative de nous faire dire notre nationalité ; nous faisions profil bas dans un jeu qui est toujours gagné par celui qui a le fusil.

« Vous êtes citoyens israéliens ! », dit encore le soldat.

Notre silence était le prix que nous avons payé pour pouvoir continuer notre route vers Ramallah.


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Scène quotidienne de checkpoint : attente et humiliation


Traverser le point de contrôle de Qalandia sur notre chemin de Ramallah à Jérusalem peut être décrit comme une brève expérience psychotique. Les checkpoints sont plus déshumanisés que jamais, dans le plein sens du terme. A Qalandia, il y a soit très peu soit pas du tout de contact avec des êtres humains ; tout est contrôlé par machine. Il y a la porte tournante qui est ouverte ou fermée par quelqu’un que nous ne voyons pas, mais nous entendons sa voix hurlant en hébreu à des gens parlant arabe, histoire de montrer qui contrôle qui dans cet endroit. Après être restés debout entre deux lignes puis être passés entre plusieurs tourniquets, nous arrivons à la porte où retentit un "bip" et où se trouve le détecteur à rayons X. Ici, les cris des gardes que l’on ne voit toujours pas sont de plus en plus forts.

Ils indiquent les directions pour déposer ses affaires ou pour montrer sa carte d’identité, mais les instructions sont toujours données en hébreu et beaucoup d’entre nous ne le comprennent pas. Comme beaucoup de personnes, n’ayant pas compris ce qu’on leur demande, ne suivent pas les bonnes directions, les hurlements des soldats se font encore plus forts. Ils nous voient ; mais nous ne les voyons pas. Ils crient après nous ; et nous entendons leurs cris. Ils contrôlent nos mouvements, et nous nous déplaçons, désarmés, tout au long de cette procédure dans l’espoir de finalement rentrer chez nous. Cette expérience est aussi intense et déstabilisante qu’une crise psychotique aiguë, ceci s’ajoutant à la perte de temps et à l’humiliation que nous supportons depuis la création des points de contrôle.

A présent les gens essaient de minimiser au possible leurs déplacements entre les villes et les villages de Palestine pour s’épargner la torture psychologique des checkpoints. Durant les vacances, les Palestiniens sont prisonniers dans leurs maisons et leurs quartiers si étroits. Quand je pense aux vacances à Paris - les lumières des Champs-Elysées, l’agitation des Galeries Lafayette et les festivités au Quartier Latin et à Notre-Dame de Paris ! Je ne sais pas si quiconque prête la moindre attention à ce que des vacances signifient pour nous dans cette terre qui vit sous occupation.

Parmi d’autres choses, ces vacances font remonter à la surface nos pensées si douloureuses à l’égard des conflits internes palestiniens qui ont laissé pour morts plusieurs de nos enfants dans les rues de Gaza et de Cisjordanie. La misère et la division dans notre peuple font se lamenter les Palestiniens sur ce qu’est devenue leur situation.
Tant de choses sont survenues dans cette région du monde depuis mon départ pour la France. Jérusalem est maintenant cachée aux yeux du monde. Je reviens en Palestine alors que Yasser Arafat n’y est plus, sans Ahmed Yassin ou Abdul Aziz al-Rantissi [le fondateur du Hamas et son successeur, tous les deux assassinés par les Israéliens - N.d.T] ; beaucoup d’autres figures proéminentes de la Palestine nous ont quittées au fil des années.

À l’intérieur de la Palestine, les gens partagent leurs griefs personnels en s’exprimant sous la forme d’un deuil national. Les vacances sont le moment propice pour que nous soulagions nos coeurs pendant ce temps si difficile. Les derniers événements bafouent l’amour-propre et le courage de chaque Palestinien qui est un combattant dans le coeur, l’esprit et l’âme. Mais un combattant devrait aussi pouvoir supporter ses mauvais moments.
Quelques-uns des amis autoproclamés de la cause palestinienne ont remis leur soutien en question en voyant les Palestiniens s’affronter les uns les autres, ou en choisissant un côté contre l’autre. Alors que nous traversons une période si difficile, il est choquant de voir combien parmi les supposé défenseurs de notre cause nous abandonnent, nous attaquant dans nos moments les plus vulnérables par leurs actes et par leur absence de soutien. Nous nous retournons vers nos amis espérant être écoutés, mais nous recevons en retour un soutien réservé, nous laissant grelotter dans le froid sans chaleur ni protection. Le prix exigé pour la solidarité avec notre cause et pour son immuabilité est disproportionné étant donné le blocus et les manoeuvres israélo-américaines dans la région. Sans l’aide d’amis capables et honnêtes à l’extérieur de notre patrie, il parait difficile que nous puissions survivre à la présente crise.

S’il était possible que toute cette peine soit juste la démolition nécessaire d’une structure préexistante dans laquelle prédominait la culture des armes et du pouvoir sur l’esprit de dialogue et de compréhension, pour que soient maintenant construites et dominent de nouvelles fondations basées sur des sentiments de compassion ! Nos vrais amis sont ceux qui nous aideront à nous relever de ce point si bas jusqu’à une position plus confortable où nous pourrons à nouveau défendre nos valeurs.

Plutôt que de choisir un parti contre l’autre, et indépendamment de toute conviction politique, cette période de vacances devrait être mise à profit pour discuter honnêtement de nos difficultés et de la façon de les résoudre en prenant un tournant positif vers un accord national. Puissent les prochaines vacances nous trouver en paix, ou au moins, en paix entre nous.









Samah Jabr est médecin et réside à Al-Qods (Jérusalem)

Samah Jabr - Palestine Times, 1er janvier 2007 : Not in a holiday mood
Traduction : Claude Zurbach [Info-Palestine.net]

De la même auteure, lire notamment :

- A propos de pain et de démocratie
- Construire l’unité palestinienne et réformer l’OLP


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